"Kogis, le message des derniers hommes"
- Par Thierry LEDRU
- Le 02/10/2016
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INFORMATIONS
- Durée : 00h 56m
- Date de sortie : 30/11/06
- ASIN : 1
- Partenaire : ARTIC PRODUCTIONS, GEDEON PROGRAMMES
Kogis, le message des derniers hommes
Réalisé par Eric Julien
LE FILM en bref
Dans le nord de la Colombie, les Kogis sont les derniers héritiers des grandes civilisations précolombiennes et se nomment « les gardiens de l'équilibre ». Ils considèrent leur relation avec la nature comme faisant partie, à l'instar des hommes, d'un ensemble complexe dont les composantes interagissent en permanence les unes par rapport aux autres. Pour eux, l'homme et la nature sont indissociables. De cet équilibre naturel, découle l'ordre social et politique. Réalisé à leur demande par le cinéaste Eric Julien, qui les connaît depuis près de vingt ans, le film retrace les efforts de ce peuple de la Sierra Nevada pour retrouver sa mémoire perdue et la transmettre aux nouvelles générations. Avec l'aide de Gentil Cruz Patino, un métis venu de la ville, le peuple des Kogis retrouve peu à peu ses terres qu'il a rachetées et les objets rituels de ses ancêtres. Face au monde moderne de ceux que les Kogis appellent « les petits frères' », ils ont choisi de rester « Indiens ». Mais leur système est fragile, menacé par le gouvernement et les intérêts de la culture du coca. Leur combat pour tenter de survivre les mène à Paris, afin de tenter d'être entendus par la communauté internationale.
“Kogis, le message des derniers hommes”
Verbalisation, gestion du non-dit et anticipation des déséquilibres dans la culture des Kogis
Les Kogis attachent une attention particulière à la verbalisation, à la gestion des conflits et autres tensions portées par le groupe. Il y a tension, conflits, lorsque l’énergie (la parole, le souffle...) ne circule plus, lorsque les règles ne sont plus acceptées, respectées et mises en pratique, lorsque le profane envahit et domine le sacré. Tous les Kogis n’acceptent pas les règles et les contraintes des “lois de la mère”. Certains peuvent choisir de ne pas les respecter, voire de les rejeter, ce qui, pour les membres de la communauté, constitue un délit majeur. Entendons-nous bien : pour les Kogis, les lois universelles de la terre mère sont des lois vécues de l’intérieur qui garantissent l’équilibre et la continuité de la vie.
La survie de la communauté, son équilibre, passe par leur respect, un respect qui s’incarne dans une attitude, une posture “juste” par rapport aux êtres et au monde. Que cette posture de partage, d’écoute et de respect ne soit plus vécue et mise en pratique et c’est l’ensemble de la communauté qui se trouve menacée. Les personnes concernées vont alors être invitées à parler, puis à parler encore, et ce, afin de pouvoir identifier l’origine de ce manque de respect, de ce déséquilibre.
“Les personnes concernées vont voir le mamu et lui demande si elles peuvent parler, échanger avec lui. Elles lui demandent alors d’être interrogée sur leurs derniers actes et les pensées qui les animaient lorsqu’elles les ont réalisés. C’est le mamu qui dirige cet échange. (...)”
C’est le respect des lois de la communauté qui évite la domination de l’individualisme, de la compétitivité, du non-dit et de la souffrance. Individus, familles, clans, communauté, à chacun de ces niveaux sont mises en place des procédures de verbalisation et de gestion des déséquilibres qui permettent d’éviter les ruptures et d’accompagner les membres du groupe dans les changements auxquels ils se trouvent confrontés.
S’il y a un point qui différencie nos sociétés occidentales de celle des Kogis, c’est bien celui de la verbalisation, de cette préoccupation permanente d’éviter les noeuds, les blocages, les non-dits qui déséquilibrent les hommes et les organisations. Cette volonté de faire circuler les mots, les énergies, les émotions, comme la terre qui se doit d’assurer la circulation de l’air, de l’eau, des courants et de l’énergie.
La non verbalisation entraîne la cristallisation de la colère, de la peur, de la souffrance, une cristallisation qui s’auto alimente jusqu’à la rupture.
