LE DÉSERT DES BARBARES : résonance de Schumann

 

Re sonance de schumann terre

 

LE DÉSERT DES BARBARES

 

CHAPITRE 23

Francis avait traversé la ville à l’aube. Il avait dû emprunter plusieurs déviations. Des barrages consécutifs à l’explosion de la veille.

Il avait un plan pour sortir Tim de l’hôpital. Un plan dérisoire, pitoyable mais qui pouvait fonctionner au vu du désordre.

Il entra dans le hall d’accueil. Des gens dans tous les coins, des files d’attente, des brancardiers, des infirmiers, des ambulanciers, une sirène de pompier à l’extérieur. Branle-bas de combat.

Deux femmes à l’accueil. Débordées, téléphone à la main, répondant en même temps à des demandes directes.

Francis repéra une femme, blouse blanche, un dossier à la main, le pas pressé. Elle sortait d’un couloir et se dirigeait vers un autre. Il traversa le hall en évitant au mieux de bousculer quelqu’un et la rejoignit avant qu’elle ne disparaisse.

« Excusez-moi, inspecteur Howard. »

Il montra furtivement sa carte de flic. La femme ne la regarda même pas.

« Mon chef m’a demandé de passer pour une attaque au couteau sur un certain Tim Bonpierre. J’ai besoin de son témoignage. Est-ce que vous pourriez me donner son numéro de chambre, s'il vous plaît ? »

Poli mais ferme, froid, pas de refus possible. Il la regardait fixement.

«  Avec tout ce qui se passe en ce moment, vous trouvez encore le temps de faire une enquête pour une agression au couteau ?

- Ce gars pourrait être mêlé à un réseau terroriste. Il faut qu’on vérifie. D’autres attentats sont peut-être prévus. »

L’argument choc, imparable.

La femme sortit un appareil téléphonique. Un modèle interne à l’hôpital.

« Tim Bonpierre, c’est ça ?

- Oui, il est entré hier. »

Elle pianota sur le clavier.

« Chambre 18, quatrième étage. Vous prenez ce couloir, là-bas, à gauche, l’ascenseur, vous y arriverez direct.

- Merci pour votre aide. »

Il avait à peine fini sa phrase qu’elle était partie.

Porte d’ascenseur. Une femme à ses côtés. Un dossier dans les mains. Il chercha à éviter son regard. Ne pas laisser davantage d’indices.

Elle lui demanda l’étage. Il répondit en baissant les yeux. Elle aussi montait au quatrième.

L’ascenseur entama sa montée et c’est là que la première secousse eut lieu. Arrêt immédiat, un voyant rouge sur le tableau digital.

« Earthquake ! annonça la femme. Une voix à peine surprise.

Francis n’en avait jamais connu. Cette impression que l’immeuble tout entier venait de bouger. La cabine vibrait de toute sa masse. Instinctivement, il avait pris appui sur la paroi du fond et réalisa immédiatement que c’était absurde. S’accrocher à une cabine qui tombe ne la retient pas.

La femme appuya sur un bouton d’alerte. Puis elle expliqua que le générateur de l’hôpital allait s’enclencher.

« Five secondes. It’s a securit system ».

Une deuxième secousse.

Plus forte que la précédente. Un ronflement métallique au-dessus de leurs têtes. Francis imagina la tension dans les câbles.

Il mourait d’envie de tambouriner sur la porte mais l’attitude stoïque de la femme le figeait.

« Five secondes after, it’s normal. »

Et cette fois, effectivement, la cabine reprit son ascension. Quatrième étage. Francis jaillit dans le couloir dès que la femme fut sortie.

Il s’adossa contre le mur et souffla longuement.

Il chercha le numéro de la chambre, croisa deux infirmières pressées. Elles entrèrent dans une chambre d’où il perçut un bip répétitif. Il évita leurs regards.

18.

Il frappa et entra. Un lit au milieu de la chambre. Vide. Les draps et la couverture minutieusement lissés, comme si le lit avait été inoccupé.

Sur le côté, une porte fermée.

« Tim, tu es là ? »

La porte s’ouvrit en grand.

Tim. Dans la salle des toilettes.

