Le savoir de l'école.
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/09/2013
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JARWAL LE LUTIN
Tome 4
Ils finirent leur casse-croûte et reprirent le chemin.
Les interrogations s’éveillèrent rapidement. Lou voulait en savoir davantage sur le voyage de l’eau. Tian s’intéressait grandement aux Kogis. Il pensait aux Tibétains, colonisés à leur tour. Encore et toujours des soumissions et des douleurs, rien n’avait changé dans le fonctionnement de l’humanité.
Marine essayait d’expliquer ce que Jarwal avait découvert à travers la perte de sa mémoire.
« Il dit que si on reste attaché à notre mémoire, on perd la conscience de la vie. Mais c’est compliqué à expliquer en fait. C’est comme si le passé que notre mémoire garde en elle nous privait de la compréhension de la vie immédiate.
-Un peu comme si on traînait un fardeau. On dépense notre énergie pour ça alors qu’on devrait l’utiliser dans l’instant présent, c’est ça ? demanda Tian.
-Oui, c’est ça, acquiesça Marine, en souriant au jeune garçon. Mais en plus, Jarwal disait qu’on en finissait par ne plus exister réellement. On se souvenait d’avoir vécu et on se servait de ces souvenirs pour recevoir le présent.
-Par exemple, en ce moment, on est tellement attaché au souvenir de Jarwal qu’on en finit par ne plus voir ce qui nous entoure, ajouta Léo, alors que la petite troupe arrivait au col.
-Tu as bien raison, petit frère, renchérit Rémi. On ne se sert même pas de ce que Jarwal nous a appris. C’est nul.
-C’est bien la preuve que quand on apprend quelque chose, ça n’est pas pour autant que c’est à nous.
-Oh oui, Léo, alors tu imagines un peu avec tout ce qu’on doit avaler à l’école, reprit Marine. Et en plus, ça ne nous concerne pas directement. C’est juste du savoir. Alors que Jarwal, il nous parle de notre vie. Et pourtant, même ça, on n’arrive pas vraiment à s’en servir.
- Dites donc, vous n’imaginez pas le plaisir que j’ai à être avec vous. Je pensais qu’on allait juste faire une balade en montagne et j’étais déjà très contente mais alors, là, ça dépasse tout ce que j’espérais, lança Lou, rayonnante. C’est chouette toutes ces discussions. C’est triste d’ailleurs qu’à l’école, on ne parle jamais de tout ça et même entre nous, comme si l’endroit lui-même nous rendait bête.
-Ah, ah, éclata Tian, c’est exactement ça, c’est un endroit qui nous rend bête de savoir.
-Et qui nous éloigne de nous-mêmes, continua Rémi, en nous racontant que c’est pour nous préparer à gagner notre vie. Je déteste cette expression. »
Un regard de Lou que Rémi surprit, un choc immense, l’attention qu’elle lui portait, comme une volonté de le comprendre, de saisir tout ce qu’il portait, la tête légèrement inclinée, une interrogation curieuse, tendre, le bonheur de la rencontre, une découverte inattendue. Comme une fenêtre ouverte sur un espace inconnu.
Ils regardèrent silencieusement les horizons gagnés. La chaîne de la Lauzière et ses arêtes dentelées, les forêts comme arrêtées par une ligne infranchissable, l’altitude dessinée sur le faîte des derniers arbres, une longue ligne régulière courant sur les flancs, les alpages les dominant jusqu’aux premières zones rocheuses et cet élan vertical projetant vers les cieux immobiles des flèches minérales.
Ils percevaient, remontant du fond de la vallée, la rumeur des camions et des voitures filant sur l’autoroute, une rumeur sourde, envahissante.
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