Mémoire....cellulaire.....(9)
- Par Thierry LEDRU
- Le 11/03/2015
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Ce texte a pour objectif de donner un aperçu de la sophrologie analysante mais il est inévitablement très incomplet au regard des interventions d'un professionnel. Ce n'est donc qu'une vue très succincte de tout ce qui peut être fait dans le cadre de cette thérapie.
Il eut du mal à s’endormir. Toutes les paroles de Paul qui tournaient en boucle. Cet air de chien triste, les épaules tombantes, la tête basse. Il réalisa qu’il devenait rare de croiser ses yeux. Toute la misère du monde.
« De toute façon, Yoann, depuis mon enfance, j’ai toujours été abandonné par tout le monde. Tu es d’ailleurs le seul ami qui me reste. Tous les autres ont disparu. Je les ai fait fuir. Et c’est pareil avec Emma. Il manquerait plus que mon gamin me rejette, tiens. Ça serait le bouquet final. »
Schéma d’Abandon.
« Tu vois, je suis incapable de me débrouiller tout seul et au final, je fais fuir tout le monde. Pas étonnant en fait. Qui aurait envie de traîner un boulet ? »
Schéma de Dépendance. Vulnérabilité. Carence affective. Exclusion. Imperfection. Échec…
Cette impression que Paul cumulait tous les schémas les plus lourds, les plus invalidants. Un enfant suspendu, enfermé dans les bras de sa mère, encadré, surprotégé, privé de toutes initiatives, de toutes responsabilités, martelé par les peurs chroniques d’une mère étouffante, affaibli par l’absence d’un père laxiste ou indifférent, libéré peut-être d’un rôle qu’il ne savait assumer.
Un enfant qui, un jour, a dû quitter le ventre symbolique de sa mère, couper un cordon vital, prendre un travail, s’éloigner, affronter le monde… Comme si ne restait de lui désormais qu’une enveloppe vide, sans matière, juste gangrénée de peurs fantasmées. Sa vie était restée accrochée aux bras maternels, le visage collée aux seins protecteurs, les jambes recroquevillées au-dessus des gouffres du monde.
Paul vivait dans un lacis de boucles dont il ne pouvait se libérer. Revivre constamment les mêmes situations validait en lui l’identification qu’il s’était forgée. Il avait conscience de ses blocages mais il n’avait pas conscience des résistances qu’il maintenait pour ne pas avoir à en sortir…
Il fallait se donner une dernière chance, l’électrochoc final.
« Paul, j’aimerais que tu ailles retrouver ton Enfant intérieur aujourd’hui.
-On l’a déjà fait ça ?
-Oui, mais j’aimerais y ajouter un protocole. J’aimerais que tu fasses le deuil de ta mère.
-Ma mère n’est pas morte, Yoann ! »
Il s’était raidi dans le canapé, outré, une colère immédiate, fulgurante, comme une décharge électrique dans son corps. Yoann avait aussitôt enchaîné.
« Je sais, Paul, je m’excuse, je me suis mal exprimé, mais c’est le deuil de ton enfance, dans les bras de ta mère. Pas le deuil de ta mère, mais celui de ta séparation avec elle. Celui de toutes les émotions qui se sont figées en toi à cet instant-là. Ce que j’ai compris de ton histoire, c’est que ta mère t’a surprotégé, elle avait une bonne intention, évidemment, mais c’est un amour qui t’a enfermé et qui t’empêche de vivre. Tu n’as gardé de cette enfance qu’un empilement de schémas limitants.
-C’est quoi ça déjà ?
-Et bien, par exemple, pour toi, je vois un adulte qui souffre d’un syndrome d’abandon, de dépendance, de vulnérabilité, de carence affective, d’exclusion, d’imperfection. Ton père a joué un rôle important aussi, dans tout ça. Il n’a pas su s’imposer et t’arracher aux bras de ta mère, il n’a pas pu t’apprendre à avoir confiance en toi, à accepter les épreuves, les dangers de la vie. Peut-être a-t-il jugé que l’importance de ta mère ne pouvait être contestée ou qu’il n’avait rien de plus à t’apporter. D’un côté, tu as vécu dans la dépendance de ta mère et de l’autre dans la carence affective paternelle. Il ne t’en reste qu’un sentiment d’abandon général. Emma est venue soigner des plaies anciennes mais ça n’est pas son rôle.
