Mémoire...cellulaire...(13)
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/03/2015
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Séance suivante.
La mise au monde.
Libérer Tanguy de la culpabilité envers sa mère. Il n’était pas responsable de la césarienne, de la douleur d’Emma, de son ressenti négatif, de ses peurs, de ce refus inconscient de la venue de l’enfant. Il aurait fallu travailler avec elle. Il aurait fallu qu’ils puissent se retrouver, tous les deux, Tanguy et elle, unies dans ce bonheur de la vie, s’accueillir l’un l’autre, l’enfant et sa mère, la mère et son enfant. Ce sentiment pesant que le travail unilatéral ne pouvait aboutir. Et persévérer pourtant. On ne brise pas des chaînes intérieures en se plaignant de leurs présences mais en identifiant les raisons de leurs venues, en acceptant la part qui revient à l’individu et en rendant à autrui ce qui n’est pas de son propre ressort.
Yoann invita Tanguy à s’allonger sur des tapis. Il plaça des coussins sous la tête et les jambes et couvrit son corps avec un plaid.
« Sur l’écran de cinéma, tu vois apparaître le bébé que tu es, tu es prêt à naître, à voir le jour, à quitter ce cocon qui t’a protégé et t’a permis de grandir. Il y a une date sur l’écran, c’est la veille du jour de ta naissance.
-Je ne pourrai pas sortir. Je suis coincé en travers. Je suis comprimé.
-Tu n’as pas choisi cette situation Tanguy. Tu n’as pas décidé de te mettre dans cette position. Emma n’est pas parvenue à faire autrement mais elle ne voulait pas de cette douleur pour toi et pour elle, elle ne voulait pas de cette césarienne. Comment es-tu maintenant ?
-J’ai peur.
-C’est toi, adulte qui ressens cette peur ou c’est bien la peur du bébé ?
-C’est le bébé. C’est trop serré, il ne comprend pas.
-C’est normal qu’il ne comprenne pas mais tu vas lui expliquer. Tu vas lui dire, toi l’adulte que tu es qu’il peut naître comme il le souhaite, qu’il peut vivre intérieurement cette naissance dont il a besoin pour se sentir bien, tu peux le guider, lui montrer la voie. Emma aurait voulu que ça se passe comme ça, qu’elle donne vie à son bébé comme elle l’avait imaginé, elle n’a pas désiré cette césarienne. Tu peux faire ce travail pour elle et pour toi. Un bébé né par voie vaginale subit plusieurs heures de contractions, un genre de massage énergique nécessaire à la maturation de ses poumons. Le passage dans le bassin et le vagin maternel vont essorer les poumons du bébé qui étaient jusque-là emplis de liquide amniotique et lui permettre ainsi de prendre sa première inspiration. C’est une expérience très forte, émotionnellement, physiquement, cellulairement. Tu peux guider ce bébé que tu es, tu peux lui offrir ce cadeau. Laisse la vie te guider, elle connaît le processus. Dis-moi comment ça se passe pour toi ?
-J’ai envie d’essayer, j’ai envie de naître comme ma mère le voulait.
-Sur l’écran de cinéma, tu vois apparaître la date de ta naissance, c’est le grand jour. Le début de ta vie dans la lumière du monde. Tu es ce bébé, tu peux engager ce travail. Imagine ta mère qui pose ses mains sur son ventre, elle est là, elle t’encourage, elle sait ce que tu veux vivre, elle sait ce dont tu as besoin.
-Oui, je sens qu’elle est là, je sens ses mains, je sais que je peux l’aider aussi, que je peux la rassurer.
-Bien, très bien Tanguy. Est-ce que tu peux bouger maintenant ?
-Oui, j’ai mis ma tête en bas et je pousse avec mes jambes.
-Tu sens en toi ce désir de vivre ?
-Oui, je veux vivre, je veux naître.
-C’est pour toi d’abord Tanguy et c’est pour honorer la vie en toi.
