Pensée et conscience. (spiritualité)

Extrait : "JUSQU'AU BOUT."

« Si notre conscience a la possibilité de grandir à l’intérieur de notre espace clos, c’est sans doute que nous ne l’avions pas développée auparavant et qu’il reste de la place. Mais se pourrait-il aussi que cette conscience soit extérieure à nous-mêmes, comme une conscience commune dans l’univers et qu’il s’agisse simplement de la saisir pour l’inviter à occuper notre espace intérieur ? La plupart des hommes vivrait sans conscience, ce qui pourrait expliquer aussi les déviances de l’humanité. A la place de cette conscience universelle jamais rappelée, l’esprit s’emplirait de valeurs intrinsèquement humaines, totalement détachées de la source commune. Et ces valeurs, nombreuses et variées, incessamment renforcées pour le maintien du mensonge, donneraient l’impression à l’humanité entière qu’elle est sur la bonne voie… La manipulation de la masse par la masse elle-même nous a entraînés sur une fausse route. Nous ne sommes pas sur la voie de l’univers. Nous ne sommes plus en expansion avec lui. Nous sommes perdus. »

 

Ce qui est en nous, cette conscience auto-réfléchie, n'est sans doute qu'une étape. Et par l'admiration que nous lui portons elle agit comme une cellule, un carcan. L'humanité a scellé son âme dans le piédestal hautain de cette conscience adorée. Nous n'étions que sur le chemin et nous avons cru l'ouvrage achevé.

Cette conscience, de par l'aura que nous lui avons tressée, nous a aveuglés. Comme si le projecteur de notre intérêt et de notre fascination s'était retourné vers nous et nous avait figés comme une bête saisie par une lumière soudaine. 

Pour quitter ce carcan, pour retrouver l'apaisement de l'obscurité et l'humilité du cheminement, le pas appliqué et aimant du marcheur, il nous faut abandonner l'amour égotique et plonger dans les noirceurs de l'inconscient primaire, celui qui nous unit à la Terre, à la Vie, à la Source. Nulle crainte à avoir, ce ne sont pas des noirceurs voraces, même si l'ego s'y efface. Juste une Conscience tournée vers la Vie et non plus vers notre Moi. Il faut poser un capuchon sur notre conscience d'homo sapiens, comme un étouffoir sur une torche.

Je ne crois pas en la philosophie dès lors qu'elle est privée de sa dimension spirituelle. Elle n'est qu'au service de l'égo tout puissant, à l'intellectualisation de la conscience.

Je ne crois pas en la religion car elle est au service de l'aveuglement. Elle a toujours détourné les hommes de la Vie,de la Terre, de la Source. Elle agit pour les hommes au nom d'un Dieu qu'ils façonnent pour leurs intérêts. Elle n'agit pas pour la Vie.

La spiritualité n'est pas la religion. 

La spiritualité n'a pas de chemin écrit, aucun sillon à suivre, aucun Maître à adorer, aucun Dieu à vénérer. 

La Conscience au-delà de la conscience.

Lorsque l'unité sera faite, lorsque les liens seront établis, lorsque l'osmose sera constante, pas uniquement quelques flashs inattendus, pas simplement ces bouleversements qui nous submergent devant un coucher de soleil, les grands navires de pluie, la mélodie des houles dans la cime des arbres, le sourire d'un enfant, ses petits doigts qui viennent saisir notre main pour l'aider à monter sur un rocher, son rire cristallin devant la danse des vagues, le vol blanc d'un oiseau pélagique sur le fond bleu de l'Océan, tous ces instants d'amour qui ruissellent et pleurent en nous des torrents de bonheur.

la Conscience de l'Amour. Au-delà de notre enveloppe.   

Il nous faut sortir de nous-mêmes.