« Salut Francis. Content de te voir. Je me barre. C’est bien que tu sois là. »

Il expliqua qu’il avait pris ses vêtements dans le placard, qu’il avait fait le lit au cas où quelqu’un serait venu, faire croire à une erreur de numéro de chambre, qu’il s’habillait sans qu’on le voie.

« Si ça tombe, je veux pas être dedans. Faut se barrer. Même un hôpital, ça s’écroule. »

Francis lui expliqua sa combine.

«  J’ai dit que j’étais un inspecteur de police, que je devais t’interroger, que tu étais suspecté d’avoir participé à l’attentat, que c’était une mesure d’urgence, au cas où d’autres attentats seraient programmés. Et c’est ce que je pense répéter si quelqu’un nous arrête. L’idée, c’est que tu gardes les mains dans ton dos, sous ton manteau, comme si je t’avais menotté, je te tiens par le bras, on avance sans lever les yeux. »

Francis remarqua le sourire ironique de Tim.

« Oui, je sais, c’est complètement foireux comme plan mais j’ai rien trouvé d’autre. Je voulais déjà savoir si tu te sentais en état de sortir.

- Même avec le bide ouvert, je serais sorti. C’est un très bon plan, Francis et vraiment, ça me fait chaud au cœur que tu sois venu me chercher. »

Francis savait combien cette phrase était exceptionnelle dans la bouche de Tim. « Chaud au cœur ». Une expression qu’il n’imaginait même pas entendre.

« Ils ont dit quoi les toubibs ?

-Rien de grave, c’était pas une grosse lame, pas d’organes touchés, juste de la viande mais c’était pas loin de l’intestin grêle. Du repos, surveiller la cicatrisation, les infections. Je devais pouvoir sortir dans deux jours. Marcher normalement dans huit à dix jours, courir dans un mois.

- Tu peux marcher ?

- Si le bâtiment se met à danser, tu vas même me voir courir. 

- Tu as déjà connu des secousses comme ça ?

- Si un gars te dit qu’il a passé un an en Nouvelle-Zélande sans avoir ressenti de secousses, c’est qu’il était bourré du matin au soir ou qu’il n’était pas là.

- OK, ça explique que ça ne panique pas plus que ça.

- Ouais, ils sont blindés ici. C’est la routine. N’empêche que parfois, ça valdingue. Et faut pas être dans une ville. On remonte au chalet. Tu as mon sac ?

- Oui, Tim.

- Et tu sais ce qu’il y a dedans ?

- Oui, Tim.

- Bon, alors tu connais un de mes secrets. À ton tour de me raconter le tien.

- Quand on sera là-haut.

- Oui, évidemment, on va pas aller boire une bière maintenant. On se casse. »

Ils traversèrent le couloir en direction de l’ascenseur. Ils croisèrent deux personnes du service, trop occupés pour s’intéresser à eux.

«  Tu te sens capable de descendre tous les escaliers ? Je me suis retrouvé coincé dans l’ascenseur à la première secousse. J’ai pas vraiment envie de revivre ça.

- Moi non plus. On prend les marches. On va y aller doucement. »

Ils rejoignirent la voiture et démarrèrent immédiatement. Ils sortirent du parking et s’engagèrent sur la route.

« Putain, j’y croyais pas ce matin. Mais je ne voulais pas te laisser là.

- Je m’en souviendrai, Francis. »

Francis espéra profondément qu’il s’en souviendrait. C’était même sa seule chance.

« Tu me racontes cette explosion d’hier ?

- Attends, d’abord, une question, ta bagnole ?

- On y passe, j’ai des affaires dedans mais on la laisse là. Je peux pas conduire. Franchement, ça serait trop risqué. Les escaliers, ça m’a suffi.

- Tu as mal ?

- Depuis le moment où je suis sorti du lit.

- Ah, ouais, d’accord. T’es un dur au mal.

- On peut dire ça.

- Bon, alors, donc hier... »

Francis expliqua le peu qu’il savait. Tim l’écoutait en regardant la ville, les quartiers vidés de leurs habitants, plus d’activité, des vitrines de magasins brisées, quelques véhicules, des piétons portant des sacs de ravitaillement.

« Toute la zone touchée par l’explosion est barrée, il y a des déviations plus ou moins indiquées, c’est le bordel. Et avec ce que j’ai entendu sur les radios, je peux t’assurer que ce bordel, ici, c’est rien comparé à ce qui se passe dans d’autres coins du monde.