-Je descends, c’est étroit, je bouge, je pousse, je sens des contractions… »
Tanguy commença à bouger sous la couverture, les yeux fermés, le front plissé, l’évidence de ses efforts, des sensations très fortes. Une respiration hachée, des gémissements.
« Ton corps délivre les hormones dont tu as besoin, Tanguy, Emma est là, elle t’accompagne, elle est heureuse, elle sent tes mouvements, vous êtes reliés, vous travaillez tous les deux pour cette mise au monde. »
Une agitation de plus en plus forte.
Yoann posa ses mains sur les plantes de pieds et poussa vers la tête, une pression continue.
Tanguy pleurait. Le souffle court. Il sortit une épaule de dessous la couverture et tendit le bras en avant. Yoann abandonna les pieds, prit son poignet et l’attira vers lui. Tanguy gesticula de plus belle, il rejeta la couverture et serpenta sur le sol, il quitta le tapis en criant.
Il ouvrit les yeux et éclata en sanglots.
…
De précieuses minutes de silence pour inscrire le processus, qu’il se diffuse, qu’il nourrisse le bonheur de vivre.
…
Ils discutèrent encore vingt minutes puis Tanguy s’en alla.
Il reviendrait. Une dernière fois.
Il avait travaillé sur sa conception, sur sa place dans le ventre, sur sa naissance. Il lui restait à explorer sa vie actuelle.
Une question taraudait Yoann.
Des études de psychologie avec un beau-père qui s’était moqué de la psychologue scolaire, qui avait rejeté en bloc toutes les responsabilités à assumer… Comme un défi, un jeune homme qui se dresse devant l’autorité, un choix qui validait sa rébellion. « Tuer le père…Ou le beau-père…Peu importe. Tanguy s’était dressé… L’Œdipe était validé, immanquablement. Il fallait qu’il en prenne conscience, qu’il puise dans cette représentation de son chemin l’estime qu’il lui manquait, cet amour de lui-même pour aimer la vie enfin.
« Entre Tanguy. »
Ils parlèrent quelques temps puis Yoann expliqua rapidement le protocole.
« J’aimerais Tanguy que tu ailles chercher un souvenir qui te concerne avec ton beau-père et Emma. Un souvenir pénible qui te pèse et vous met en scène.
-Alors, là, c’est facile à trouver. »
Méditation. Induction. Canal de lumière.
« Tu arrives dans un couloir et devant toi apparaissent plusieurs portes. Laisse-toi guider par ton intuition, regarde ce qui est inscrit sur chaque porte, des mots, des symboles, des dessins…
…
-Je sais laquelle je dois pousser.
-Comment est cette porte ?
-Elle est en bois, marron foncé avec un gros anneau en fer. C’est écrit BAC.
-Bien, ouvre-la. Entre dans cet espace. Comment ça se passe pour toi ?
-J’ai le cœur qui bat fort, j’ai de la colère en moi.
-Qui est présent ?
-Martin, mon beau-père et Emma. On est dans le salon. J’ai eu le résultat de mon BAC. Mention passable. Je suis heureux d’avoir eu mon examen mais Martin me reproche de ne pas avoir eu la mention au-dessus et il me dit qu’avec ça, je vais vraiment avoir du mal à suivre en médecine.
-En médecine ?
-Il veut que je fasse médecine comme lui et que je devienne anesthésiste. Il dit qu’il m’aidera dans les études mais ça ne m’intéresse pas. Je veux aller en psycho et il se moque de moi. Ma mère me dit de l’écouter, que je ne gagnerai jamais ma vie en étant psycho alors qu’anesthésiste, ça rapporte bien. Mais, moi je m’en fiche de bien gagner ma vie, je veux juste faire ce que j’aime.
-Est-ce que tu leur as dit ?