 

J'en suis à me demander si cette conscience auto-réfléchie qui nous a été donnée n'a pas été détournée de son objectif...Si nous n'avions pas cru voir uniquement en nous un centre lumineux à travers cette conscience mais que nous ayons porté cette faculté vers la Nature, nous aurions pu voir à quel point notre conscience d'homo sapiens ne peut pas être séparée de celle du Monde. Puisque nous sommes dans le Monde tout comme le Monde est en nous, énergétiquement, moléculairement parlant, il ne s'agissait pas d'entrevoir uniquement notre conscience individualisée mais La Conscience, cette osmose absolue, je ne suis pas celui qui est, je ne suis pas celui se cherche, je ne suis même pas celui qui sait ne pas être, tout est bien au-delà de cette simple perception duale, moi et le Monde, c'est là qu'est l'erreur originelle à mon sens. La conscience auto-réfléchie n'était pas qu'une étape, elle était une voie de garage, une impasse et l'humanité est si ancrée désormais dans ce paradigme, renforcée par des siècles de philosophies occidentales, que l'être humain reste enfermé dans cette certitude. La Conscience auto-réfléchie, à l'échelle du Monde, consistait à saisir à travers notre conscience individuelle un échelon bien supérieur, immensément respectueux, une infinie communion. Je suis celui qui a conscience que sa conscience n'est rien dès lors qu'elle se prive elle-même de l'étape suivante.

 

Que faut-il entreprendre dès lors, comment s'extraire de cette conscience duale, comment retrouver le chemin de la Vie au coeur de nos existences ?

Les pensées me semblent être un fonctionnement intellectuel surpuissant, une formidable machine à construire des actes, des tourments, des bonheurs, des évolutions disparates ou des régressions ponctuelles, des agissements néfastes et des sauvetages merveilleux, tout ce fatras que nous avons sous les yeux continuellement. Je les vois comme des outils informatiques. Le problème vient de l'identification du programmateur. Est-ce nous, dans une totale objectivité ou un conglomérat de conditionnements archaïques et de manipulations légalisées, des formatages auxquels on s'abandonne par éducation, par mimétisme...Ca peut bien entendu être enthousiasmant, des progrès fulgurants, des avancées indéniables. Dès lors que des milliers de personnes convergent, le courant est puissant et balaie peu à peu les résistances. Lorsqu'on parle de milliards, rien ne résiste.

Mais qui pense ? Des individus spérarés ou une masse agglomérée et mûe par un élan commun ? Y a-t-il réellement une conscience dans ce mouvement ? Lorsque je lis des ouvrages scientifiques sur l'évolution de l'espèce, je ne parviens pas à percevoir autre chose que ce courant généré par des agitations partagées, des embrasements intellectuels, politiques, culturels, scientifiques, pas des étincelles éparses mais des foyers immenses et la lueur des flammes aveuglent des espaces immenses, se propagent à la vitesse du vent. Qui a lancé la première flammèche ? Savait-il ce qu'il faisait et ce qu'il allait déclencher ? Sans doute en rêvait-il au coeur de son ego. Sans doute espérait-il pouvoir en retirer les bienfaits au-delà de la masse, comme le géniteur génial, le pyromane adoré. Pourquoi ce feu de brindilles a t-il été amplifié, nourri, vénéré par les masses hypnotisées ? Cela répondait-il à un besoin qui ne savait prendre forme, qui avait besoin d'un élément déclencheur, un révélateur, un visionnaire, un précurseur, un prophète... 

Quelles étaient les intentions profondes de tous les pyromanes de l'Histoire de l'Humanité ?  

 

Et maintenant, qu'en est-il de la conscience ?   

Cette conscience a t-elle un autre espace que celui des pensées ou en dépend-elle ? Est-elle une entité purement spirituelle ? Mais si c'est le cas, comment prend-elle forme, où se construit-elle ? Comment se faire une idée d'elle sans passer par les idées développées au coeur des pensées ? L'énigme semble insoluble ou alors c'est que la conscience n'est rien d'autre qu'une pensée plus élaborée, plus complète. Mais en quoi le serait-elle ?

Si je dis que j'ai conscience de tout ce fatras, est-ce une simple pensée ou le retournement de cette pensée vers son émetteur ? Peut-on se contenter de parler de conscience dès lors que je sais que je pense à mes pensées et que cet état intérieur confère à mes pensées un état de conscience. Ou à moi-même plutôt étant donné que si je cesse de penser, je ne disparais pas pour autant et que j'ai conscience de ne plus penser.

