L'école "moderne" en résumé
- Par Thierry LEDRU
- Le 29/10/2016
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Le 18 octobre dernier, lors d’une Question orale avec débat, Brigitte MICOULEAU est revenue, à la tribune du Sénat, sur une mesure phare du quinquennat de François HOLLANDE : la mise en œuvre des nouveaux rythmes scolaires et, en particulier, leurs conséquences pour les petites communes.
Force est de constater que, contrairement aux discours du Gouvernement et de ses soutiens parlementaires, cette réforme, qui a fait couler beaucoup d’encre, est encore aujourd’hui loin de faire l’unanimité, que ce soit auprès des parents d’élèves, des enseignants ou des élus locaux en charge des affaires scolaires.
Impact négatif pour les finances des communes, difficultés persistantes à recruter des intervenants formés pour animer les nouvelles activités périscolaires, mais aussi, et surtout, plus grande fatigue constatée chez les enfants, sont autant des griefs mis en avant à l’heure de réaliser un premier bilan de cette réforme.
18 octobre 2016 - Nouveaux rythmes scolaires : un bilan pour le moins mitigé
Silence, on tue (aussi) l’école primaire et la maternelle
Pendant que tous les regards se portent sur le collège
Pendant que tout le monde regarde le collège se faire «réformer», le primaire et la maternelle, aussi, agonisent. Mais en silence. Pour preuve, ce témoignage de Laurence David, directrice d'une école maternelle.
Travailler plus pour être moins fatigué
Quel magnifique exploit que celui du ministre Peillon : faire passer aux enfants plus de temps en collectivité avec pour justification qu’ils seront ainsi moins fatigués ! Ce fût un coup de maître, fruit parfait de la rencontre des cyniques et des Bisounours.
Les Bisounours se sont lancés avec l’enthousiasme du croisé dans la bataille : ils allaient tout à la fois apporter la culture au peuple et remettre à l’heure les horloges biologiques des chères têtes blondes. Les cyniques virent en cela l’occasion de fissurer le monolithe de l’Education nationale en créant des particularismes territoriaux, tout en avançant d’une case dans le jeu de l’oie du transfert aux collectivités locales de la mission d’enseignement.
L’opposition des élus locaux fût molle, à de rares exceptions près. Appâtés par la promesse d’aides de l’Etat, ils virent l’occasion de faire quelque chose allant, selon leur déontologie, de l’action éducative sincère au simple clientélisme. A l’heure où la politique est une carrière, les parents sont des parts de marché. Le temps périscolaire devient dès lors un produit d’appel.
Les syndicats, inhibés par la couleur politique du gouvernement manquèrent de pugnacité. L’opposition des enseignants fût rapidement muselée : l’ouvrier qui manifeste, c’est noble, l’enseignant, c’est corporatiste. Et puis, nul n’a jamais jugé utile de rappeler que, régulièrement, de nouveaux programmes remodèlent totalement leur travail (Bayrou 1995, Jack Lang 2002, Darcos 2008, Vallaud-Belkacem 2015) et que, sans sourciller, à chaque fois, ils conçoivent pour chaque matière, une nouvelle organisation des apprentissages, de nouvelles pratiques, de nouveaux livrets (chaque ministre mettant un point d’honneur à modifier les intitulés de compétence, même pour un contenu identique). Le tout dans un contexte où les conditions d’exercice se dégradent de façon continue : augmentation des effectifs d’élèves, étiolement des Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté(les RASED), diminution des salaires réels par gel du point d’indice. Bref, dans notre société individualiste, que des gens abandonnent plusieurs dizaines d’euros de traitement pour défendre autre chose que leur propre intérêt était impensable, leurs arguments étaient donc discrédités d’emblée.
Et les parents d’élèves ? Certains se mobilisèrent, d’autres furent conquis par l’enfumage de la communication gouvernementale, le reste crut jusqu’au bout qu’une réforme aussi stupide n’aurait pas lieu. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Le bilan officiel tarde à paraître et les visites d’établissements Potemkine de Najat Vallaud-Belkacem peinent à masquer la réalité.
Du hard discount culturel
Même si personne n’a jamais contredit Vincent Peillon lorsqu’il affirmait le contraire, rien dans la loi n’oblige les collectivités locales à mettre en place des activités périscolaires ni à les proposer gratuitement. Et quand bien même le souhaiteraient-ils, il est parfois impossible de disposer de personnel qualifié. Alors ? Appeler « origami » de simples cocottes en papier ou faire des guitares avec des élastiques ne sera jamais apporter à tous des activités culturelles telles que les familles les plus aisées ou les plus impliquées en offrent à leurs enfants. Ce hard discount culturel ne sera jamais l’équivalent des épiceries fines où les enfants des cyniques au pouvoir se servent.
Et puis, il y a tous ces dommages collatéraux : l’ambiance délétère dans les écoles où des enseignants, sommés de quitter leur classe pour laisser place aux animateurs, alors qu’ils ont encore des corrections ou des préparations à terminer, se vengent en cachant les feutres de tableau ou les prises multiples. Il y a ces conseils d’écoles où les délégués de parents demandent : « Mais, si les enfants écoutent des histoires ou font des puzzles avec les animateurs, quelle est la différence avec l’école ? » Il y a tous ces enfants pour qui être attentif et concentré est difficile et qui se voient contraints de faire trois heures d’activité encadrée supplémentaires et ne parviennent plus à suivre en classe. Il y a l’explosion de l’absentéisme en maternelle, car désormais, les parents qui callaient leurs RTT sur le mercredi les prennent n’importe quand. Il y a les papas divorcés qui avaient à grand peine aménagé leurs horaires pour voir leurs enfants le mercredi et qui continuent, ce qui est légitime. Cela fait du mercredi matin une matinée où l’on n’enseigne rien de nouveau pour ne pas que les absents y perdent trop.
