L'intuition... Il convient à mon sens d'analyser ce que nous entendons par là. Premièrement, il me semble que nous sommes obligatoirement au fil du temps engagés dans des schémas de pensées et que ces schémas constituent des chemins sur lesquels nous aimons avancer. Dès lors, nous risquons de voir dans un phénomène la validation d'une pensée ancienne, sa confirmation. C'est là que la vigilance ou la lucidité jouent un rôle essentiel.
Il est possible par conséquent que le cas surprenant d'une intuition vienne nourrir en moi l'idée de cette âme qui a en charge mon parcours. Ca ne serait donc nullement une preuve mais juste un ressenti qui convient à mon cheminement spirituel.
Mais il est possible également que cette intuition soit en fait nourrie elle-même par l'assemblage hétéroclite de mes anciennes expériences de vie et que ce que j'appelle une intuition ne soit en fait qu'une résurgence inconsciente issue de ma mémoire.
Je prends un exemple.
Je fais de l'escalade. Il m'arrive parfois d'arriver dans un passage particulièrement complexe et je ne sais pas si je dois prendre à droite ou à gauche, rien ne me permet d'être certain de la suite. Et pourtant, il pourrait s'avérer redoutable de ne pas partir dans le bon passage. Alors, j'observe, j'essaie de trouver des repères... Et puis, là, soudainement, j'ai l'intuition que je dois partir à droite... Qu'est-ce qui s'est passé ? On pourrait imaginer qu'en fait, dans ma mémoire, il reste quelques traces d'une ancienne voie, ressemblant quelque peu à celle-ci et que la décision que j'avais prise d'aller à droite s'était révélée juste...Peut-être que la couleur du rocher, la lumière, la structure de la roche, la forme d'un pilier ont suffi à créer dans mon inconscient le rappel de cette décision favorable. Je ne m'en souviens pas, de façon rationnelle, mais ce ressenti est là. Et je vais le suivre.
Si cette décision s'avère être la bonne, selon mes schémas de pensées, je vais considérer cette intuition comme un signe intérieur, une écoute intime, une apparition de mon âme, celle qui a en charge mon parcours.
Ou alors, il ne s'agira que d'un pur hasard, un sacré coup de chance... Aucune intention d'âme mais juste une issue favorable, une tournure qui aurait tout aussi bien pu virer au cauchemar...
Prenons maintenant le cas d'une décision défavorable. Après une longue traversée ascendante sur des prises ridicules, je me retrouve au pied d'un pilier surplombant absolument infranchissable. Et cette traversée que je viens d'effectuer m'interdit tout retour...Je suis piégé...Selon mes schémas de pensées, je vais voir dans cette situation une sacrée déveine ou une mauvaise intuition... Mais comment peut-on concevoir une mauvaise intuition si on accepte l'idée qu'elle vient de notre âme ? Ça paraît impossible que notre âme soit à la source d'une galère monumentale ?
"Ah, la vache, pourquoi elle me fait ça ????"
Mais dans le cheminement de l'âme, cette galère est nécessaire. Je ne dois pas la voir avec mon mental. C'est là que prend toute la force de cette conception de la vie. Je suis là, c'est à dire moi en tant qu'individu, parce que mon âme a besoin de cette épreuve pour avancer ou pour que tout s'arrête. Il ne me reste donc qu'à entrer en lutte contre mes faiblesses pour voir où cette intuition d'âme veut m'amener. Ça ne dépend pas de moi que je sois là mais ça dépend de moi, pour l'instant, que je mette tout en oeuvre pour m'en sortir...Et là, j'aime mon âme dans ce qu'elle me propose de vivre. Et si je tombe et que tout s'arrête, c'est que l'âme jugeait cette fin idéale dans son parcours d'âme.
Cette question du "destin" dans les mains de cette âme est un sacré problème.
Si effectivement, nous décidons qu'il existe une "ame", une "énergie", un "Soi", etc ...et que cette âme a une Conscience, non pas notre conscience mentalisée (J'ai conscience en ce moment de ce que j'écris) mais une Conscience qui appartient à une dimension éternelle, universelle, qui prend sa source dans le flux vital et ne peut pas le quitter, une âme qui a besoin de parcours matérialisés dans une enveloppe pour affiner son évolution, alors on peut s'attendre de sa part à un choix objectif, elle sait ce dont elle a besoin, cette Conscience a conscience de ses manques, de ses errances, des paramètres inachevés, elle va donc chercher une "destinée" qui correspondra à ce qu'elle doit apprendre, on peut imaginer une âme étudiant diverses options humaines et choisissant par exemple l'enveloppe de celui qui va devenir "moi". Cela sous-entend qu'elle a donc accès à une vision future, qu'elle peut "imaginer" ce qui va se produire dans la vie de ce "moi", tout ce qu'elle va pouvoir développer au coeur de cette enveloppe...
