Méditerranée : tourisme, industrie, pollution.
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/07/2019
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Avec 300 millions de touristes, la mer Méditerranée est en train de devenir une mer morte
Avec 80 % des déchets provenant de la terre ferme, la Méditerranée est l’une des mers les plus polluées au monde. Cela n’empêche pas les géants du pétrole et du gaz d’y avoir des projets de forage. Le commerce mondial maritime est également responsable dans les dégâts causés à la biodiversité méditerranéenne. 120 000 cargos y transitent chaque année, ce qui déstabilise énormément les espèces marines à cause du bruit des moteurs.19 juillet 2019 - Laurie Debove
Considéré comme l’un des berceaux de l’humanité, la Mer Méditerranée a de tous temps attiré l’humain avec sa nature exceptionnelle accessible à tous. Dans son documentaire, disponible en replay sur Arte, Alexis Marant donne à réfléchir sur l’activité humaine dans cet écrin naturel, et le changement de pensée à effectuer pour mieux le préserver.
L’impact du tourisme de masse
Avec 300 millions de touristes chaque été, la Méditerranée est l’une des premières destinations touristiques au monde, ce qui crée une pression dramatique sur ses écosystèmes. Au cours des 20 dernières années, rien que le nombre de passagers de croisières a été multiplié par 4,5. Ces mastodontes flottants, faisant parfois 350m de long, amènent dans leur sillage une pollution atmosphérique et maritime avec leurs moteurs qui tournent 24h/24, même à quai, pour alimenter en énergie toutes les activités mises à disposition pour les touristes.
« Les particules fines émises par les paquebots pénètrent les poumons, passent à travers les tissus et peuvent provoquer des maladies du cœur. En passant par le nez, elles atteignent le cerveau et peuvent provoquer des maladies comme Parkinson, des cas de démence ou encore des fausses couches. Ces particules fines mais aussi le souffre et l’oxyde d’azote font exploser le taux d’ozone, ce qui rend ces bateaux de croisière 5 fois plus polluants qu’un diesel automobile. Les habitants comme les touristes sont touchés par ces pollutions. » détaille dans le documentaire le Dr Axel Friedrich, expert en qualité de l’air qui a révélé le scandale du DieselGate
Un comble pour les touristes qui, en se payant des vacances sur un paquebot, souhaitaient profiter de « l’air marin ». Si, sous la pression des locaux, le gouvernement italien a fini par interdire le passage des paquebots dans le centre de Venise, il n’en est pas de même pour d’autres villes méditerranéennes qui voient dans ce secteur en hausse une manne financière.
L’Espagne a ainsi lancé le programme « Blue Carpet » pour attirer toujours plus de bateaux de croisières. A Palma de Majorque, ils sont passés de 500 000 à 1,9 million de passagers par croisière à l’année, et les autorités des ports des Baléares comptent bien voir ce chiffre augmenter. Pourtant, en disposant d’une pension complète à bord, les passagers de croisières dépensent de moins en moins d’argent dans les villes lors de leurs visites.
Développement économique pour hécatombe écologique
Pour accueillir tous ces paquebots de croisière, le nombre de ports a doublé (de 50 à 100) en dix ans en Méditerranée. Le tourisme, qu’il soit de masse ou de luxe, a ainsi entraîné la bétonisation massive du littoral, avec la construction incessante de stations balnéaires et de marinas. Entre 2005 et 2025, 5000 km supplémentaires de littoraux auront été bétonnés.
A Porto Monténégro, la collusion entre le multimillionnaire canadien Peter Munk et Milo Đukanović, resté 30 ans au pouvoir et toujours Président du parti politique principal du pays, a dramatiquement changé la face du littoral pour accueillir les yachts saoudiens et russes de grande taille. Cela a paupérisé une très grande partie de la population, réduite à travailler dans des activités de service mal rémunérées.