Grâce aux aménagements Hamon, qui permettent de remplacer l’organisation « 45 minutes en moins tous les jours », par « 1h30 en moins un jour sur deux » ou carrément « une après-midi off », on voit aussi ces élèves que l’on n’amène plus parce que « pour juste 1h30 de classe ou une matinée ça ne vaut pas le coup ». Ce sont souvent ceux dont les familles ont un lien difficile avec l’école et qui sont les plus fragiles… De tout cela on ne parle plus…
Et la confusion école/centre aéré progresse. Là où Darcos et son « On n’a pas besoin de bac+5 pour changer des couches » avaient échoué, les socialistes vont réussir. Car ne nous leurrons pas, nos élites n’ont pas renoncé à faire disparaître, par souci d’économie et d’harmonisation européenne, cette école maternelle dès 3 ans que l’on nous envie.
Tout se joue avant 6 ans ? Non, tous jouent avant 6 ans !
Les nouveaux programmes de Najat Vallaud-Belkacem et sa fidèle Florence Robine (la directrice générale de l’Enseignement scolaire, ndlr) procèdent de la même idéologie que ceux du collège et revoient les objectifs à la baisse. S’y ajoutent en plus la suppression des livrets scolaires et de l’évaluation. Tout doit être « plaisir », « bienveillance » et jeu. Tout est bon pour éloigner la maternelle de ce qui fait d’elle une école. Il sera ainsi plus facile, plus tard de confier les deux premières années à des animateurs de jardin d’enfants. Rendez-vous compte : on avait « primarisée » la maternelle. Désormais « les majuscules d’imprimerie ne doivent pas faire l’objet d’un enseignement systématique ». Aucun commentaire négatif ne doit être communiqué par écrit dans le « carnet de suivi » qui sera remis aux familles, il ne doit recueillir que les succès et les « exploits ».
L’enfant évolue à son rythme. D’ailleurs il ne redoublera plus jamais. Cassons le thermomètre, il n’y aura plus de fièvre visible. Quel mépris et quelle injustice ! Un enfant, si petit soit-il, mesure très bien ce qui sépare ses performances de celles de ses voisins, en positif comme en négatif. Il est très important de ne pas l’accabler en pointant ses échecs, mais il est criminel de ne pas lui proposer de s’améliorer au prix, certes, de certains efforts, à la mesure de ce qu’il peut faire. Et voilà, le gros mot est lâché : effort. Cet effort dont le sens est cultivé par élites chez leur progéniture qu’ils placent dans des établissements où exigence et classement ont encore cours. Quel intérêt ont-ils à refuser cela au peuple ? Réfléchir, c’est désobéir. Acquérir des connaissances, c’est réfléchir. Et puis, faire progresser tout le monde, ça coûte…
Osons une affirmation taboue : nous n’avons pas tous les mêmes facilités dans tous les domaines, certains ont même des difficultés face à la chose scolaire. Leur prise en charge précoce pourrait les aider. Mais cela est désormais impossible : les RASED ont donc été réduits a minima, ils n’interviennent plus en maternelle. La prise en charge à l’extérieur de l’école n’est pas ouverte à tous : les séances de psychomotricité, de graphothérapie, les rencontres avec un psychologue ne sont pas remboursées. L’orthophonie n’est pas prise à 100% et nécessite parfois une avance de frais que tous ne peuvent pas s’offrir. Tous les parents ne disposent pas du temps matériel d’emmener leurs enfants aux séances. Il existe même des déserts médicaux où l’accès à l’orthophonie est impossible.
La formation des enseignants se détériore, ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et leurs lectures personnelles pour dépister ou remédier à certaines difficultés. Dans le département de l’Hérault, les stages de formation ont même été annulés, après avoir été accordés, par manque de remplaçants. Dans ces conditions, le système ne pouvant pas aider efficacement, mieux vaut ne pas signaler la difficulté. C’est une forme de maltraitance, baptisée « bienveillance » par Najat Vallaud-Belkacem.
Face à tout cela, c’est avec une infinie tristesse que je constate le silence des journalistes, des politiques et des intellectuels. Il est vrai que, dans leur entourage, évoluent sans doute des agrégés, éventuellement des certifiés, mais sans doute peu de professeurs des écoles. En dehors de quelques réflexions du café du commerce sur les méthodes de lecture ou sur les 20% d’élèves qui rentrent en 6ème sans savoir lire, ils ont peu à en dire. La communication du ministère de l’Education nationale est souvent resservie telle quelle.
Dans dix ans, quand la désastreuse refondation de l’école produira ses effets dans les enquêtes PISA, ils seront nombreux à accabler les enseignants du primaire en oubliant la responsabilité que leur silence coupable d’aujourd’hui aura porté dans cet échec.
Bonus :
De la maternelle à l’université, tout devient limpide lorsque l’on a lu ça :
Centre de développement de l’OCDE, Cahier de politique économique n°13
La Faisabilité politique de l’ajustement, par Christian Morrisson
« Pour réduire le déficit budgétaire, une réduction très importante des investissements publics ou une diminution des dépenses de fonctionnement ne comportent pas de risque politique. Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement et l’école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l’établissement voisin, de telle sorte que l’on évite un mécontentement général de la population. »
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