La trilogie abandonnée
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/04/2020
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Il y a quelques années, j'ai écrit "LES HEROS SONT TOUS MORTS", un polar qui détaillait toutes les dérives associées à l'argent et au pouvoir qu'il donne. Un roman court, pour une fois, sec, violent.
Et puis m'est venue l'idée que je ne devais pas m'arrêter là. Que cette analyse des travers de quelques individus pouvait être étendue à des entités bien plus vastes, des entités secrètes, le monde de la finance, celui qu'on ne connaît pas, celui qui agit dans des sphères qui ne nous sont pas accessibles. Certains ont peut-être entendu parler du "groupe Bilderberg". On en trouve quelques traces sur la Toile. Alors j'ai cherché à concevoir une entité supérieure à celle-là, celle organisée par un seul individu, un homme quasiment inconnu de tous, une "ombre" d'une puissance incommensurable. Walter Zorn.
J'ai imaginé que cet homme aurait créé un réseau militaire secret, des hommes et des femmes entièrement dévoués.
J'ai imaginé un plan : "Némésis". Les puissants de la planète, toutes nationalités confondues, se joindraient à Walter Zorn. Pour ne pas être détruits. Par peur et par fascination. Parce que ce plan relève de l'inimaginable, parce que son objectif dépasse l'entendement.
J'ai donc écrit la suite de "LES HEROS SONT TOUS MORTS" : "TOUS, SAUF ELLE". Trois cent trois pages.
Puis je me suis attaqué au tome 3 ; "Il FAUDRA BEAUCOUP D'AMOUR."
Entre temps ont été publiés "LA-HAUT" et "KUNDALINI".
Et les chiffres des ventes sont arrivés et c'était dérisoire au regard du temps que je passais à écrire, un temps que je prenais sur la vie de famille, sur la vie de couple, sur ma sérénité aussi, car on n'écrit pas un livre, on se donne à lui...
C'est une activité qui ne cesse réellement jamais. Alors, un jour, j'ai tout arrêté. J'avais écrit soixante-dix pages. Je n'y ai plus retouché depuis.
Mais ce qui m'interpelle aujourd'hui, c'est que cette crise du coronavirus, je l'avais plus ou moins écrite...Une autre épidémie, la plastisphère, une possibilité déjà évoquée par les scientifiques. L'alerte a déjà été lancée. dans le vide, une fois de plus.
De mon côté, j'avais ajouté à ce fléau sanitaire un élément essentiel : la rupture de l'approvisionnement en pétrole et par conséquent l'arrêt total du fonctionnement des sociétés occidentales.
Imaginez la crise du coronavirus sans les services hospitaliers, dans un chaos social absolu, avec un réseau électrique détérioré, des connexions internet anéanties, l'accès à l'eau potable réduit à néant, les stocks alimentaires épuisés, une pénurie totale de médicaments, des groupes armés dans les villes, des combats de rues, des forces de l'ordre disséminées et sans plus aucun gouvernement en place...Et des groupes de paramilitaires éparpillés sur la planète et multipliant les destructions. Le plan "Némésis".
C'était ça le projet.
J'ai été dépassé par l'actualité pendant l'écriture. La crise du coronavirus est survenue au même moment que mes doutes au regard de l'intérêt de continuer à écrire. C'était très déstabilisant de voir que d'un roman d'anticipation, je me retrouvais partiellement avec un roman "historique".
Mais il n'en reste pas moins que mon scénario n'est pas encore celui en cours.
Et aujourd'hui, je me dis qu'il faudra que je reprenne tout ça.
"TOUS, SAUF ELLE"
CHAPITRE 7
« Mes chers confrères, ma chère Fabiola, nous voici réunis à l’issue de ces trois jours intenses. Il est venu le temps de partager tous vos écrits et d’en établir un résumé le plus complet possible. »
Walter observa l’assemblée. Tous les cerveaux réunis dans cette salle représenteraient un jour prochain les éléments phares d'une nouvelle ère, une humanité sélectionnée par la force de vie. Tous, ici, vénéraient l'Ordre des Immortels. Et ils le vénéraient tous, lui, Walter Zorn, l'homme le plus puissant de la planète. Celui qui avait décidé et conçu l'impensable.