« Il n’y a jamais eu un cas où l’intérêt écologique l’a emporté sur l’intérêt économique, résultat on est au même stade qu’il y a 30 ans sur la Méditerranée. On a un système économique dans lequel on ne compte jamais la totalité de notre patrimoine collectif, ou le coût porté sur le patrimoine par toute destruction. Si on le faisait, je ne suis pas sûre qu’on aurait la même vision de la vie. » explique Corinne Lepage, ancienne Ministre de l’Environnement, dans le documentaire
En 2016, l’Unesco a menacé de retirer la baie de Kotor du patrimoine de l’Unesco si cette bétonisation à outrance continuait, pour l’instant sans effet.
A Porto Monténégro comme dans la majeure partie du bassin méditerranéen, les populations ne sont pas consultées dans les politiques d’aménagement du littoral.
En Tunisie, à 80km des plages de Djerba, la région de Gabès exploite la principale source du pays : le phosphate qui va servir pour faire de l’engrais. Un canal de l’entreprise déverse dans la Mer les résidus de la production phosphorique et d’engrais, un cocktail polluant explosif qui a anéanti les fonds marins sur des kilomètres. Toute la faune et la flore ont été tuées, les pêcheurs ont dû investir dans des plus gros bateaux pour aller pêcher au large.
Les espèces endémiques à sauver
Avec 80 % des déchets provenant de la terre ferme, la Méditerranée est l’une des mers les plus polluées au monde. Cela n’empêche pas les géants du pétrole et du gaz d’y avoir des projets de forage. Le commerce mondial maritime est également responsable dans les dégâts causés à la biodiversité méditerranéenne. 120 000 cargos y transitent chaque année, ce qui déstabilise énormément les espèces marines à cause du bruit des moteurs, quand les cétacés ne sont pas carrément tués par des collisions avec les navires.
Les navires marchands introduisent aussi des espèces invasives qui voyagent dans les ballasts des cargos. Le trafic doit augmenter de 4% par an avec le doublement du Canal de Suez, et il n’existe aucune régulation internationale du fret maritime.
Alors qu’elle ne représente qu’1 % des océans, la Mer Méditerranée abrite 10 % de la biodiversité planétaire dont certaines espèces endémiques. La Sardine, dont le nom vient de la Sardaigne, a perdu 30 % de sa taille et de son poids, et vit 5 fois moins longtemps qu’avant. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) a classé 27 % des 73 espèces de requins vivant en mer Méditerranée en « danger critique », contre 2% au niveau mondial. Les grandes nacres sont aujourd’hui menacées par une épidémie.
Mais l’une des clés de voûte de la biodiversité marine est aussi l’une des plus méconnues : la posidonie.
Cette plante aquatique emblématique de la Méditerranée abrite 25 % de la biodiversité, capte le CO2, fabrique de l’oxygène, empêche l’érosion des fonds marins et sert de nurserie et d’alimentation pour les poissons. Ses herbiers sont les prairies de la Méditerranée. Face à leur régression de 10 % en un siècle, l’alerte a été lancée pour sauver la posidonie avec la création d’un réseau de surveillance regroupant 14 pays.
L’une des mesures mises en place est l’interdiction aux navires de mouiller dans certaines zones sensibles pour éviter que les ancres raclent et arrachent ces prairies aquatiques.
Face à la situation critique de la Mer Méditerranée, la société civile s’oppose de plus en plus aux projets destructeurs. En asphyxiant la Méditerranée, c’est comme si l’humain s’enfermait volontairement dans une pièce dans laquelle on répandrait des gaz toxiques qui le tueraient à petit feu. Alors qu’il est prévu 100 millions d’habitants supplémentaires sur le littoral méditerranéen d’ici 20 ans, c’est maintenant que l’humain doit repenser son impact sur le berceau qui l’abrite.
Image à la une : Philippe Roy / AurimagesImage via AFP
19 juillet 2019 - Laurie Debove
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