Dès lors, ce "moi", lorsque sa conscience sera suffisamment évoluée, va chercher à comprendre son "destin", son cheminement, les évènements survenus dans sa vie et sur lesquels il n'avait aucune emprise possible, sa naissance, sa famille, son pays, son physique etc..."Mais pourquoi, pourquoi, pourquoi ?"...
Et là, on entre tous dans un conflit intérieur parfois redoutable. Nous allons nous plaindre, nous lamenter ou nous réjouir d'un destin qui nous brutalise ou nous comble alors que ce regard est issu d'un mental, de l'ego, de nos identifications et pas de cette âme...Elle, l'âme, elle sait très bien où elle va...Notre vision du Bien ou du Mal doit bien l'amuser d'ailleurs...
Même le nouveau-né qui va mourir deux heures après sa naissance a une âme qui savait ce qu'elle voulait.
Si on rejette cette éventualité parce qu'elle est insupportable, alors il faut rejeter tout le concept d'âme.
Il faut à mon sens établir une distinction claire et nette entre l'âme et le mental, et ne pas essayer de comprendre l'âme avec ce mental.
Evidemment, lorsque je vois la catastrophe aux Philippines, je me demande par quelle épouvantable malédction, ce peuple peut encore avoir été frappé, comment un tel acharnement néfaste peut exister... Une vision mentalisée, par compassion...Même si d'ailleurs, dans mon salon, elle ne sert à rien...
Mais, reprenons l'idée de l'âme. Il y aurait donc dans la vie brisée de tous ces gens le choix volontaire d'une âme... Difficile à accepter... Parce qu'il est très douloureux de se dire que cette immense souffrance est intentionnelle et que cette intention nous sera toujours inaccessible... C'est sans doute cela le plus effroyable... Nous ne connaitrons jamais le projet de cette âme. Nous continuerons à errer au gré des évènements exogènes sans jamais savoir ce qui se trame depuis le début au coeur de cette enveloppe fragile.
Si, et seulement si, nous considérons cette hypothèse viable...
Car, si ça n'est pas le cas et qu'il faut s'en tenir à un hasard facétieux, ou sordide, alors, il faut accepter cette errance absolue et opter pour l'absurdité définitive de l'existence. Nous n'allons nulle part, ni en tant qu'individu, ni en tant qu'esprit, si jamais il y a autre chose qu'un simple cerveau... Nous nous rapprochons juste des vers qui nous rongeront.
Il faut choisir. Une intention ou le néant.
J'en viens à me demander si cette fameuse intuition ne serait pas une entité à part entière qui se révélerait dans certaines situations mais bien plutôt l'osmose enfin établie entre notre raison et nos émotions.
Imaginons deux voies parallèles : celle tracée par la raison, c'est à dire notre intellect et l'accumulation de connaissances tirées de nos expériences, la capacité à nous servir de ces expériences pour avancer dans la voie de cette connaissance et puis une deuxième voie tracée par nos émotions, le bouleversement généré par l'usage de nos cinq sens, joie, colère, contemplation, des émotions qui se mêlent à l'interprétation faite par notre intellect et par conséquent, bien souvent, un détournement de ces émotions, un alourdissement, des dérives.
Il est difficile d'imaginer un individu avançant dans une voie sans jamais explorer son parallèle.
L'intuition consisterait par conséquent, non pas à tracer une troisième voie (sur quelle base serait-elle construite ?) mais bien plutôt à unifier ces deux entités en nous pour construire une voie bien plus large, cesser le passage alterné de la voie de la raison à celle des émotions tout en parvenant à user des deux potentiels pour projeter l'individu dans une unification supérieure, une osmose créatrice.
Pour Platon, l'intuition est la saisie immédiate de la vérité de l'idée par l'âme, indépendamment du corps.
Au contraire pour Épicure, l'intuition est la saisie immédiate de la réalité du monde par le corps, indépendamment de l'âme.
Et s'il s'agissait d'une saisie concertée ? L'apparition spontanée de l'individu unifié ?
Lorsque je suis dans en montagne et que j'ai l'intuition que le passage à suivre est à gauche alors que les éléments visuels me pousseraient davantage vers la droite, n'y a-t-il pas en moi une réunification de TOUS les éléments dont je dispose, à travers la connaissance générée par l'expérience et simultanément, une "divination" des ressentis sensitifs...
Pour Michel Henry, l'intuition est la propriété que possède la vie de se sentir elle-même hors de toute idée.
C'est là que je me retrouve. Toujours cette projection vers un accord absolu avec la Vie. Il ne s'agit pas d'un cheminement volontaire mais d'une offrande de l’Énergie vitale lorsque l'humilité me fait accepter l'idée que je ne suis pas le Maître de mon existence mais que je peux être le Maître de ce que la Vie me propose.