-C’est bien ça pourtant l’amour ? C’est de prendre soin de l’autre.
-Je ne pense pas, Paul. Mais c’est un autre sujet. On en reparlera.
-Dis-moi d’abord ce que c’est l’amour pour toi. Comme ça, en quelques mots.
-Ce dont je suis persuadé, c’est qu’il est impossible d’aimer quelqu’un sans s’aimer soi-même. C’est simple en réalité, c’est même une évidence. Comment pourrais-tu donner quelque chose que tu ne possèdes même pas ?
-Je ne m’aime pas, Yoann.
-Oui, je le sais. Mais, c’est une histoire ancienne dont il faut que tu te libères. Pour toi et aussi pour cet enfant à venir. Il aura besoin d’un père qui puisse l’accompagner dans sa vie, lui donner la confiance et la force pour affronter le monde. Tu as entendu parler du complexe d’Œdipe ?
-Ouais, vaguement.
-Et bien, cette absence de soutien de la part de ton père, tu sais ce que tu en as gardé ? Un schéma d’imperfection, de vulnérabilité, de carence affective, d’exclusion et d’échec.
-Sacré héritage.
-Ton père en avait peut-être hérité lui-même. Il s’agit désormais de ne pas pérenniser ce processus, de ne pas le transmettre. Tu travailles pour toi d’abord et pour ton enfant ensuite. C’est toujours cette histoire d’amour. Tu ne peux donner que l’amour que tu portes pour toi. Sinon, c’est l’autre que tu prends en otage en disant l’aimer mais c’est avant tout pour que tu t’aimes toi-même, que son amour pour toi te rende estimable à toi-même... Le mécanisme est inversé et il finira immanquablement par s’enrayer.
-Ok, Yoann. Je comprends. Allons-y alors pour le deuil de ma mère.
-Non, Paul, c’est le deuil des bras de ta mère, le deuil de ton attachement à elle, le deuil de cette sécurité qui t’a enfermé et par conséquent la naissance de celui que tu peux être. Tu vas aller chercher en toi des liens précis. »
Il n’était pas question pour Yoann de suivre le protocole du deuil, d’amener Paul à imaginer la séparation entre lui et sa mère comme la mort de celle-ci. Il avait choisi le protocole des liens, la rencontre avec un Parent.
Il décida d’amener Paul vers la relaxation en usant de la technique de détente, tension. Cette impression que son ami n’était plus qu’un écheveau de nœuds et de tensions.
La Canal de lumière.
Les retrouvailles avec l’Enfant Intérieur.
« Tu es dans un lieu de ton enfance, Paul. Ta maison, ta chambre, le jardin ou le chêne que tu aimais. Tu retrouves ton Enfant Intérieur. Vous vous reconnaissez, vous vous enlacez. Vous allez ensembles dans ce lieu connu de votre enfance. Dis-moi où vous vous trouvez.
-Dans ma chambre.
-Comment est-elle ?
-J’aime bien la tapisserie, c’était des personnages de Walt Disney. J’avais toujours mon lit à barreaux, il était petit mais j’arrivais encore à m’allonger dedans et je m’y sentais bien. J’étais en sécurité.
-Tu as quel âge ?
-Six ans. C’est le jour de mon anniversaire et mes parents ont acheté un nouveau lit, un lit de grand. C’est ça que ma mère me dit. C’est un lit de grand.
-Bien, j’aimerais maintenant que tu regardes cette chambre avec tes yeux d’enfant, comme tu étais ce jour-là, tu n’es plus avec l’Enfant, tu es redevenu cet Enfant, tu es là, ce jour d’anniversaire.
-Que se passe-t-il ?
-Je ne veux pas de ce grand lit. Je n’aime pas cette journée. Je suis triste et en colère. Et j’ai peur de la prochaine nuit. J’ai l’impression que je vais tomber de mon lit. Je ne veux pas aller me coucher. Ma mère dit que je dois être grand. Elle me tient contre elle, j’ai posé ma tête contre sa poitrine.
