Les Aventuriers
- Par Thierry LEDRU
- Le 17/11/2012
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Où sont les Aventuriers ?
Question ironique en fait. Il y en a de plus en plus mais on ne les voit plus au point qu'on pourrait penser qu'ils ont disparu et que la vie moderne les a "exterminés".
C'est le départ du "Vendée Globe" qui m'a fait repenser à mon enfance et à mon adolescence. Je connaissais et j'admirais quelques aventuriers, mes quelques copains en faisaient de même. Walter Bonatti, Eric Tabarly, Joshua Slocum, Vito Dumas, Bernard Moitessier et puis plus tard Eric Escoffier, Patrick Edlinger, Jean Marc Boivin, Catherine Destivelle, Hélène Mac Arthur, Laurence de la Ferrière, Jean Louis Etienne, Olivier de Kersauson, Alain Gauthier, il y en a tellement...
Est-ce que quelqu'un aujourd’hui sait qu'un homme a traversé l'Océan Atlantique à la nage en tirant un radeau derrière lui pour la nuit? Pas de bateau accompagnateur... Il s’appelait Guy Delage.
Rémi Bricka a traversé l’Atlantique en « marchant » sur des skis flottants…
Qui a entendu parler de Mike Horn, premier homme à faire le tour du monde en suivant l'Equateur sans assistance, en autonomie totale?
Il y en a tellement.
Pourquoi ont-ils disparu de l'univers du grand public, pourquoi les enfants ne les connaissent plus et surtout, bien plus importants que tout, pourquoi ces hommes et ces femmes ne représentent-ils plus rien, ne sont plus porteurs de rien? Qu'est-ce qui fait qu'ils ont disparu alors qu'ils sont beaucoup plus nombreux qu'il y a vingt ans? Par qui ont-ils été remplacés et pourquoi?
Pourquoi les marins du Vendée Globe laissent-ils autant de monde indifférent?...Sur le journal « L’équipe », un sondage disait que 35% des Français suivraient le Vendée Globe...
Quand j'avais quinze ans, il y avait une émission à la télé, "Les carnets de l'aventure", c'était géant, magnifique. Supprimé sur l'autel de l'audimat. Quand Arte a passé un film sur les frères Hubber, j'ai obtenu auprès de la chaîne les statistiques sur l'audimat et c'était désastreux. Ces deux gars ont pourtant un charisme fabuleux, une histoire incroyable, une osmose extraordinaire... Je ne pense pas que la télé soit entièrement responsable de cette disparition des aventuriers. Il faut plutôt voir un désintérêt de la part du public. Pas d'audimat, plus d'émission, c'est simple...
Je suis étonné de voir sur un forum littéraire principalement occupé par des jeunes (15-25 ans) une absence de discussions sur les aventuriers. Je ne m'attendais pas à voir des échanges là-dessus toutes les semaines mais depuis mon inscription, je n'en ai jamais vus. Dans cette littérature là, il y a pourtant eu des livres magnifiques qui ont marqué des générations: "A mes montagnes" de Walter Bonatti ou "La longue route" de Bernard Moitessier. Une vraie littérature, une vraie qualité, pas juste un compte-rendu d'expé ou d'exploit. Des pages d'une force inouïe.
Que s'est-il passé?
Je fais une distinction importante entre le monde des aventuriers et celui des sportifs. Leurs intentions, leurs raisons, leurs objectifs, leurs rêves ne sont pas les mêmes. Le Vendée Globe est évidemment une compétition mais elle garde une part d'aventure . Gerry Roufs ou Nigel Burgess n’en sont pas revenus… Tony Bullimore, Thierry Dubois, Raphael Dinelli, s’en sortis d’extrême justesse.
Quand Raphaella le Gouvellou traverse le pacifique en planche à voile, elle est seule. Ça reste un exploit personnel, pas une compétition. Elle n'a quasiment pas de sponsor, aucune couverture médiatique. Elle n'est pas dans un espace sportif comme on le vit avec les médias.
Gérard d'Aboville a vendu sa maison pour pouvoir payer l'embarcation qui lui a permis de traverser l'Atlantique à la rame. Les droits d'auteur de son livre lui ont permis de repartir pour la traversée du Pacifique et ce livre-là est grandiose ! (cette traversée n'a jamais été refaite depuis.)