- C’est que le début, juste un petit aperçu mais ça va accélérer.

- Juste un aperçu ? Tu as entendu parler de l’épidémie de choléra et du phénomène acoustique, le Hum, eh bien, ces deux trucs-là, c’est déjà des centaines de milliers de morts.

- Bien plus que ça. Beaucoup plus. Tu peux parler en millions. C’est une certitude mais aucune instance officielle ne le dira. Pour la bonne raison qu’il n’y a plus d’instances capables de comptabiliser. Les chiffres que tu as entendus, c’est juste n’importe quoi. Pour donner l’illusion à la populace qu’il y a encore des dirigeants.

- Comment tu sais ça ?

- Je ne le sais pas sur un plan informatif. Je le calcule. C’est de la probabilité et de la statistique. Mais je ne me trompe pas. Dans un mois, l’humanité aura perdu un tiers de sa population. Minimum. »

Tim avait cinq bidons de carburant dans le coffre et ils transvasèrent le carburant de la voiture de Tim dans celle de Francis.

« Toujours avoir une pompe à carburant avec soi et de quoi péter un bouchon de réservoir, c’est la base du survivaliste. Avec ça, tu peux rouler en te servant dans les voitures abandonnées. »

Francis avait suivi les instructions de Tim, un tuyau dans le réservoir du 4X4 de Tim, un bidon pour recevoir le carburant, une pompe à aspiration manuelle, puis verser dans le deuxième véhicule avec un entonnoir. Basique, simple, efficace.

Ils vidèrent le 4X4, une caisse à outils, une couverture, un duvet, des bouteilles d’eau, des biscuits de survie, une lampe frontale, une hache, un réchaud à gaz et divers ustensiles.

«  Ça me sidère à quel point tu étais prêt au grand bordel et à quel point, je ne l’étais absolument pas. J’ai l’impression d’être un petit garçon perdu quand je me compare à toi.

- Il y a des milliards de petits garçons et de petites filles perdus aujourd’hui. Mais toi, tu vas apprendre. Tu as eu de la chance de croiser ma route. »

Francis ne répondit pas, tiraillé entre la justesse de cette affirmation et l’insupportable réalité. Jusqu’ici, il avait eu de la chance d’avoir rencontré Tim. Mais dans quelques heures ?

« De quoi tu voulais me parler, Francis ?

- Pas ici, pas maintenant. Là-haut, je te raconterai. Promis.

- T’en as vraiment lourd sur la caboche.

- Oui. Plus que tu penses. Parle-moi de tes recherches. Vraiment, ça m’intéresse.

- OK. »

Un moment de silence.

Francis était soulagé d’avoir détourné l’esprit de Tim de la révélation qu’il attendait. Tout en sachant très bien qu’au chalet, le malaise serait encore plus puissant. Réduire la distance kilométrique amplifiait la douleur en lui. C’était comme s’approcher inexorablement d’un gouffre, à pleine vitesse, avec l’impossibilité de s’arrêter.

« Nous sommes la Terre et la Terre est ce que nous sommes, reprit Tim, avec une voix déterminée, une intonation appuyée.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Tant qu’il y a aura l’idée d’un ministère de l’environnement, quel que soit son nom, c’est que les humains n’auront toujours rien compris. Il n’y a pas nous d’un côté et la Terre de l’autre. Il y a nous, Terre et humains, dans une même entité, englobée par la galaxie, elle-même englobée par l’univers. Et tout ça forme un tout. Les humains exploitent la Terre sans aucune modération parce que les humains s’exploitent eux-mêmes sans aucune modération depuis des siècles mais maintenant la dégradation spirituelle des humains a des effets sur la vie spirituelle de la Terre.

- La vie spirituelle de la Terre ? reprit Francis, dubitatif.

- Je t’ai dit il y a quelques temps que mes travaux personnels n’entrent pas dans la logique cartésienne et dans l’esprit formaté des humains. Je suis au-delà. Est-ce que tu veux vraiment que je continue ?

- Oui, je t’écoute, désolé, je ne t’interromps plus.