-Oui, mais ils ne m’écoutent pas, ils disent que je suis trop jeune pour décider tout seul. C’est la première fois que je tiens tête à Martin et je lui en veux de me gâcher mon plaisir. Je suis fier d’avoir eu mon BAC et j’aimerais que ma mère me le dise. J’en ai assez de voir qu’elle n’a plus aucun avis personnel. »
Yoann réalisa soudainement qu’Emma, après avoir vécu avec un homme qui ne se positionnait pas vivait désormais avec un homme qui pensait à sa place… D’un extrême à l’autre. Mais finalement, ce conflit permettait à Tanguy de développer ses propres ressources. L’opposition au beau-père se révélait plus bénéfique que l’indifférence de son propre père.
« Tanguy, la fierté que tu ressens t’appartient totalement et tu es en droit de l’entretenir sans te laisser atteindre par les avis extérieurs. Tu sais ce que tu as réalisé, tes efforts sont réels, tes ressources sont en toi, tu sais les utiliser et tu peux remercier Martin car il les active par son opposition. J’aimerais que tu prennes conscience de cette opportunité qui t’est offerte de marquer ta volonté, que tu reconnaisses finalement que Martin et Emma par leurs remarques font jaillir en toi cette force que tu possèdes.
…
-Oui, c’est vrai, je la sens cette force. Comme pendant ma conception, cette force de vie. Elle est là, elle vibre.
-Ne t’invente pas des armées d’ennemis pour excuser tes propres faiblesses et remercie ceux qui s’opposent à toi de te permettre d’exploiter tes ressources.
…
-Oui, je comprends.
-J’aimerais Tanguy que tu t’observes dans cet espace, que tu sortes du regard que te portent tes proches et que tu t’adresses à toi-même, que tu te dises le bien que tu penses de toi, de ta détermination, que tu ne te focalises pas sur les critiques mais sur les félicitations que tu t’adresses, que tu te projettes dans cet avenir qui t’attire, que tu vois le chemin devant toi comme un tremplin et non comme un gouffre. Je voudrais que tu t’enlaces, que tu te prennes dans tes bras et que tu t’accordes le bonheur de te sentir empli de cette force de vie qui est en toi. Prends le temps nécessaire. Et laisse diffuser en toi cette énergie qui ne te quittera jamais, qui sera toujours là pour toi. Il te suffira à chaque situation délicate de te connecter avec cette force, elle est là pour toi. »
Tanguy s’accorda de longues minutes avant d’ouvrir les yeux.
Il tourna la tête vers Yoann. Un petit sourire, comme un éclat dans ses prunelles.
Plus le même regard ni la même posture. Tanguy s’était assis dans le fauteuil, le dos calé contre le dossier, droit, déterminé, empli de lui-même.
Ils discutèrent un long moment.
« Il ne s’agit plus pour toi Tanguy de t’interroger sur le Pourquoi des choses mais sur le Comment en user pour te découvrir. À la question : « Pourquoi je n’ose pas ? choisis désormais de dire « Comment je dois être pour oser ? » À la question : « Pourquoi j’ai toujours peur des autres ? choisis de dire « Comment est-ce que je peux me servir de cette peur pour apprendre qui je suis ? Il s’agit désormais d’observer en toi les émotions générées par chaque situation pour en tirer les ressources que la vie te propose de saisir. « Pourquoi » est une interrogation sur le passé. « Comment » est une projection vers le futur. Ce regard bienveillant est à la source de ton évolution. Chaque élément vivant sur cette Terre se doit de lutter pour trouver sa place, pour évoluer, pour vivre en osmose avec le vivant qui l’entoure. Il n’y a pas d’adversaires mais des passagers sur le même vaisseau et qui eux aussi tentent d’exister. Les rencontres, les événements, les situations, qu’elles soient douces ou redoutables, sont des ouvertures vers de nouvelles ressources. Il te faut devenir ce que tu es et non imaginer que les pensées qu’ont les autres sur toi te constituent. Ce sont leurs interprétations, leur réalité mais ça n’est pas le réel. Le réel en toi, c’est la force de vie. »
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