José Mujica, président de l'Uruguay.
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/10/2012
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EXCLUSIF AFP - José Mujica: "Je ne suis pas un président pauvre, j'ai besoin de peu"
"Je ne suis pas un président pauvre, j'ai besoin de peu", explique à l'AFP l'iconoclaste président uruguayen José Mujica, qui reverse presque 90% de son salaire de 9.300 euros à une organisation d'aide au logement et critique la "société de consommation" ainsi que son "hypocrisie" sur la toxicomanie ou l'avortement.
"Je vis dans l'austérité, la renonciation. J'ai besoin de peu pour vivre. Je suis arrivé à cette conclusion parce que j'ai été prisonnier durant 14 ans, dont 10 où si la nuit, on me donnait un matelas, j'étais content", raconte cet ancien guérillero tupamaro, emprisonné sous la dictature (1973-1985).
Elu président de l'Uruguay en 2010 sous la bannière d'une coalition de gauche, "Pépé", comme le surnomment les Uruguayens, affiche en effet de solides convictions concernant l'"esclavagisme" moderne consistant "à vivre pour travailler" au lieu de "travailler pour vivre".
"Le bonheur sur terre (...) ce sont quatre ou cinq choses, les mêmes depuis l'époque de Homère: l'amour, les enfants, une poignée d'amis...", énumère ce président moustachu à l'allure débonnaire, qui ne porte jamais de cravate et apprécie peu les gardes du corps.
Une antienne développée à la tribune du Sommet de l'ONU pour la Terre de Rio, fin juin, et son discours a depuis été vu plusieurs dizaines de milliers de fois sur des sites de partage de vidéo, lui attirant une renommée mondiale.
"Les pauvres ne sont pas ceux qui ont peu mais ceux qui veulent beaucoup", répète-t-il au cours d'un entretien accordé à l'AFP dans son bureau de la présidence encombré de maquettes, poupées et statuettes, offertes en grande partie par des investisseurs chinois.
Sa plus grande richesse ? Le temps. "Quand j'achète quelque chose avec de l'argent, je le paie avec le temps que j'ai passé à gagner cet argent", souligne celui qui a déclaré en mars 2012, à 76 ans, un patrimoine de 170.000 euros, constitué de sa ferme, deux vieilles Volkswagen, trois tracteurs et du matériel agricole.
Théoricien, il n'en reste pas moins politique. Et pragmatique. "Nous serions des imbéciles si nous n'intégrions pas (le Mercosur) celui qui a l'énergie", déclare-t-il notamment à propos de l'entrée récente du Venezuela dans le marché commun constitué de l'Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l'Uruguay.
"Je ne crois pas que la géopolitique détermine seule l'Histoire, mais elle existe, et il est très important" d'en tenir compte, explique-t-il.
Critiquant "l'hypocrisie" des sociétés modernes et des dirigeants mondiaux, il a aussi lancé en juin un vaste débat, qui a dépassé les frontières de ce petit pays de 3,3 millions d'habitants, sur la production et la vente de cannabis sous contrôle de l'Etat, afin de lutter contre le trafic et la toxicomanie.
"Toutes les addictions sont mauvaises", estime M. Mujica, pour autant, "il y a toujours eu de la drogue, les drogues sont bibliques" et "certains n'auraient pas peint ce qu'ils ont peint s'ils n'avaient pas consommé de la drogue...", ajoute-t-il, un sourire provocateur aux lèvres.
Interrogé sur l'interdiction de l'avortement alors que la gauche dirige le pays depuis 2005, il reconnaît des blocages "philosophiques, religieux, intimes", jusque dans les rangs de son parti.
Cette question "devrait être résolue par un vote direct de toutes les femmes d'Uruguay. Et que nous, les hommes, nous nous taisions !", s'emporte-t-il.
A propos de la France, il déclare, ironique: "En bon pays sous-développé, nous admirons Paris". Et poursuit: "Paris m'émerveille parce que toutes les formes de négritude qui existent au monde (y) sont représentées". Avant de se réjouir: les Parisiens "vont tous finir café au lait !"
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