- La Terre est un être vivant, les anciens grecs l’appelaient Gaïa. Elle est dotée d’ondes, des vibrations, une fréquence électromagnétique, imagine des vagues qui enveloppent la planète, des vagues de pulsations, on ne les voit pas mais on sait les enregistrer, c’est ça la résonance de Schumann dont je t’avais parlé. C’est le nom du scientifique qui les a identifiées et ça date des années 1960. »

Tim était parti dans son univers, Francis le sentait, un débit mesuré mais une voix affirmée, un esprit délié, une parfaite connaissance de son sujet. Il émanait de lui un plaisir évident, une forme de joie profonde qui le transformait et le rendait passionnant. Il rappelait à Francis un professeur d’université qu’il avait beaucoup apprécié.

« La Terre émet des ondes et notre cerveau entre en résonance avec ces ondes. Les humains sont des antennes cosmo-telluriques. Les animaux également et les plantes. Tout ce qui est animé par la vie. Nous sommes tous dans un état de perception des phénomènes électromagnétiques de la Terre. Le cerveau, lorsqu’il est en mode d’ondes alpha, est particulièrement réceptif. Pendant la méditation par exemple. Ou dans l’usage de drogues pour d’autres, le LSD particulièrement. Tout ça se passe dans l’ionosphère et bien que l'existence de la résonance de Schumann soit un fait scientifique établi, il y a très peu de scientifiques qui sont conscients de l'importance de cette fréquence mais ça n’a rien d’étonnant. Le développement de cette connaissance balayerait une bonne partie de l’industrie pharmaceutique. C’est toujours pareil. On ne trouve que ce qu’on cherche et pas grand-monde n’explore cet espace parce que financièrement, ça ne serait pas rentable et ça contesterait très fortement l’hégémonie de la médecine allopathique. Ces découvertes ont été reprises par d’autres scientifiques en 1979. Tu imagines le temps perdu. Et ça n’est pas parce que ça ne tenait pas debout mais uniquement parce qu’il n’y a pas de subventions pour des études qui ne rapporteraient pas dix fois ce qu’elles ont coûté.

- Et donc, toi, tu as repris tout ça ?

- Oui, mais sans en parler. Je profite de mon job. Le gouvernement met à ma disposition tout ce que je demande. Je leur file ce qui les intéresse et je garde le reste.

- Bon, et c’est quoi le problème avec cette résonance ?

- Tu as entendu parler des orages dernièrement ?

- Oui et j’en ai même connu certains, des phénomènes surpuissants.

- Pas grand-chose puisque tu es toujours en vie.

- Ah, oui, d’accord. Et donc ?

- Depuis plusieurs mois la recrudescence des orages et leur ampleur est reconnue par tous les organismes chargés de les enregistrer. Partout sur la planète et plus étrange encore à des périodes inhabituelles. L’ionosphère se charge de l’énergie propagée par les éclairs. Le niveau vibratoire s’amplifie. La résonance n’est plus de 7,83 hertz mais aux environs de 30. Les scientifiques qui bossent là-dessus ont des explications rationnelles. Moi, j’en ai une autre. Mais il faut que je t’explique en détail le phénomène pour que tu comprennes bien mon hypothèse. 

- Ah, parce que là, tu n’as pas encore expliqué ?

- T’es un marrant. J’ai à peine commencé. Tu crois peut-être que je vais te résumer dix ans de mes recherches en trois phrases ?

- Ouais, évidemment. Vas-y, je t’écoute. »

La route était déserte. Francis conduisait avec application mais l’esprit captivé par les paroles de Tim.

 « Il y a des milliers d’orages à chaque instant sur la planète. Ils produisent environ des dizaines d’éclairs par seconde. Chacune de ces décharges électriques crée des ondes qui se combinent et s’amplifient, donnant naissance à la résonance de Schumann. On la mesure en continu dans plusieurs stations. Les Russes s’y intéressent depuis plusieurs décennies. La NASA également. Un problème qui concerne les voyages dans l’espace, une mise en danger des mecs là-haut. Il existe une variation normale de plus ou moins 0.5 Hertz non significative ainsi que des pics au courant d’une journée. Hans Berger, l’inventeur de l’électroencéphalogramme, découvre et nomme les ondes alpha, en mesurant l’activité électrique du cerveau. Ces ondes, qui correspondent à un état éveillé, calme et détendu, se situent dans la fourchette de fréquence de 8 à 12 Hz, en quasi osmose avec les mesures de la résonance de Schumann. La découverte ne concerne pas que l’humain mais l’ensemble des mammifères. Et peut-être d’autres êtres vivants et même les plantes. Je m'intéresse beaucoup aux travaux d'un chercheur français, Joël Sternheimer, il a créé une discipline, la protéodie, ça concerne les effets de la musique sur les plantes. Tout ça est une question d'ondes. La matière est corpusculaire et vibratoire. Les vibrations sont spécifiques à chaque type de molécule. Quand on propose certaines musiques aux plantes, elles croissent mieux. On peut aussi au contraire les faire dépérir avec des musiques dont les vibrations sont incompatibles avec leur matière. Tu vois où je veux en venir ?

