L'écriture
- Par Thierry LEDRU
- Le 04/04/2010
- 0 commentaire
"Lorsqu'on est pénétré de quelque grande vérité et qu'on la sent vivement, il ne faut pas craindre de la dire, quoique d'autres l'aient déjà dite. Toute pensée est neuve, quand l'auteur l'exprime d'une manière qui est à lui."
Vauvenargues.
Je viens de retrouver cette citation alors que je l'avais lue la première fois au lycée, en classe de Terminale. J'aimais écrire, j'en avais besoin. Mais j'étais toujours insatisfait, comme si justement je ne faisais que resservir avec une misérable cuillère une soupe cuite et recuite, collée au fond du plat et que je devais râcler furieusement pour essayer d'y apporter une infime saveur...Dans une perpétuelle désillusion.
Je sais aujourd'hui que ce que j'écrivais, je ne l'éprouvais pas, je ne vivais rien mais je me croyais vivre à travers ces mots jetés comme autant de signes de reconnaissance. Je n'écrivais pas pour me comprendre mais pour exister aux yeux du monde, un besoin d'identification.
L'art comme un diplôme scolaire, un joli papier à encadrer et que je porterais comme un étendard. Toujours ce fameux embrigadement existentiel en fait. Nous sommes élevés dans cette quête constante et effrénée de reconnaissance. Il n'y a rien d'intime dans cette démarche, dans cette soumission à l'autre, aucun amour pour soi mais une recherche de l'amour de l'autre. Et dès lors, il n'y a rien qu'un vide rempli de salissures, jusqu'à aimer davantage l'amour reçu d'autrui que l'amour réel de soi.
L'amour comme un palliatif à notre incomplétude et l'écriture comme un bouquet de fleurs, un cadeau enrubanné de paroles mensongères.
Dès lors qu'on écrit pour transmettre, il y a une intention, une pensée autre que cette vérité que l'on se doit d'explorer et de vivre. Et l'intention prend une telle importance, elle devient si obsessionnelle que le message lui-même s'y perd. C'est tout le problème des religions d'ailleurs. Les rituels sont devenus plus puissants et envahissants que la vie qu'elles honoraient à l'origine. L'art est une religion perdue dès lors qu'il a une intention si forte que le créateur s'y soumet.
Il ne s'agit pas de savoir si l'idée a déjà été malaxée mais de savoir s'il est possible qu'elle nous nourrisse, qu'elle ne soit pas les résidus d'un plat que l'on souhaiterait faire goûter...Nous ne serions sinon que des oisillons réclamant la becquée.
Un jour j'ai cessé de vouloir écrire. Et dès lors j'ai découvert ce que je portais. Et les mets que je transportais et que je n'avais jamais goûtés puisque je pensais que les nourritures des autres étaient infiniment plus délicates...Peut-être que ces saveurs sont agrémentées des lectures, des pensées, des réflexions, des cheminements des dizaines et dizaines d'auteurs que j'ai dévorés mais la différence essentielle entre aujourd'hui et cette époque révolue, c'est qu'aujourd'hui, j'écris pour moi, pour être ce que je dois devenir.
Je bénis la vie qui m'a brisé, je bénis les épreuves qui m'ont arraché aux illusions intellectuelles, égotiques, aux errances durant lesquelles j'adorais mes oeillères.
"Ça écrit en moi."
Cette idée, une nuit, alors que les mots s'alignaient, j'écrivais "JUSQU'AU BOUT", vingt-sept pages d'une traite, les heures avaient défilé, la fenêtre ouverte, assis tout nu sur mon fauteuil, j'avais chaud, si chaud, les mots comme des noyaux en fusion, dégorgeant des magmas insoumis, les doigts pianotant des mélopées enflammées, impossible de suspendre cet élan, ça écrivait en moi parce que j'étais en moi et non pas enfermé dans des réflexions intellectualisées, des citations tronquées, des vomis ravalés, j'étais là, pleinement, infiniment là, et les mots jaillissaient comme des connexions d'âmes, un haut débit jamais atteint, inespéré, et puis enfin cette certitude que la vie n'avait jamais été aussi réelle, que je n'avais jamais plongé aussi profondément en moi, que je n'avais jamais été capable d'aller chercher ainsi dans les strates les plus enfouies, les plus fossilisées, les vérités perdues.
Alors, oui, effectivement, peu m'importait la qualité des paroles, leurs enluminures, leurs intonations. Tout était là, pour moi, selon ma vérité intérieure.
Ajouter un commentaire