Tout cela me semble assez insignifiant finalement...

"Cogito ergo sum."

Le cogito est initialement exposé en français par Descartes dans le Discours de la méthode (1637):

« Mais aussitôt après je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose; et remarquant que cette vérité, je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. »[1]

 

Oui, bon, très bien...Je ne dis pas que ça ne sert à rien mais doit-on en rester là ? Métaphysique et tutti quanti.

Je garde à l'esprit ce passionnant documentaire de Jacques Malaterre, diffusé à mes élèves, en classe. "Le sacre de l'homme." Le titre est très révélateur. L'homme quitte la Préhistoire, il bascule dans son apogée, vers une complète domination de la Nature, celle qui l'entoure et celle qui est en lui.

Je m'interroge depuis à savoir ce que l'Humanité serait devenue si l'être humain, dans son individualité, ne s'était pas obstiné à se défaire de cette Nature. Bien sûr que sa situation était aléatoire et que beaucoup n'ont pas ouvert les yeux bien longtemps. Mais cette conscience duale n'a-t-elle pas trouvé dans cette lutte constante un envol que l'on peut regretter d'un point de vue spirituel ? Cette conscience auto-réfléchie n'a t-elle pas été qu'un cheminement tout tracé pour un Descartes ou n'importe quel autre philosophe un tant soit peu opiniâtre... Il s'agissait simplement de continuer à avancer dans un paradigme surpuissant. Descartes n'aurait rien découvert mais se serait simplement engouffré dans une voie archaïque, il aurait juste mis en forme et en mots, une pratique millénaire. Il aurait juste peint des paysages depuis bien longtemps explorés.  

Que se serait-il passé si l'Humanité avait développé une Conscience réfléchie non pas vers elle mais vers la Vie ?

L'Homme en s'observant penser aurait vu en lui non pas son reflet mais celui de l'Energie commune. Ca n'est pas moi que j'observe mais j'observe la Vie qui m'observe.

 

Je sais bien que tout cela peut apparaître comme une élucubration de mon mental, une florilèges de pensées, un ego qui se croit libéré.

Mais il y a mes trois hernies discales, la paralysie, le champ des pensées comme un champ de batailles, une boucherie infinie.

Et puis ce basculement hors des pensées, dans une conscience sans nom, un état paroxystique totalement spirituel, plus de corps, plus de moi, rien de connu, ni d'identifié. Si ça n'avait été qu'une hallucination, je n'aurais jamais remarché. Tout se serait réinstallé avec la même violence.

Mais je marche. sans que personne dans le milieu médical ne puisse l'expliquer.

J'étais dans cet état de celui qui observe la Vie reprendre ses droits. Non pas une conscience auto-réfléchie qui réfléchit sur son propre désastre et s'observe réfléchir mais la Vie en moi qui se réfléchit sur le miroir de ma conscience. Et me nourrit de son Energie.

 

Extrait.

"LES EVEILLES"

 

"La visite chez le médecin du village. Un diagnostic sans appel, il fallait rentrer, passer des examens. Leslie avait conduit. Il était resté allongé, avec cette certitude que la mort l’avait retrouvé, qu’elle avait décidé d’en finir avec lui, qu’il avait laissé passer sa chance, que la vérité intérieure ne s’éveillerait jamais et qu’il devait payer son aveuglement par une condamnation sans appel. La certitude que cette fois il allait succomber. 

 

Trois hernies discales.

 

Celle déjà opérée s’était inexplicablement reconstituée, deux autres l’accompagnaient dans une œuvre destructrice, une déliquescence paralysante, une gangrène camouflée, une hargne irréductible. Un tueur à ses trousses depuis tant d’années. Une vie à s’enfuir et cette fois une impasse, plus aucune issue, le tueur est blasé, cette fois, il est là pour finir le travail et prendre un autre contrat. 