- Le Hum est une vibration spécifique qui affecte les humains ?

- Voilà, c'est ça. En tout cas, l’hypothèse d'une fréquence essentielle à l’apparition et au maintien de la vie, a été posée. »

Tim ne s’arrêta quasiment pas. Trois heures de route. ADN, niveau de fréquences vibratoires, atomes, particules, univers, champs électromagnétiques, analyse de l’ionosphère, utilisation de la résonance en climatologie terrestre et spatiale.

Francis ignorait tout de ces connaissances scientifiques et il s’amusait intérieurement du déferlement de paroles de Tim. De temps en temps, il demanda une explication supplémentaire car il avait rapidement réalisé que tout s’emboîtait, que chaque élément dépendait d’un autre, qu’il n’était possible de suivre qu’à partir du moment où aucune étape n’était occultée ou restée incomprise.

Il sentait combien Tim se réjouissait de son intérêt.

« Mais bon, tout ça, c’est l’état des lieux des connaissances actuelles mais ça ne va pas assez loin pour moi. Toujours les problèmes des scientifiques. Ils avancent à petits pas et décident d’envisager le pas suivant qu’à partir du moment où ils ont très fortement ancré leurs connaissances. Ils n’avancent jamais dans un équilibre précaire.

- Heureusement, non ? Tu n’es pas d’accord avec cette façon de travailler ? C’est un gage de sérieux pour moi.

- Oui, je suis d’accord mais on est dans un état d’urgence et l’urgence appelle des méthodes plus radicales.

- Et c’est quoi ton idée alors ?

- Nous sommes la Terre et la Terre est ce que nous sommes.

- Oui, tu l’as dit tout à l’heure mais il faut que tu m’expliques.

- Nous sommes un Tout, une seule entité. Toi, moi, les autres, tout ce qui vit, les animaux, les plantes, nous sommes des formes matérielles de l’énergie. Et cette énergie est en nous. La Terre est un être vivant, elle aussi. Pour beaucoup, la Terre nous influence, la lune, le magnétisme, l’atmosphère, la lumière, tous les phénomènes naturels terrestres ont un impact sur nous, les humains et sur tout ce qui vit.

- Oui, je n’y connais pas grand-chose mais ça me semble évident.

- D’accord mais si tu considères que tout ce qui vit est intrinsèquement lié, que tout ce qui vit expérimente exactement les mêmes phénomènes, à l’échelle de son état matériel, de sa dimension moléculaire, de son activité, de ses interrelations avec l’ensemble du vivant, alors imagine l’humanité comme une entité unique, libère-toi de toutes les dissemblances de couleurs, de langues, de cultures, pense uniquement à une masse unique, celle de tous les humains.

- Oui, OK, et alors ?

- Puisque la Terre est un être vivant, elle est susceptible, elle aussi, d’être impactée, spirituellement, par le comportement de cette masse humaine, prise dans son entièreté.

- Tu veux dire que le bordel actuel dans l’humanité a un effet néfaste sur la Terre elle-même ?

- Voilà, c’est ça. La Terre reproduit ce que nous sommes, à son échelle. Non pas ce que nous sommes, en tant qu’individus esseulés mais en tant que masse indissociable.

- L’épidémie de choléra, le Hum, les attentats, les conflits, les destructions, tout ça serait un ensemble ?

