LE DESERT DES BARBARES : Etat des lieux

864220 cool apocalypse wallpapers 1920x1080

 

 

 

 

CHAPITRE 46

Figueras s'était levé au premier chant d'oiseau. Il s'était assis sur une roche moussue et il avait observé la montée de l'astre. De l'autre côté des cimes, à l'est, derrière les crêtes dentelées. L'air était frais, descendu des montagnes comme un voyageur curieux, mais il allait remonter avec la venue du maître des lieux.

La lumière n'était encore qu'une esquisse, un placenta en croissance. Le ciel épuré avait bu tous les nuages de la veille et le bleu métallique de la nuit accueillait l'astre naissant. La lumière condensée tel un ventre rond annonçait la mise au monde. Puis vinrent les traits lumineux, des routes à suivre, des rayons écarlates lancés dans l'azur comme autant d'éclaireurs. Ils tracèrent leur chemin dans les échancrures, les cols et les versants et Figueras imagina les animaux engourdis s'étirer délicieusement.

Des chapelets de gouttes de rosée, suspendus sur les fils des toiles d'araignée, s'illuminèrent comme autant de perles, des rêves de nuit dans l'attente du réveil. Les dentelles tendues sur les herbes drues dessinaient des étoiles.

Plus bas, dans la vallée, au-dessus des forêts épaisses, traînaient nonchalamment des nappes de brouillard, larges marées immobiles, couvertures humides étirées comme des voiles protecteurs. Ces brumes éphémères s'évanouiraient dès les premières chaleurs et les frondaisons se gorgeraient de lumière.

Tout était juste.

Et Figueras s'en réjouit.

Il avait rêvé de la Terre.

Coulaient en elle des désirs d'apaisement. Il en avait senti le désir.

L'hégémonie passée des hommes, leur déliquescence, l'effondrement de leur frénésie, la découverte des biens essentiels, les actes solidaires, quelques-uns, au fil des jours, au fil des drames, de plus en plus, des survivants qui organisaient les jours à venir, les uns après les autres, sans autre intention que la préservation de chacun et que chacun préserve les autres.

Le silence des cieux, les avions cloués au sol, toutes ces flèches dorées qui cisaillaient l’atmosphère et l'empoisonnaient, toutes ces machines volantes immobilisées, tous ces moteurs éteints, toutes ces usines mortes, toutes ces exploitations figées, ces filets assassins qui raclaient les fonds marins, ces millions d'êtres vivants égorgés, éviscérés, emballés, vendus en barquettes, plus rien, plus aucune concentration de bêtes, elles étaient mortes ou enfuies, l'air des villes ne piquaient plus les gorges, plus de poubelles à trier, il n'y avait plus rien à manger, plus d'emballages, les magasins dévalisés, les routes désertes, les camions abandonnés, les pétroliers à quai, leurs citernes vides, les torchères éteintes des raffineries, les villes sombres dès la fuite du soleil, des feux de camp pour se réconforter, des étincelles fugaces de réconfort partagé.

Le monde humain posé sur une balance à plateaux, d'un côté la fureur et de l'autre la paix. Les forces sombres ont pris le pouvoir, elles ont tout écrasé. Mais elles s'éliminent entre elles et le plateau se vide.

La Terre montre la voie.

Depuis longtemps, la lumière des montagnes n'a été aussi épurée.

Tous ces actes meurtriers prendront fin, une sélection naturelle, par épuisement du contingent.

Tous ces humains disparus, comme autant de virus éradiqués, les uns après les autres.

Et la fièvre délirante de la Terre qui diminue.

Une évidence.

Le nombre était la plaie, l'extermination une guérison.

D'autres esprits étaient passés dans son rêve, un chaman des plaines de Sibérie, un Aborigène, un Inuit, un Mentawaï, un Sami, il les connaissait tous et s'ils étaient apparus, s'ils avaient parcouru les réseaux d'énergie pour se connecter les uns les autres à leurs frères de Terre, le message était clair. Le temps des hommages était venu.

Il convenait d'accompagner la Terre convalescente en sachant que de nouvelles crises étaient inévitables.

Les résistances humaines. Trop de résidus de l'ancien monde, des volontés de pouvoir, même s'il ne restait que des ruines à s'approprier. L'ADN mental de l'humanité, comme une tumeur inarrachable. La détresse n'était pas encore assez grande. La diminution du nombre réduisait la violence et l'abandon à la peur.

Le crépuscule des faux dieux avant l'aurore.

Bientôt, bientôt.

Figueras avait rêvé de la jeune femme. Il avait senti son désarroi mais plus fort que les tourments, l'amour de la lumière restait au firmament. Elle avait la Grâce mais ne voulait pas encore le reconnaître. Il restait ce doute que l'individu considère comme de l'humilité quand il ne s'agit que du déni de soi. Elle avait la Grâce et il était temps qu'elle l'enlace, totalement, qu'elle prenne conscience que le monde humain n'est pas en elle et qu'elle n'en est que le témoin.

Jusqu'à ce qu'elle lui tourne le dos.

 

blog

Ajouter un commentaire