A CŒUR OUVERT : Le destin et l'intention de la vie
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/10/2012
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"Nous vivons dans des schémas de pensées, des répétitions rassurantes sur lesquelles nous bâtissons l’identification qui nous convient et que les autres adoptent. C’est l’habitude. Un leitmotiv ronronnant. Tout ce qui porte atteinte à cette mélodie connue est considérée comme une agression, une atteinte à cette liberté que nous croyons posséder. Alors, nous renforçons les défenses. Accumulation de biens, accumulation de relations, accumulation de connaissances. Mais il n’y a aucune compréhension interne. Tout cela reste tourné vers l’environnement immédiat, une scène onirique. Personne n’est là, réellement. C’est un théâtre de marionnettes. La révélation du drame vient fermer le rideau, les acteurs disparaissent, le jeu s’arrête, le public a quitté la salle, les lumières se sont éteintes. Si les résistances sont suffisamment puissantes, l’individu concerné prend peur. Il appelle au secours, il crie, il hurle, il maudit la vie et ses épreuves. Mais si la rupture est totale, la porte s’ouvre. L’individu découvre une autre forme de perception. Il ne comprend rien mais pourtant, tout tombe en lui comme dans un puits ouvert. Plus aucune résistance. À cœur ouvert. C’est ainsi que je nomme cet état.
-Et pourquoi dites-vous qu’il n’y a pas de hasard ?
-Parce que c’est une intention. Celle de la vie elle-même. Elle a un projet. L’extrême complexité du phénomène vivant ne peut pas être vide de raison. Non pas une raison cartésienne et castratrice mais une raison comme un objectif. Il y a une raison à tout ça.
-Et le drame serait une ouverture ?
-Parce que nous rejetons d’emblée l’idée d’une exploration. Le paradigme établi sert de modèle éducatif. Nous nous sommes trompés.
-Cela signifierait que la vie n’a pas su prévoir ce qui arriverait ?
-Peut-être avions-nous le potentiel et qu’elle nous a laissé le choix de nous en servir. Certains y parviennent sans attendre. D’autres sont sur le seuil. Ils ont juste besoin d’une aide provisoire, un coup de pouce de ce destin qui n’en est pas un.
-Pas de destin non plus alors ? Tout comme le hasard ?
-Non, évidemment. Mais il y a une volonté qui ne nous appartient pas. L’idée de destin suppose que nos vies sont écrites d’avance. Ce qui existe, ce n’est pas un destin fixe et irrémédiable, mais des tendances, des influences profondes, liées à notre passé, nos racines, notre milieu social, notre époque, toute notre éducation. Le destin qui concerne notre futur est une invention du passé. Tout ce qui a été vécu est projeté dans l’avenir si l’individu n’en a pas conscience. C’est comme s’il polluait à priori un espace vierge. Il n’y a rien d’écrit mais il existe un réseau gigantesque d’influences. Il dépend de chacun de les identifier et de s’en extraire si nécessaire. Le destin n’existe pas fondamentalement, c’est l’apathie spirituelle qui le créé. C’est là que je pense que se situe la volonté de la vie. Que nous devenions lucides. Le destin est une vision étroite de nos existences. La volonté de la vie est de nous apprendre à aller voir plus haut.
-Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir évolué au seuil de cet espace avant mon infarctus. Pourquoi moi ?
-Je n’en sais rien. Et pourquoi moi d’ailleurs ? Et pourquoi pas Tyler ? J’y ai tellement songé que j’ai fini par comprendre qu’il n’y a pas de réponse. Pas à mon niveau de compréhension. Comment pourrais-je ramener à mon échelle le projet d’un Univers alors que j’évolue dans le creuset étroit d’une vie modélisée ? Lorsque la prétention humaine atteint un tel aveuglement, plus rien n’est possible. À la raison de l’Univers, j’oppose la raison de mon conditionnement. Et plus je progresse dans des connaissances ingérées, plus je m’éloigne de l’ouverture de la porte. »
Un tel choc. Il n’avait rien à opposer, rien à ajouter. Le chemin se devait d’être personnel.
« Si tu n’es pas toi-même, qui pourrait l’être à ta place. C’est de Henry David Thoreau, précisa-t-elle. Et je ne veux pas me détacher de ça. C’est pour ça que j’écris. Je pense que seule cette démarche permet d’extraire de soi l’essentiel. Les pensées sont insuffisantes, elles sont trop volages. Si vous cherchez à les développer avec vos semblables, elles se perdront en cours de route parce qu’elles opteront pour la confrontation ou la séduction et cette intention, quelle soit conflictuelle ou imitative, vous arrachera à vous-mêmes. Rien ne peut se faire hors la solitude existentielle. Les mots seront des balises, des scalpels, les outils de l’autopsie. Lorsque j’écris, ce sont les mots qui créent le courant de l’exploration, ils se nourrissent les uns les autres, Il ne s’agit pas seulement de pensées mais de sculptures. Tout reste gravé et la contemplation des architectures déclenche immanquablement le désir de reprendre le burin et de tailler encore et encore dans la masse. Sans ces écrits, vos pensées se sont évanouies depuis bien longtemps déjà. Vous est-il déjà arrivé de parvenir à prolonger le travail déclenché par une pensée, deux, trois ou dix jours après son apparition ? Non, bien sûr, c’est impossible. L’essentiel s’est perdu en route. Il vous restera peut-être le thème principal mais vous devrez reprendre le chemin au départ et même si vous parvenez à retrouver une balise sur le chemin, vous n’aurez plus aucun retour possible sur le chemin parcouru. Vous avancerez par bonds. Rien de continu, rien de linéaire. Juste des pensées anecdotiques et sporadiques. Il est impossible à mes yeux de progresser de cette façon. Et c’est très représentatif justement de la dispersion chronique d’une immense partie de la population. D’autant plus que les bonds sont programmés par les phénomènes extérieurs. L’actualité, les médias, les liens sociaux, la famille, les contingences quotidiennes, professionnelles ou autres. Beaucoup trop de parasites ou d’interférences. Les individus n’ont pas de continuité intérieure. Ils vivent par bonds incontrôlés. »
Elle s’arrêta.
Il l’observait. Elle n’avait pas bougé. Toujours cette tenue de tête, le dos droit, les mains posées sur les cuisses, aucun geste insoumis, aucune tension ou marque d’énervement, une exigence physique, un complet contrôle, un reflet matérialisé de son univers intérieur.
Commentaires
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- 1. Jean-Michel Le 23/10/2012
Faut-il aller jusqu'à provoquer la rupture brutale ? Ça me semble demander une force hors du commun. Parce que si "ça" n'arrive pas, comment va t-on tenir avec sa conscience à moitié allumée ?
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