Un engagement énorme, la "gratuité" de l'acte, juste une passion exclusive, une façon de concevoir l'existence. Bien sûr que chaque génération a ses aventuriers mais l'acte lui-même ne change pas. La technologie a évolué mais l'homme est le même. Aujourd'hui, certains font un 8000 mètres en 2 jours quand il en fallait 20 il y a trente ans. La préparation est beaucoup plus affinée, le matériel, les repérages, la phase préparatoire, la connaissance physiologique, psychologique, la connaissance du terrain, de la météo etc...Ça n'empêche pas les aventuriers de connaître des échecs et parfois de ne pas revenir.
En fait, je pense qu'il y a une très grande méconnaissance de beaucoup de monde sur ce milieu-là. Sur les gens qui y vivent et y trouvent leur bonheur. Les repères qui sont les leurs ne sont pas ceux qui ont cours.
Quand j'entends mes élèves demander : "Mais combien il gagne de sous celui qui gagne le Vendée Globe?", ça donne une idée du problème...
Le sport ultra médiatisé impose des repères matérialistes. Les garçons ne rêvent pas de jouer au foot, ils rêvent d’être millionnaires en jouant au foot.
Pourquoi les médias et le public vont-ils s'intéresser au derby OM/PSG, en parler trois semaines à l'avance et trois semaines après le match et ignorer ceux qui sortent du "cadre"?...
Lorsque Tabarly gagne la transat anglaise en 1966 je crois bien, il descend les Champs Elysées encadré par une foule gigantesque. L'impact état énorme.
Cet engouement n'existe plus.
Il y a bien un public et ils sont bien souvent d'ardents défenseurs de la cause existentielle des aventuriers mais ce public est relativement âgé. Ne s'y trouve pas la jeune génération à quelques exceptions près, heureusement.
Il suffit d'aller dans un collège demander aux élèves de citer le nom des marins du Vendée Globe.
Combien parmi eux sauront qu'aujourd'hui vient de disparaître Patrick Edlinger...
Un homme que j'ai rencontré une fois, à Buoux, une immense gentillesse, une très grande humilité.Il a "révolutionné" l'image grand public de l'escalade. Patrick Berhault était très souvent encordé avec lui. Qui se souvient de Patrick Berhault disparu dans les Alpes ?
On les prend pour des fous parce que leurs défis sont personnels, qu’ils ne s’enrichissent pas, qu’ils risquent de mourir. Dans la logique actuelle, on a à faire à ce genre de raisonnements : à quoi ça sert ?
Et en effet, prendre le temps d'être seul, de se retrouver face au monde, et de se contenter d'atteindre un objectif, plus pour le chemin que pour la destination, c'est une vie décalée.
Les critères de réussite sociale ont toujours fait des véritables aventuriers des fous. On les appelait "Les conquérants de l'inutile" mais Lionel Terray qui utilisait l'expression pour un de ses livres, était imensément connu en France.
Qui aujourd'hui a entendu parler de Lionel Daudet ? Sa "voie intérieure" est pourtant si belle.
L'affection que je porte à certains aventuriers vient du fait que ce sont des individus qui portent une vision de la vie que j'aime particulièrement. Je sais ce qu'ils m'ont apporté. Ça a la même importance que certains écrivains. Je pense que pour les enfants, les ados et même les adultes cet engagement dans une voie personnelle, hors de toute limite, a une force immense. Et qu'elle manque dans ce monde agité. Je le vois en permanence avec les enfants que je côtoie.
Alessandro di Benedetto, marin italien. Il participe au Vendée Globe mais il a déjà fait le tour sur un voilier de 6m50...Hallucinant...
Les garçons de ma classe connaissent les footbaleurs italiens parce qu'ils en entendent parler et qu'ils gagnent des millions. L'argent est devenu l'objectif, le moyen est secondaire.
L'identification des garçons est trouvée.
Pour les filles, il s'agira des chanteuses et des people.
C'est caricatural mais malheureusement général.
Pour les filles, il ne s'agit pourtant pas de manque d'exemples. Florence Arthaud, Peggy Bouchet, Priscilla Telmon, Isabelle Autissier, Catherine Destivelle, Helen Mc Arthur, Raphaelle le Gouvenou, Samantha Davies... Elles existent ces femmes.
Bon, une pensée pour les marins du Vendée Globe, avec un aperçu de ce qu'ils vont connaître dans le Grand Sud...
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