KUNDALINI (18)
- Par Thierry LEDRU
- Le 10/12/2015
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KUNDALINI
« On commence cette fois ?
-Je t’écoute, Sat.
Paumes ouvertes sur les cuisses, bouche fermée, langue au palais, dos droit, respirations conscientes, par le nez, effacement des pensées parasites.
Il expliqua le protocole, le travail visuel, l’élaboration de la boule d’énergie, sa couleur, sa densité, ses mouvements, l’accompagnement à travers le corps, le passage des chakras, les membres, les organes et le cœur en chef d’orchestre.
Finir par un hommage.
« Tu es en moi et je te remercie. »
Elle répéta après lui.
Méditation silencieuse pour achever la séance.
Sans pouvoir se l’expliquer, elle percevait la boule d’énergie au niveau du sacrum, une vibration infime, comme des fourmis microscopiques, des particules agitées. Sat avait dit pourtant que l’énergie se diluerait dans tout le corps et ne resterait pas concentrée sur une zone. Elle recommencerait. Une autre fois.
Elle ne voulut pas y penser davantage.
...
Ils s’étaient allongés. Sat avait étendu un drap sur eux.
Elle s’était blottie contre lui. Elle avait fermé les yeux. Ce bonheur du câlin, ce sentiment de bien-être, juste le contact, peau contre peau, immobile, la présence, les regards, des voix murmurées, des mots tendres…Tout ce qui lui avait manqué. Cette douleur en elle. Comme si d’en avoir découvert son opposé, cette partie sombre de sa vie éclatait au grand jour. Non pas uniquement dans sa dimension psychologique mais bien aussi celle du corps, celle du cœur, celle de l’âme épanouie.
Son travail à la salle avait caché le désastre. Suractivité compensatoire. Taire les douleurs sous des monceaux d’artifices… Elle pensa à ces millions d’humains égarés dans les douleurs existentielles et qui épuisaient leurs errances dans des activités chronophages, des perditions anxiolytiques, des consommations boulimiques, des centres d’intérêt qui les décentraient d’eux-mêmes... Le Produit Intérieur Brut bâtissait son emprise sur les souffrances existentielles. Qu’avait-elle accompli pour s’y opposer ? Avait-elle contribué au bien-être de ses adhérentes ? Elle osait l’espérer. Mais pourquoi y avait-il donc si peu d’hommes ? Elle n’avait jamais trouvé d’autres réponses qu’un désintérêt profond pour cet état de conscience. Était-ce éducatif, sociétal, génétique, héréditaire, culturel ? Pourquoi Sat avait-il éprouvé le besoin d’explorer cet espace intérieur ? Pouvait-on imaginer que le contingent des hommes éveillés augmenterait progressivement ? L’humanité n’évoluerait pas favorablement sans la participation masculine, sans ce changement radical dans le saisissement de la vie. Les hommes portaient-ils en eux le potentiel pour une telle évolution ? Parviendraient-ils à se libérer de leur soif de pouvoir, de puissance, de nuisance, de compétition, de hiérarchie ? Pourquoi les femmes ne prenaient-elles pas la parole ? Pourquoi ne montraient-elles pas la voie de l’amour ? Pourquoi s’appliquaient-elles à s’adapter ou même à copier les hommes ?
Ce flot de questions qui jaillissaient. Une telle surprise au regard de sa vie passée. Ce souvenir d’un esprit éteint, juste occupé à effectuer des tâches répétitives, des actes extérieurs…Des privations de soi. S’il n’y avait pas eu le yoga et cette pratique régulière de la méditation, elle aurait pu se ranger parmi les individus égarés. Elle se demanda d’ailleurs si ces méditations qu’elle s’accordait ne relevaient pas davantage d’une simple relaxation… Durant le protocole de nettoyage de l’énergie, ses ressentis avaient pris une ampleur immense, totalement inconnue, inespérée. La voix de Sat, la précision de ses paroles, cette sensation d’être visitée par une sphère lumineuse, cette conscience nouvelle d’une présence miraculeuse en elle, un flux auquel elle n’avait jamais prêté la moindre attention. Malgré son travail, malgré cet intérêt ancien pour le bien-être. Il ne pouvait y avoir de bien-être qui ne soit que physique, tout comme il ne pouvait y avoir de bien-être qui ne soit qu’intellectuel. Elle le savait désormais. Il lui avait suffi de deux jours… Le pouvoir de Sat…Cette impression de lui être reliée et de boire en lui.
Elle aurait voulu l’interroger sur le phénomène des émotions et de ses effets. Elle devinait un apprentissage indispensable.
C’est là que surgit l’échéance à venir. Elle réalisa qu’elle était en train de penser à la vie devant elle alors qu’il ne restait que quelques jours. Avec lui.
Une brûlure dans son ventre, les jambes qui s’étaient raidies.
Elle inspira profondément puis elle souffla en rejetant le désordre intérieur.
Ne pas troubler la paix, ne pas laisser des émotions néfastes investir l’enceinte.
Là, maintenant, elle respirait la peau de Sat, ventre contre ventre, elle se berçait du mouvement de sa poitrine, elle enlaçait les jambes aux siennes, elle caressait son dos. Là, maintenant.
Rien d’autre.
Elle ne sut pas quand elle s’endormit. "
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