Là où les Kogis essaient d’anticiper ces ruptures, nos sociétés les subissent.
Dans nos sociétés occidentales (entreprises, familles, organisations entendues au sens large du terme), il est très difficile pour les acteurs concernés de dire et de verbaliser leurs sentiments, peurs, limites, enjeux.
Manque d’humilité, lâcheté, ignorance, colère, jalousie, parfois même indifférence, parce que non identifiés et non gérés, la diversité des sentiments humains nourrit et déforme les relations jusqu’à provoquer des déséquilibres majeurs qui peuvent s’incarner soit dans des conflits larvés ou violents, soit dans la création d’espaces de “non-dits” rapidement nourris par les interprétations, projections qui amplifient les phénomènes et les rumeurs.
Apprendre à identifier ces situations personnelles ou collectives, reconnaître les sensations, émotions, enjeux, sentiments qui les font vivre, leur origine profonde, le contexte dans lequel elles s’inscrivent, les verbaliser, les exprimer, les partager, les gérer et gérer les réactions que cela peut susciter représente sans doute l’un des enjeux majeurs de nos sociétés occidentales. (...)
Encore et toujours dire, partager, faire circuler pour préserver l’équilibre du tout, du groupe et de l’individu.
Extrait 3 : Si l’on pouvait résumer quelques-uns des axes de réflexion, quelques-unes des passerelles qu’il doit être possible d’établir entre la culture Kogis et nos sociétés, j’en retiendrais six.
1. Chaque individu doit être reconnu comme faisant partie d’un tout.
Chez les Kogis, à travers sa fonction, son rôle par rapport à la communauté, chacun a sa place. À ce titre, chacun a droit à la parole. Dans une telle société, il ne peut pas y avoir d’exclus ; pour fonctionner de manière équilibrée, le système a besoin de l’ensemble de ses composantes, même celles qui ne seraient pas forcément dans la norme, puisqu’elles renseignent le système sur la norme.
Cette reconnaissance et le respect associé sont fondateurs de l’identité de chaque membre de la communauté. Chaque partie du système me reconnaît comme étant une partie nécessaire pour le fonctionnement du tout.
2. La notion de faute, présente dans les sociétés occidentales, est totalement inexistante.
Il s’agit plus de déséquilibres physiques, psychologiques, sociaux, qui, une fois rétablis ne sont pas portés comme des sentences tout au long d’une vie.
3. Le monde est compris comme un tout vivant et fragile dont les composantes sont en permanente interaction, ce qui oblige chacun à se sentir responsable de l’ensemble. Ce sont les liens de l’expérience sacralisée qui réunissent l’ensemble et lui donnent sens. Ce monde ne sépare pas, il réunit. La nature entière y est incluse : animaux, maïs, fleurs, nuages, pierres... Quand les Kogis se présentent en disant “Nous sommes des Kagabas...”, c’est à cet ensemble, ce tout, qu’ils font référence.
4. Les problèmes, les difficultés doivent être formulés pour éviter les non-dits qui nuisent à l’harmonie des êtres et des lieux.
Ce travail de “confession”, de verbalisation du corps au coeur, puis à l’esprit et à la parole, se doit d’être réalisé tant sur le plan des mots que sur celui du coeur et de l’énergie.
5. L’interrelation, l’interdépendance lient les connaissances conceptuelles et expérimentales, coeur, conscience et esprits, hommes, nature et objet. Tout est équilibre entre un ensemble de composantes vivantes qui ont chacune un rôle et une fonction. L’ensemble ne fonctionne que parce que chacune des parties est reliée aux autres et remplit au mieux son rôle.
6. Leur système de compréhension du monde est un système fragile qui se doit d’être préservé et entretenu.
C‘est pourquoi ce même système permet de gérer en permanence les problèmes de pouvoir et de dogmatisme liés à tout groupe social structuré autour d’un projet collectif. De fait, leur système est en permanente évolution, et ce, afin de maintenir un équilibre subtil entre les forces internes et externes qui interagissent sur leur société où le changement, la confrontation des contraires et des subjectivités sont vécus comme des composantes essentielles de la vie.
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