- Oui. Tout ça est un ensemble, les actes de l’humanité elle-même et celle de la Terre, une forme de partenariat spirituel dévastateur. Il n’y a pas d’un côté l’environnement et l’humanité, pas plus qu’il n’y a d’un côté la Terre et de l’autre cette humanité. Tout fonctionne dans une totale interconnexion. Et c’est la source même du dérèglement climatique, de l’émergence d’épidémie et maintenant de ce phénomène acoustique qui rend fou. L’humanité est spirituellement pervertie par des mouvements de pensées destructeurs, un égocentrisme qui l’a totalement persuadée qu’elle était hors du monde, profitant de la planète sans lui attacher d’autres intérêts que le développement de son pouvoir, de son confort, de sa richesse, de son hégémonie. Le chaos actuel déclenché par je ne sais qui n’est que la suite logique de cette folie, à une échelle que personne n’aurait imaginée.

- Et la Terre suit le mouvement, c’est ça ?

- Exactement. La résonance de Schumann n’est plus équilibrée. L’ionosphère est contaminée par la perversion de l’humanité entière. On sait depuis longtemps que l’atmosphère est polluée par des particules chimiques. Une pollution matérielle. Désormais, c’est une pollution électromagnétique mais elle n’est que l’effet physique d’un effondrement spirituel à l’échelle de la planète toute entière.

- Mais beaucoup de gens se comportent de façon respectueuse avec la planète, je ne peux pas croire que tout le monde est irresponsable. Il y a forcément des individus qui sont engagés dans une voie spirituelle. Je n’en fais pas partie, d’ailleurs, soit dit en passant. Je ne me suis jamais intéressé à tout ça.

- Oui, il y en a mais ils ne représentent qu’une toute petite frange de la population totale. Essaie d’imaginer le nombre d’individus dont le seul objectif de vie est d’ordre matériel, une maison, une ou deux voitures, la consommation, les voyages, la mode, les gadgets technologiques, toujours plus de nouveautés, une fête permanente, effrénée. Je te parle de milliards d’individus. Et ceux qui n’ont pas accès à ce mode de vie sont prêts à tout pour y accéder. C’est le modèle, la référence, l’objectif suprême.»

Sa passion pour les grosses cylindrées, les femmes, les fêtes, le poker, les voyages exotiques, l’argent… Il ne pouvait contester l’analyse de Tim. Ni pour lui, ni pour toutes les connaissances et amis qu’il avait en France. Et au vu du développement économique de la Nouvelle-Zélande et du modernisme des villes, il en était de même ici. Tout le monde courait dans la même direction. Alors, oui, il était acceptable d’envisager l’hypothèse que cette masse émettait quelque chose, une forme de vibration, de fréquence, des ondes. Il ne savait pas l’exprimer. Aussi étranges que puissent paraître les propos de Tim, il n’avait aucune donnée incontestable à lui opposer. Il se dit que c’était peut-être justement la particularité de la dimension spirituelle. Tout et n’importe quoi pouvait y être développé. Rien n’était vérifiable. Et il admit aussitôt que la conclusion était trop simpliste et qu’il aurait déjà fallu posséder davantage de connaissances dans le domaine pour pouvoir argumenter. Devenait-il dès lors une proie idéale pour des individus manipulateurs, des individus illuminés possédant une dialectique capable d’envelopper leurs théories fumeuses dans des discours convaincants ? Tim était-il un scientifique illuminé et lui un béotien crédule ou Tim était-il totalement lucide, un précurseur et lui un auditeur privilégié d’une découverte majeure ? La Terre et l’humanité intrinsèquement liées dans une direction identique. Et que faudrait-il pour inverser le phénomène ?

« Donc, pour toi, le phénomène acoustique du Hum, c’est un dérèglement de l’ionosphère et de la résonance de Schumann ?

- Non, c’est un dérèglement simultané de l’humanité et de la Terre, c’est ça qu’il faut comprendre. Tout est lié. Ce qui se passe dans l’ionosphère n’est qu’une conséquence.

- Et c’est quoi alors ce bruit qui rend fou ? Je veux dire, techniquement parlant.

- C’est une souffrance, un cri à l’échelle de la planète, la masse humaine et la Terre, un cri qui va s’étendre, qui va toucher de plus en plus de gens, indifféremment, n’importe qui.

- On peut donc être atteint, toi et moi ?

- Oui, peut-être, même si, d’après ce que j’ai entendu, les cas semblent concentrés dans les zones urbaines. Ce qui est normal, après tout.

- Les lieux les plus « hors sol », c’est ça ?