Morphine. Les retrouvailles. Le film relancé comme une boucle infâme qui resserre son étau, le nœud autour de son âme, la vie étranglée, l’air qui commence à manquer et la peur, cette peur ranimée, qui ronge, obsède, tourmente, sans relâche, sans aucune pause, il aurait voulu hurler cette douleur infinie déboulant dans son crâne, dans ses fibres, dans ses cauchemars, dans ses sanglots. Pourquoi ? Pourquoi cet acharnement ? Au-dessus de sa tête la lame tranchante de la guillotine, le filament décharné qui retenait le couperet, il suait de peur, de désespoir, d’incompréhension, ce goût immonde de la mort dans sa bouche, cette puanteur âcre du corps qui pourrit dans la tombe, les noirceurs insondables du néant, il imaginait l’errance éternelle de son âme torturée, l’absence de réponse comme une peine capitale. Il devait comprendre, il y avait forcément une explication. Il le sentait. Comme une main tendue au-dessus de la vase des traumatismes enfouis.

On lui parlait parfois, la nuit surtout, une voix étrange, délicate, rassurante, elle semblait descendre en lui par un canal indéterminé, une porte inconnue, une brèche infime dans les murs titanesques de ses refoulements morbides.

« Tu n’es pas un assemblage de pièces qu’il faudrait constituer mais une image morcelée dont tu ne vois pas l’étendue. Ça n’est qu’une question de lucidité.»

 Il n’en disait rien.

 Le chirurgien. Il avait espéré ne jamais le revoir, ne jamais retrouver ce parfum irritant des désinfectants, ces lumières glauques dans les couloirs souterrains, le bloc opératoire comme une salle de torture, la voix mielleuse de l’anesthésiste qui vous dit de vous laisser aller alors que vous ne savez pas si vous allez revenir, la chambre de réveil, l’angoisse des membres paralysés.

 

« Pour résumer simplement l’opération que j’envisage, je dirais qu’il va falloir vous ouvrir au niveau ventral, sortir en partie les intestins pour accéder à la colonne vertébrale, on visse une plaque après avoir cureté les disques, puis on ouvre au niveau du dos pour aller placer une plaque identique et on boulonne les deux. Comme vous n’aurez plus de disques vertébraux, ce système va bloquer la colonne et vous protègera définitivement. Trois heures d’opération devraient suffire.»

 

L’envie furieuse de se lever du brancard et de s’enfuir en courant, cet homme était fou, il le prenait pour une marionnette qu’on éventre, qu’on scelle dans des étaux et qu’on recoud avant de la rejeter à la rue, il n’avait vu dans la proposition qu’une expérience intéressante pour l’homme en blanc, dans ses yeux pétillants le plaisir pervers de tenir un cobaye.

Il avait dit à Leslie de le sortir de cette cage immonde, ils étaient rentrés et le calvaire avait duré.

Des jours et des nuits de tortures incompressibles, des torsions de muscles irradiés, des nerfs lacérés, son corps qui maigrit, se décharne, disparaît dans la fange vorace des cauchemars éveillés, son esprit aimanté par l’écrin de la tombe, cet ultime refuge, cette paix acquise qui le tentait, les vers grouillant dans son corps éteint le terrorisaient moins que ces décharges électriques vrillant ses fibres, une guerre sans merci, un champ de bataille, seul au milieu d’une terre ravagée, des assauts incessants, la fureur des combats, les crampes comme des barbelés arrachant les chairs, tenir, résister, s’enfouir sous les draps comme au fond d’un trou, ces éclats d’obus qui le déchiraient, ces spasmes, ces sursauts à chaque blessure, la guerre en lui, son corps envahi, impossible de fuir.

Il était son propre ennemi.   

 

La détresse de Leslie. Cette absence de solution devait la détruire autant qu’elle le rongeait de l’intérieur, ses traits tendus, la peur dans ses yeux, des paroles gênées comme si la douleur créait une distance, elle ne savait plus quoi dire.

 

Il étouffe.

Une immense goulée d’air.

Il s’assoit sur le grain rugueux d’une pierre ronde.

