Relire Jarwal le lutin
- Par Thierry LEDRU
- Le 10/11/2021
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Il m'arrive parfois de replonger dans ces anciens écrits.
Je les reprends pour les transmettre un jour à notre petit-fils.
JARWAL LE LUTIN
TOME 3
« Nasta voudrait te parler Jarwal. »
Ce calme retrouvé, cette paix réinstallée, la plénitude des âmes, des visages sereins et des voix rassurées, l’impression que la Nuhé elle-même diffusait des parfums de quiétude.
Kalén reprit les paroles du vieux sage.
« Nous savons que tu as aidé Izel à vaincre le mal. Les soldats quittent les montagnes, notre peuple n’est plus en danger. Les Maruamaqua sont montés dans les vents qui portent les nuages et ils les ont vus s’enfuir. L’un d’entre eux m’est apparu en rêve et me l’a dit. C’est un grand honneur pour moi, d’ailleurs. Maintenant, nous voulons tous vous témoigner notre reconnaissance, à toi Jarwal ainsi qu’à ta compagne et ta petite Maruamaqua bleue. Vous êtes venus de loin pour nous aider et vous avez pris de grands risques. Nous ne l’oublierons jamais.
-Qu’allez-vous faire maintenant ? demanda le lutin.
-Nous allons rester ici. Il nous faut rétablir le contact avec la pensée de la Terre. »
Nasta parla longuement.
Kalén expliqua.
« La Vie est une pensée qui a ensemencé la Terre. C'est la pensée originelle. Les êtres humains imaginent que leurs pensées leur appartiennent, qu’ils en disposent librement. Ils ont oublié la première pensée, ils ne savent plus la ressentir. Toutes les pensées qui parcourent l’espace sont les enfants de la pensée créatrice. Ici, nous pouvons remonter à la source.
-Nasta veut-il dire que la Vie est une pensée ?
-Oui, c’est bien cela Jarwal. Cette pensée s’est matérialisée sous des formes innombrables. Les Kogi écoutent les pensées des arbres, des nuages, des montagnes, de toutes les formes créées par la Vie. Les hommes imaginent qu’ils existent parce qu’ils pensent alors que c’est la pensée de la Vie qui vibre en eux et leur donne vie. Les hommes ont oublié l’humilité.
-Kalén, pour qu’il y ait une pensée, il faut un émetteur. Qui est à la source de la pensée de la Vie ?
-La Vie elle-même. Les Conquistadors qui nous ont maltraités disaient qu’ils étaient en mission, qu’un Dieu tout puissant les guidait. Aucun Dieu n’existe. Pas les Dieux des hommes. Ces Dieux-là ne sont que des mensonges.
-La Vie est divine, c’est cela ?
-Exactement Jarwal. La création est la pensée de la Vie et toutes les formes de vies créées sont à l'image de l'infinité de ses pensées.
-Et alors les hommes qui se sont coupé des pensées diffusées par la Nature ne seront plus jamais des êtres humains ?
-Cela dépendra d’eux, Jarwal. Les Kogi sont des êtres humains mais les Conquistadors sont des hommes. Ils vivent pour les biens matériels, la puissance, le pouvoir, l’exploitation, l’asservissement. Nasta dit que l’avenir de ces hommes est très sombre. Et qu’ils jetteront sur la Vie toute entière un voile d’ombre. Leur intelligence est au service du Mal parce qu’ils ignorent la pensée de la Vie. Ils sont soumis à des pensées d’hommes.
-Quel est l’avenir de ce monde d’hommes Kalén ?
-Il n’a pas plus d’avenir que l’homme qui s’est coupé de la source. Il ne vit que dans le fardeau du passé et des erreurs commises sans pour autant prendre conscience qu’il répète à l’infini les mêmes erreurs en les habillant simplement de nouveaux apparats. Ce monde-là continuera à vouloir construire l’avenir qui correspond à son errance. Il est empoisonné par le poids de son histoire et ce poison contamine son futur. Le voile d’ombre finira par s’étendre jusqu’à cacher la lumière du Monde et de la Vie. »
Ils parlèrent longuement.
Gwendoline s’était retirée dans un coin de la hutte.
Des larmes qui auraient aimé s’épandre. Une telle détresse aux paroles de Kalén.
Comme si la Vie elle-même pleurait dans son âme. Cette peur immense de ce monde à venir, cette dégénérescence inéluctable, cet oubli de la source, comment était-ce possible ? Pourquoi la Vie laissait-elle s’étendre ce désastre, pourquoi la Vie offrait-elle aux hommes cette pensée insoumise qui les menait à la destruction d’eux-mêmes ?
Elle ne comprenait pas.
« C’est le défi qu’ils doivent relever, murmura tendrement Léontine à son oreille. Apprendre à s’élever au-dessus de leurs pensées sombres.
-Et crois-tu qu’ils en seront capables un jour ?
-Il ne me servirait à rien de me torturer avec de telles interrogations. Étant donné que je n’y peux rien.
-C’est de l’abandon.
-Non, Gwendoline, c’est de la lucidité. Apprends à te consacrer aux choses sur lesquelles tu as une incidence possible. Le sage n’est pas celui qui donne des leçons aux autres mais celui qui écoute la voix de la Vie. Si tu écoutes les tourments des hommes, tu ne peux plus entendre la Vie et si tu ne l’entends plus, tu ne peux rien apprendre et si tu n'apprends plus, tu n'as rien à montrer. Tu dois saisir la Vie en toi et ne pas t’alourdir.
-En quoi cela peut-il améliorer les situations néfastes ?
-Tu n’agis pas pour améliorer les situations néfastes mais pour appliquer éventuellement à ces situations ce qui te semble juste. Si tu as une intention, tu fabriques toi-même la possibilité d’une désillusion et tu n'es plus dans l'instant. Tu essaies d'aller plus loin, là où il n'y a rien encore. Contente-toi de faire ce que tu penses être juste. Et quand tu décides de le faire, ne fais que ça. Le reste ne t’appartient pas.
-Tu veux dire qu’en venant ici, la seule chose importante était de tenter d’aider les Kogi mais qu’il n’y a rien d’autre à vouloir ou à espérer.
-Exactement. À quoi cela servirait-il que tu t’inquiètes pour l’avenir de ce monde humain ou de celui des Kogi ? As-tu une solution à apporter ?
-Non et c’est ce qui me ronge.
-C’est toi alors qui as choisi d’être rongé, ça n’est pas l’état de ce monde qui agit sur toi mais l’émotion que tu entretiens. Et non seulement, elle ne sert à rien mais elle te prive de l’énergie dont tu pourrais user pour être ce que tu portes. Et par conséquent, tu prives ceux qui pourraient te voir vivre dans ce qui est juste. Tu te condamnes deux fois : une fois pour la détresse que tu génères toi-même et ensuite pour la détresse de ceux qui vivent près de toi et qui souffrent de te voir dans cet état. Est-ce que c’est ainsi que tu penses agir de façon juste ? »
Un trouble immense, une leçon impitoyable.
« Tu es redoutable, chère petite fée.
-C’est le rôle des vraies amies. »
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