Walter se sentit heureux, un étrange pétillement dans son ventre, une douce chaleur comme lorsque son père venait l’embrasser le soir. Il trouva étrange le jaillissement de cette image infantile et teintée de dépendance affective alors qu’il était à l’instant, le guide suprême, celui qui n’avait besoin de personne pour gérer son existence. Ni celle de l’humanité entière. Il réalisa alors qu’il n’était plus cet enfant protégé mais le père protecteur, que son émotion n’était plus celle de l’enfant apaisé mais celle du guide encensé. La chaleur dans son ventre n’était plus celle du bonheur reçu mais celle qui émane de la force acquise. Il était le père de tous, ici.
« Je vais commencer par le travail de modélisation du groupe 1. Merci à vous tous, insista respectueusement Walter en inclinant la tête vers les personnes concernées. L’ensemble des travaux sociologiques sur l’impact du plan Némésis, reprit-il aussitôt, montre que les populations miséreuses seront bien évidemment les principales et premières victimes et qu’ensuite, les effets du chaos remonteront l’échelle sociale jusqu’aux personnes aisées. Il est par contre indiscutable que les gens de notre Ordre et tous les individus les plus fortunés disposeront des ressources nécessaires pour survivre. La population des pays en voie de développement est condamnée dans des proportions allant de 60 à 90 %. Nous ne pouvons que nous en réjouir. C’est une population principalement inapte au monde que nous souhaitons bâtir après le chaos. Il est évident que des migrations invasives auront lieu et elles serviront nos objectifs puisqu’elles contribueront aux tueries de masse et aux conflits armés entre communautés. Vous savez que nous ne privilégions aucun pays, ni aucun peuple. C’est l’ensemble de la planète qui est concerné. Les flots migratoires que nous avons favorisés ces dernières années nous serviront. Bien plus que des conflits militaires, ce sont les guerres civiles que nous visons. Elles n'affectent pas l'ensemble de la vie mais principalement les populations. Nous ne souhaitons et visons aucun conflit nucléaire, ni même aucun accident, qui condamnerait des territoires entiers et par conséquent leur exploitation. Quelle que soit la population, tous nos modèles sociologiques, sur la base de données historiques, culturelles, comportementales, psychologiques, donnent un résultat similaire. Dans le cas d’une anomie, terme désignant l’absence totale d’état gouvernant, la situation est hors de contrôle. L’anarchie, par contre, est une organisation horizontale qui est viable. Nous n’en voulons pas. L’anomie n’est que le chaos et c’est lui que nous visons. Personne ne sera épargné mais les survivants feront immanquablement partie des individus à très haut potentiel, physique et psychologique. C’est eux que nous recruterons. Je passe donc au deuxième groupe. Organisation des bases d’autonomie durable, nos chères et remarquables BAD. »
Walter arrêta son exposé et salua les membres du groupe avant de reprendre.