Il aurait pu tout perdre. Il est passé si près. Cette boîte de morphine qu’il a tournée dans ses mains pendant des heures ... Vingt comprimés et le calvaire aurait pris fin. Il sait que la douleur l’avait enfermé dans un cachot sépulcral, que le couvercle de la tombe menaçait de tomber à chaque battement de son cœur, que son écoeurement de la vie aurait pu l’emporter.

 

Il pleure et les paysages fragmentés par les larmes embuant ses rétines sont des kaléidoscopes féeriques qui le ravissent, tout cet amour coulant de l’Univers, toute cette vie qui l’entoure, toute cette vie qui l’anime, cette connivence qu’il a découverte, il aurait pu tout perdre mais cette vibration insoumise qu’il percevait parfois, noyau vital résistant aux assauts incessants de la douleur barbare, cette palpitation comme un cœur d’étoile, il ne pouvait l’abandonner, il était impossible de l’ignorer, de la laisser couler dans le néant putride de la mort souveraine. Quand Leslie, le matin, ouvrait les volets et qu’il découvrait le ciel du fond de son lit, il pleurait les espaces perdus. Mais cette simple fissure dans le mur compact de ses souffrances érigées suffisait à insuffler le germe d’un sursis, l’esquisse d’un bourgeon de vie et les heures de tourmente, les tortures ressassées ne ravageaient jamais complètement cette terre fertile, cet espace d’amour qui le sauvait.

L’amour. Il sait ce qu’il lui doit. L’amour pour Leslie, l’amour pour les enfants, l’amour pour la Terre, l’amour pour ses parents.

Ses parents. Ils avaient déjà tellement souffert. Il les imaginait rongés de détresse à mille kilomètres de son supplice, ce désespoir dans leurs voix éteintes lorsqu’ils appelaient au téléphone, cet abattement gorgé de larmes, cette incompréhension désespérante devant cet acharnement de la vie à violenter leur amour parental. Ils avaient déjà tellement souffert. Leur deuxième fils en sursis. Leslie tentait de les rassurer.

 

Les nuits sans sommeil, quelques cessez-le-feu épisodiques, l’observation inquiète des horizons éteints, les embrasements suspendus, les odeurs âcres des sueurs, des morves séchées, des peaux talées, les cheveux collés … Juste un répit. Il tentait de récupérer, se laisser porter par l’épuisement, flotter entre la surface lumineuse et les fonds obscurs, les yeux clos, le corps immobile, essayer de relâcher les résistances, les nœuds enflammés par les heures de lutte, respirer profondément et que l’air absorbé liquéfie les crampes, emporte les acides, purifie les tranchées ravinées, les artères souillées, les muscles brisés, arracher de son corps la boue solidifiée des douleurs.

Remonter à la source du conflit, identifier les forces en présence, analyser les raisons du désastre. Comprendre, chercher une issue, ailleurs que dans les réseaux médicaux, on voulait l’éventrer, en période de guerre, les chirurgiens ne font pas de détails.

Il était en guerre.

 

« A 50%, le risque c’est le fauteuil roulant, à 25% la paralysie de la jambe gauche, il reste 25% de chances que l’opération réussisse. »

Leslie lui avait fait part de ce commentaire du chirurgien dans le couloir, il ne considérait finalement que l’opération et pas l’individu, le geste chirurgical était évalué en pourcentage. Pas la vie de l’homme.

Il n’irait pas.

Plutôt mourir. 

 

Le rêve. Une voix qui lui parle. Au cœur d’un halo bleuté.

« Ce que tu vois n’est pas la vérité. Ca n’est qu’une image. Ton âme sait où elle va. »

 Il n’en parlait pas.

Peut-être la morphine et pourtant cet amour ineffable, incommensurable. La lumière l’aimait, des auras bleues qui dansaient devant ses yeux émerveillés. La notice du médicament, les effets secondaires, une liste redoutable mais pas d’hallucinations. Une incompréhension totale. Habituellement, ses rêves disparaissaient au réveil. Rien, aucun souvenir. Celui-là perdurait et l’enlaçait de douceur. Comme un baume d’amour.