-Bien, regarde ta mère et imagine entre vous deux un lien qui vous unit. Ce lien contient tout ce que ta mère t’a transmis de positif, tout ce qui te sert à te sentir bien, tout ce que tu aimes et qui vient d’elle. Comment est-ce lien ?
-C’est comme une liane qui nous enlace. C’est vert, c’est joli, c’est doux, comme du coton.
-Qu’y a-t-il dans ce lien ? Qu’est-ce qu’il contient ? De l’amour, de la protection, de la patience, de l’écoute ?
-C’est de l’amour, beaucoup d’amour, de la tendresse, de la gentillesse, des paroles très douces qui me calment quand j’ai peur.
-Est-ce que c’est attaché à vous deux de façon précise ?
-Non, c’est juste autour de nous, c’est une liane qui nous enveloppe et nous réunit.
-Comment tu te sens avec ce lien autour de vous deux ?
-Oh, c’est délicieux, je voudrais que ça soit toujours comme ça, c’est chaud, c’est plein de lumière, ça m’empêche d’avoir peur de la nuit et du noir.
-Bien, alors maintenant, j’aimerais que tu imagines un lien limitant, quelque chose qui vous rattache tous les deux mais qui contient des éléments qui t’entravent, qui t’empêchent d’être toi.
…
-C’est bizarre.
-Quoi, Paul ?
-La liane, c’est aussi un rouleau de fil de fer barbelé.
-La même liane ?
…
-Non, en fait, c’est caché sous la liane. La liane, elle tourne autour de nous mais dessous, je vois un fil barbelé.
-Mais, c’est un fil qui est séparé de la liane ?
-Oui, c’est séparé, c’est caché dessous. Je le vois parfois, à certains endroit, autour de ma tête surtout.
-Autour de ta tête ? Comment c’est exactement ?
-Ça me serre fort, c’est comme des pointes qui me griffent.
-Est-ce que tu peux identifier quelque chose qui circulerait dans ce fil de fer barbelé ?
-Oui.
-Et c’est quoi ?
…
-Toutes les peurs de ma mère. La peur que je me fasse mal, que je rencontre des mauvais garçons, que je ne travaille pas à l’école, que je tombe malade, que j’ai une crise d’asthme, que je me fasse renverser par une voiture. Dans la voiture, j’étais toujours dans un fauteuil pour bébé, mais un grand fauteuil, assez large pour moi. Et il y avait une ceinture ventrale et la ceinture latérale. Je ne pouvais presque pas bouger.
-Où est-ce que ce lien est attaché à ta mère ?
-Dans sa poitrine, il rentre dans sa poitrine, là où est son cœur.
-Est-ce que ce lien a une intention positive envers toi ?
-Oui, ma mère veut me protéger parce qu’elle m’aime.
-Est-ce que ce lien que ta mère t’a transmis lui vient de son enfance ? Est-ce que c’est une peur de la vie qu’elle avait en elle ?
-Oui, son petit frère est mort quand elle était petite. Il s’est noyé. Elle n’était pas avec lui et je suis certain qu’elle s’est toujours sentie coupable, elle n’en parle jamais. Elle va sur sa tombe régulièrement. Et moi, je ne sais toujours pas nager. Je n’ai jamais eu le droit d’aller me baigner. Juste mettre mes pieds dans l’eau. Et ma mère me tenait la main. Et elle me grondait quand je ne lui obéissais pas, quand je faisais quelque chose qui lui faisait peur et j’étais malheureux de la mettre en colère.
-Est-ce que cette limite, tu en as besoin encore aujourd’hui ? Est-ce que ce fil barbelé te sert à quelque chose ?
-Non, il me fait du mal, je le sais bien.
-Est-ce que ta mère t’a demandé de le garder ?
-Non, certainement pas, elle ne me voulait pas de mal.
-Alors, je te propose de le défaire, de dénouer ce fil barbelé et de le rendre à ta mère. Tu vas lui expliquer que ce lien ne t’appartient pas, qu’il ne te sert à rien et lui dire aussi qu’elle peut également le rendre à ses parents si elle le souhaite. Tu sais que le lien positif, cette liane d’amour, est toujours là, il ne disparaîtra pas mais il sera libéré des peurs que le fil barbelé contient. Tu remercieras ta mère de s’être présentée à toi. »
…
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