- Oui, c’est comme ça que je le vois. Les mégapoles, tu sais ce que ça représente comme émissions polluantes ? Je ne te parle pas que des gaz et polluants atmosphériques mais également de tout ce qui concerne les ondes. Les villes sont devenues des zones de concentration d’ondes. Les cerveaux humains dans cette mélasse sont bombardés. Les ondes alpha, tu peux tirer un trait dessus.

- C’est quand on est détendu, c’est ça ?

- Oui, disons, dans un état de lucidité sereine. C’est pas une phase d’endormissement mais de plénitude. Va trouver des gens dans cet état-là en pleine journée, dans l’agitation d’une ville. Et je ne parle pas que de l’agitation physique des humains mais de celle des ondes qui les enveloppent. Tu connais le nombre de burn-out ou de dépressions dans les zones urbaines, l’intensité du stress liée à un mode de vie d’où est exclu toute sérénité, tout apaisement, autre que quelques récréations dans des centres de remise en forme, de yoga, de bien-être. Foutaises tout ça et surtout un gigantesque business. Apprendre à supporter un monde de dingues, c'est le meilleur moyen pour que ce monde reste dingue. Ce ne sont que des récréations comme celles des gamins à l’école. Mais le stress est toujours là et ces récréations ne sont que des paravents, des marchandisations de la souffrance spirituelle des individus. Tout ça, je te dis, c'est un énorme marché au service de la machine capitaliste. Il faut sauver le soldat Ryan, c’est à dire l’employé, l’ouvrier, l’ingénieur, tous les individus qui font tourner le moteur. Adoucir l'existence d'humains malades, ça ne les guérit pas, ça les renvoie juste au travail.

- Bon, OK, mais tu ne m’as toujours pas dit ce que c’est ce Hum.

- Si, je te l’ai dit mais ça ne rentre pas dans ta tête parce que, pour toi, ça ne tient pas la route. C’est un cri, une souffrance. Celle de la masse humaine associée à celle de la planète. L’humanité est folle, la Terre suit le mouvement. Nous sommes la Terre et la Terre est ce que nous sommes. Tu comprends maintenant ? »

Silence.

« Nous ne sommes qu’un, non pas uniquement en tant qu’individus dans la masse mais un avec la Terre, elle-même.

- Voilà, c’est ça. Et donc, désormais, au vu de tout ce qui se passe sur la planète, on est qu’au début de ce que la Terre est susceptible de déclencher pour accompagner l’humanité.

- Et ce Hum, en montant au chalet, on s’en met à l’abri ?

- Si tu veux être à l’abri, c’est à l’intérieur de toi que tu trouveras le refuge.

- Comment ça ?

- La paix. Trouve la paix. »

Il s’en sentit incapable, à peine la phrase de Tim achevée. La paix. Avec ce qu’il avait fait, avec tout ce mal, toute cette souffrance, cette honte qui le rongeait.

« Tu es en paix, toi ?

- Non, absolument pas. Mais j’en ai conscience et je travaille sur moi pour régler le problème. Ce qui n’est pas le cas de millions d’individus. Les gens sont endormis, spirituellement parlant.

- Et pourquoi, tu n’es pas en paix ?

- Je te le dirai un jour. Peut-être. »

Tim avait donc, lui aussi, un secret. Et de le découvrir, Francis se sentit réconforté.

« Donc, si la Terre s’est mise à l’unisson de l’humanité, elle pourrait déclencher d’autres phénomènes qu’on n’a pas encore vus.

- Oui, évidemment. Tremblements de terre, éruptions volcaniques, tsunami, méga tempêtes, des orages dévastateurs, pas des tempêtes du siècle comme on en voit parfois mais des tempêtes jamais vues de toute l’histoire de l’humanité. On pourrait même imaginer une forme de révolte chez les animaux. Depuis le temps que les humains les maltraitent, ça serait parfaitement justifié. D'ailleurs, si le bordel est installé pour une durée indéterminée, tu vas voir les villes progressivement englouties par les plantes. Il y a plein d'endroits sur la planète où la végétation a pris le dessus. Il suffit que les humains disparaissent pour X raisons. Les plantes qu'on arrache, qu'on empoisonne, qu'on brûle, elles ont une puissance de vie qu'on n'imagine pas.

- Donc, tout est possible ?

- Et même ce qu’on ne peut pas encore imaginer. »

 

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