Une caresse d’ange.

 

 

Et puis.

L’apparition d’Hélène.

Un conseil d’une amie, une médium magnétiseuse, Leslie avait pris rendez-vous. Il avait étouffé les douleurs en triplant les doses de morphine. Se lever, marcher en traînant la jambe gauche, elle ne réagissait plus. Elle l’avait soutenu jusqu’à la voiture. Plus rien à perdre.

Une petite maison dans la montagne, un jardin très soigné, des volets et un portail violets.

Hélène en haut de l’escalier. Ce premier regard. Inoubliable. Tellement de force et tellement d’amour. Elle avait demandé à Leslie de les laisser. Elle lui téléphonerait quand ça serait fini. Il s’était effondré sur une banquette moelleuse. Les effets de la morphine qui s’estompaient, la terreur des douleurs à venir, tous ces efforts qu’il allait devoir payer. Une petite pièce lambrissée, aménagée pour la clientèle, des bougies parfumées, quelques livres. Ils avaient discuté, quelques minutes, tant qu’il pouvait retenir ses larmes puis elle l’avait aidé à se déshabiller.

 

« Je vais te masser pour commencer. Tu as besoin d’énergie. »

 

Il s’était allongé en slip sur une table de kiné.

Les mains d’Hélène. Une telle chaleur.

Elle parlait sans cesse. D’elle, de ses expériences, de ses patients, elle l’interrogeait aussi puis elle reprenait ses anecdotes, des instants de vie.

 

« Tu veux te faire opérer ?

- Non.

- Alors, il faut que tu lâches tout ce que tu portes. »

 

Il n’avait pas compris.

Elle avait repris son monologue, son enfance, ses clients, ses enfants, son mari, son auberge autrefois, maintenant la retraite, quelques voyages. Et tous ces clients. De France, de Suisse, de Belgique, de la Réunion … Elle n’avait rien cherché de ses talents. Ils étaient apparus lorsqu’elle avait huit ans, une totale incompréhension, des auras qui lui faisaient peur et puis elle avait fini par comprendre, nourrie par des révélations incessantes descendues en elle comme dans un puits ouvert.

 

Des auras … Les rêves qui habitaient ses nuits. Interrogations. Lui aussi ?

 

Les mains d’Hélène, sa voix, la chaleur dans son corps, ce ruissellement calorique.  L’abandon, l’impression de sombrer, aucune peur, une confiance absolue, un tel bien-être, des nœuds qui se délient, son dos qui se libère, comme des bulles de douleurs qui éclatent et s’évaporent, une chaleur délicieuse, des déversements purificateurs, un nettoyage intérieur, l’arrachement des souffrances enkystées, l’effacement des mémoires corporelles, les tensions qui succombent sous les massages appliqués et la voix d’Hélène.

 

« Tu sais que tu n’es pas seul ?

- Oui, je sais, tu es là.

- Non, je ne parle pas de moi. Il y a quelqu’un d’autre. Quelqu’un que tu portes et tu en as plein le dos. Il va falloir que tu le libères. Lui aussi, il souffre. Vous êtes enchaînés.»

 

Il n’avait pas encore parlé de Christian.

 