« Nous avons constitué deux BAD majeures. Celle où nous nous trouvons puis une sur l'île du Nord. Vous connaissez les raisons de ces choix. Nous avons avec la Nouvelle-Zélande le territoire le plus adapté à notre plan. Les modélisations de nos météorologistes indiquent pour les prochaines décennies une augmentation des moyennes de températures, des précipitations moins importantes mais suffisantes et des étés plus longs et plus ensoleillés. Sur un plan climatique, c’est exactement ce qu’il nous faut. La faible démographie et le niveau de vie relativement aisé des populations limiteront les dégâts sur les infrastructures les plus importantes. Une population habituée à la vie insulaire ne réagit pas comme un peuple continental. Le sens civique et surtout, ici, sa part historique ont encore une réelle valeur. La reconstruction des villes et la réorganisation des survivants en seront facilitées. Les survivants nous seront infiniment reconnaissants de gérer le retour à une vie normale. Les pollutions atmosphériques issues des autres États en guerre et de possibles contaminations nucléaires accidentelles ne devraient pas non plus impacter l’atmosphère de ces territoires. Les vents dominants nous sont relativement favorables. Aucun conflit armé avec un autre pays n’est envisageable. Il n’y a aucune ressource minérale d’importance. Des invasions de réfugiés, c’est certain. D’autres auront la même idée que nous. Vous savez d'ailleurs que de nombreux milliardaires se sont déjà implantés en Nouvelle-Zélande. Nous les contacterons le moment venu. Beaucoup sont issus de la Silicon Valley et leurs compétences nous seront utiles. Pour les migrations sauvages, nous pensons que la population locale, de par son histoire et cette culture insulaire, les contestera par la force. Nos hommes n’auront guère de nettoyage à effectuer lorsque l’heure sera venue de la reprise en main. Ces deux bases militaires que nous avons récupérées grâce à nos pouvoirs politiques et aux sommes distribuées accueilleront en totalité 15864 personnes, uniquement des familles déjà constituées ou de jeunes couples. Aucun individu célibataire. Nous voulons un esprit de corps et aucune individualité déstabilisante. Ils sont déjà tous identifiés. Une partie occupe les bâtiments militaires du domaine et les autres sont prêts à intégrer les lieux dès notre signal. Nous ne voulons pas attirer l'attention par des regroupements injustifiables en l'état. La discrétion reste indispensable. D’autres couples sont en liste d’attente pour d’éventuels remplacements ou renforts nécessaires. Tous nous seront fidèles. Nos critères de sélection ne comportent aucune faille. Nous disposerons avec ces bases d’un contingent d’individus intégralement acquis à notre cause. Ils nous devront d’être en vie, les soldats comme leurs familles et dans une situation très confortable. J’en viens par conséquent au troisième groupe. Celui de la reconquête. Et je vais laisser la parole à Fabiola, ce qui nous permettra de nous réjouir de la beauté de son accent espagnol.
– Merci, cher Walter mais je ne serai que la porte-parole de mon groupe. Les principaux travaux étaient déjà finalisés. J’ai pris un immense plaisir à me joindre à vous et je vous en remercie. Il s’agit donc de la phase de reconquête post-chaos. Parmi les 15 000 individus qui seront à nos ordres dans nos deux bases, il faut ajouter environ douze mille soldats déjà disséminés par petits groupes sur la planète et dont la tâche sera de propager le chaos. Nos hommes sont des individus performants, militaires de formation, tous hautement gradés, intelligents, responsables, autonomes et déterminés. Des machines de guerre. Ils savent qu’ils ne survivront pas tous mais la pérennité de l’Ordre des Immortels leur est prioritaire. Ils devront par la suite recruter des individus susceptibles de participer à notre nouvel ordre mondial dans une obéissance totale et de trouver les lieux les plus propices à l’émergence de communautés sur les territoires les plus intéressants. Vous imaginez bien que le rôle de ces hommes est primordial et que l’évolution de notre plan dépendra de la situation dans chaque zone d’intervention. C’est en cela que les délais sont projectifs et nullement assurés. Pour que cela soit possible, que le traumatisme soit si vaste que notre puissance sera immanquablement vénérée, nous avons tous convenu de la nécessité d’éliminer les trois-quarts de l’humanité. Nos modélisations montrent que cette élimination n’aura besoin que de quelques mois, deux ans tout au plus. Nos commandos démarreront leurs missions de recrutement et d’organisation des communautés survivantes lorsque les zones concernées seront suffisamment apaisées. L’ampleur des guerres à venir, qu’elles soient civiles ou militaires, contribuera à notre réussite. Nous récolterons les derniers survivants comme les fruits les plus solides de l’arbre humain.»
Fabiola se tourna vers Walter et l’invita à prendre la suite.
« Merci, chère amie. Cette dernière phrase est emplie de poésie et c’est un plaisir de vous écouter. Je vais maintenant vous présenter les travaux du groupe chargé d’organiser les premiers jours du chaos. »
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