"Les yeux ouverts" Marguerite Yourcenar

Marguerite Yourcenar  : Yeux ouverts

Les Yeux ouverts : un magnifique texte sur l’éducation de Marguerite Yourcenar de 1981

Marguerite Yourcenar (8 juin 1903 – 17 décembre 1987), romancière, essayiste et traductrice, fut la première femme à entrer à l’Académie française. En 1980, elle publia Les Yeux ouverts, une sorte d’autoportrait qui laisse apparaître de nombreuses réflexions personnelles sur l’éducation des enfants, un texte à la fois rempli d’humanisme et de courage.

Pour répondre à la question de l’éducation pour nos enfants, Marguerite Yourcenar a donné une réponse à la fois innovante et pleine de bon sens, et qui reste toujours autant d’actualité.

L’écrivaine aurait aimé que l’on éduque les enfants pour qu’ils deviennent des êtres pleinement conscients du monde, pour qu’ils prennent conscience de ses forces mais également de ses faiblesses. Bien que ce texte ait été écrit en 1980, il reste toujours autant d’actualité.

Marguerite Yourcenar / Image crédit :commons.wikimedia.org

 

« Je condamne l’ignorance qui règne en ce moment dans les démocraties aussi bien que dans les régimes totalitaires. Cette ignorance est si forte, souvent si totale, qu’on la dirait voulue par le système, sinon par le régime. J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l’éducation de l’enfant.

Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire.

Il apprendrait que les hommes se sont entretués dans des guerres qui n’ont jamais fait que produire d’autres guerres, et que chaque pays arrange son histoire, mensongèrement, de façon à flatter son orgueil.

On lui apprendrait assez du passé pour qu’il se sente relié aux hommes qui l’ont précédé, pour qu’il les admire là où ils méritent de l’être, sans s’en faire des idoles, non plus que du présent ou d’un hypothétique avenir.

On essaierait de le familiariser à la fois avec les livres et les choses ; il saurait le nom des plantes, il connaîtrait les animaux sans se livrer aux hideuses vivisections imposées aux enfants et aux très jeunes adolescents sous prétexte de biologie. ; il apprendrait à donner les premiers soins aux blessés ; son éducation se%uelle comprendrait la présence à un accouchement, son éducation mentale la vue des grands malades et des morts.

On lui donnerait aussi les simples notions de morale sans laquelle la vie en société est impossible, instruction que les écoles élémentaires et moyennes n’osent plus donner dans ce pays.

En matière de religion, on ne lui imposerait aucune pratique ou aucun dogme, mais on lui dirait quelque chose de toutes les grandes religions du monde, et surtout de celle du pays où il se trouve, pour éveiller en lui le respect et détruire d’avance certains odieux préjugés.

On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile, et à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs.

Il y a certainement un moyen de parler aux enfants de choses véritablement importantes plus tôt qu’on ne le fait. »

 

 

 

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