Les mains d’Hélène, comme des transmetteurs, une vie insérée, les mots comme dans une caisse de résonance, des rebonds infinis dans l’antre insondable de son esprit, une évidence qui s’impose comme une source révélée, l’épuration de l’eau troublée, les mots comme des nettoyeurs, une sensation d’énergie retrouvée, très profonde, aucun désir physique mais une clairvoyance lumineuse, l’impression d’ouvrir les yeux, à l’intérieur, la voix qui s’efface, un éloignement vers des horizons flamboyants, il vole, il n’a plus de masse, enfin libéré, enfin soulagé, effacement des douleurs,  un bain de jouvence, un espace inconnu, comme une bulle d’apesanteur, un vide émotionnel, une autre dimension, les mains d’Hélène qui disparaissent, comme avalées doucement par le néant de son corps, il flotte sans savoir ce qu’il est, une vapeur, plus de contact, plus de pression, même sa joue sur le coussin, tout a disparu, il n’entend plus rien, il ne retrouve même pas le battement dans sa poitrine, une appréhension qui s’évanouit, l’abandon, l’acceptation de tout dans ce rien où il se disperse, le silence, un silence inconnu, pas une absence de bruit mais une absence de tout, plus de peur, plus de douleur, plus de mort, plus de temps, plus d’espace, aucune pensée et pourtant cette conscience qui navigue, cet esprit qui surnage, comme le dernier élément, l’ultime molécule vivante, la vibration ultime, la vie, il ne sait plus ce qu’il est, une voix en lui ou lui-même cette voix, la réalité n’est pas de ce monde, il est ailleurs, il ne sait plus rien, un océan blanc dans lequel il flotte mais il n’est rien ou peut-être cet océan et la voix est la rumeur de la houle, l’impression d’un placenta, il n’est qu’une cellule, oui c’est ça, la première cellule, le premier instant, cette unité de temps pendant laquelle la vie s’est unifiée, condensée, un courant, une énergie, un fluide, un rayonnement, une vision macroscopique au cœur de l’unité la plus infime, des molécules qui dansent.

Où est-il ?

Fin du Temps, même le présent, comme une illusion envolée, un mental dissous dans l’apesanteur, ce noir lumineux, pétillant, cette brillance éteinte comme un univers en attente, concentration d’énergie si intense qu’elle embrase le fond d’Univers qui l’aspire, la vitesse blanche, la fixité noire, la vitesse blanche, la fixité noire, le Temps englouti dans un néant chargé de vie, une vie qui ruisselle dans ses fibres, des pléiades d’étoiles qui cascadent, des myriades d’étincelles comme des galaxies nourricières dans son sang qui pétille.

 

 

Il est sorti en marchant.

Que s’est-il passé ?

Aucune réponse.

Il ne sait rien."     

 

  

 

Je ne sais toujours rien, ou pas grand-chose.

Je cherche. Mais je sais qu'il y a quelque chose d'essentiel derrière tout ça. Impossible que ça ne me soit donné pour rien, pas pour ma petite vie, pas juste cet individu errant comme un pauvre hère.

Qu'y a t-il derrière le rideau ?

 

Commentaires

  • Lajotte Françoise
    • 1. Lajotte Françoise Le 22/10/2010
    La dualité comme un péché oiginel? La pensée qui se fait hache et fend en deux la conscience. La pensée borgne au seul oeil myope qui ne voit flou qu'un des deux morceaux. La pensée sourde qui ne s'entend qu'elle-même proclamer que ce bout de bois là est entier et vivant? Et,
    une autre pensée qui regarde cette soeur et ne la comprend pas, peut-être parce qu'elle sait que le coup de hache n'a pas lieu, parce qu'elle a comme un souvenir de la conscience entière?
    Conscience entière? Et si c'était-elle qui, lasse, agacée, susurrait à l'oreille cette seconde pensée, plus regard que pensée en commençant ainsi "Dis-donc... c'est quoi le sens de la vie et c'est quoi la vie?"
    Et si, cette dualité primaire était finalement nécessaire pour comprendre ce qu'est l'unité? Si je vis dans un monde empli uniquement de lumière ou de blanc, comment puis-je le savoir, l'apprécier si je n'ai pas connu les ténèbres et le noir? Si je vis dans l'amour sans connaissance de haine... Comment puis-je m'en réjouir?
    Ce n'est peut-être pas en correspondance directe avec ce que tu nous offres admirablement ici mais c'est ainsi que j'ai commencé à regarder mes pensées, depuis des pensées autres concentrées ailleurs que sur mon nombril. Cet autre regard qui me semble plus offert que volontaire.
    Merci Thierry. J'ai vu sur FB que certains venaient lire tes pages pour se ressourcer. Quel plus beau merci que celui-là! Le silence qui suit est peut-être celui d'une paix qui n'a plus rien à dire.
    Je t'embrasse,
    Françoise.

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