René Dumont, un visionnaire oublié

 

René Dumont, agronome tiers-mondiste et visionnaire

 

Publié le : 03/07/2021 - 11:22

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René Dumont, en avril 1974, lors de sa campagne électorale pour l'élection présidentielle de mai 1974. © AFP

Par :Agnès Rougier

17 mn

Expert du développement agricole devenu militant écologiste, René Dumont se revendiquait avant tout tiers-mondiste. Toute sa vie, cet ingénieur agronome s’est battu pour « mettre fin à la faim ». Alliant l’engagement, les connaissances scientifiques, l’analyse critique et le sens de la communication, René Dumont, le premier candidat écologiste aux élections présidentielles de 1974, est considéré comme le créateur de l’écologie politique en France.

René Dumont est né dans le Nord en 1904, d’un père agronome et d’une mère mathématicienne et directrice de collège, tous deux républicains laïques. René Dumont a 10 ans au début de la Première Guerre mondiale, il vit avec sa famille près du front et sa confrontation aux horreurs de la guerre le rendra pacifiste pour toujours.

Petit garçon, René Dumont adore passer ses vacances à la ferme de ses grands-parents et encouragé par son père qui lui communique son attachement à la terre, aux plantes, aux animaux, il décide, très jeune, d’étudier l’agronomie et il réussit brillamment le concours d’entrée à l’Institut national d’agronomie en 1922.

Sorti diplômé, René Dumont part effectuer son service militaire, mais le jeune homme au tempérament rebelle et pacifiste le vit très mal et en sortira dépressif. Pour s’en remettre, il travaillera comme ouvrier agricole pendant un an dans la ferme de ses oncles.

Jeune agronome productiviste

En 1927, René Dumont, jeune ingénieur agronome, veut découvrir le monde, se rendre utile, et il entre à l’Institut national d’agronomie coloniale (INAC). Il travaille au développement de l’agriculture intensive par les engrais chimiques et le machinisme. L’INAC l’envoie en mission au Maroc, puis en Tunisie, et enfin en Indochine en 1930. Il est alors responsable de la station agricole sur le delta du Fleuve Rouge, où il est chargé de tester les engrais pour la riziculture.

Mais en parallèle de son travail, l’agronome rencontre les agriculteurs locaux, ce qui le conduira à remettre en question l’idéologie des agronomes coloniaux et dans son première livre, La culture du riz dans le delta du Tonkin. René Dumont affirme ses positions critiques et anticolonialistes.

Pour Marc Dufumier, agronome et qui a été son élève en agronomie comparée : « Il était parti pour aider les Vietnamiens à se nourrir par eux-mêmes en intensifiant leur système de culture, mais il découvrait que l’attitude des Français était très autoritaire ».

René Dumont démissionne de l’INAC en 1932 pour entrer, en 1933, à l’Institut national d’agronomie (INA), où il créera la chaire d’agriculture comparée en 1953.

Nourrir le monde

Des années 1930 aux années 1960, la population mondiale est en pleine croissance. René Dumont est alors régulièrement sollicité pour ses conseils en agronomie, d’abord en France, pour mettre en place le système d’agriculture productiviste ; puis à la fin des années 1950, au lendemain des indépendances, par les jeunes gouvernements des anciennes colonies africaines.

Mais l’agronome, toujours à l’écoute des paysans, constate que le système néocolonial qui consiste à reproduire les techniques agricoles des pays industrialisés dans les pays du tiers-monde est source de dégâts sociaux et environnementaux : « Petit-fils de paysan et agronome, je dois défendre les paysanneries sous-développées et souvent opprimées, ces vrais prolétaires des temps modernes », écrit-il dans un livre qui fait scandale à sa publication en 1962, L’Afrique noire est mal partie.

Voyageur infatigable, ses missions l’amènent dans plus de 90 pays, de l’Inde à Cuba, où il constate les méfaits de la Révolution verte qui pousse à la monoculture mécanisée avec engrais et pesticides chimiques. Alors qu’il ne défend pas le libéralisme, René Dumont est aussi très critique envers l’agriculture des « pays socialistes », et de la canne à sucre à Cuba en particulier. Fidel Castro, mécontent, ira jusqu’à l’accuser d’être un agent de la CIA !

Où l’agronome devient écologiste 

Alors qu’au début des années 1970, les écologistes sont plutôt perçus comme des marginaux, René Dumont, scientifique de terrain, a à la fois la légitimité et les connaissances qui apportent crédibilité au discours écologiste, et le goût de parler en public. « Il était très bon professeur, très bon pédagogue… et très polémique ! déclare son ancien élève en agronomie comparée, Marc Dufumier, (…) mais la force de son enseignement, c’était de nous dire : "avant de donner des conseils, allez d’abord voir sur le terrain !" »  

En 1972, les scientifiques du Club de Rome éditent un rapport intitulé : « Stopper la croissance » – ou « Rapport Meadows » –, dans lequel ils affirment que le système planétaire va s’effondrer sous la pression de la croissance démographique et industrielle si rien n’est fait.

Et en 1973, René Dumont dresse à son tour un bilan implacable du XXe siècle productiviste : « Nous fonçons à toute allure dans le brouillard vers un mur de ciment », écrit-il dans L’utopie ou la mort, son dernier livre.

Alors que l’Afrique subsaharienne est en proie à de graves sécheresses depuis 1970, l’auteur tire le signal d’alarme sur l’épuisement des ressources naturelles, la pollution, le changement climatique et le risque d’effondrement de la civilisation dus à la croissance de la consommation dans les pays industrialisés, inversement proportionnelle à la misère des populations des pays démunis.

Naissance de l’écologie politique

Le professeur Dumont a 70 ans quand les représentants des mouvements écologistes, dont Brice Lalonde, des Amis de la Terre, lui demandent de porter la parole de l’écologie aux élections présidentielles de 1974 ; il accepte à condition qu’on le laisse libre de parler et devient le premier candidat écologiste en France.

Vêtu de son éternel pull-over rouge, le candidat Dumont a le sens du spectacle et la télévision est l’occasion idéale de faire passer ses idées : « Nous allons bientôt manquer d’eau », déclare-t-il aux téléspectateurs et brandissant un verre plein : « C’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau, précieuse, puisque avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera ». Le candidat écologiste, qu’aucun parti politique installé ne soutient, récoltera seulement 1,32 % des voix aux élections, mais l’écologie politique était née.

Un lanceur d’alerte visionnaire

Celui que l’on appelait « l’agronome de la faim », lanceur d’alerte visionnaire, professeur et militant, anticipait en 1974 les sujets qui sont aujourd’hui d’actualité – le changement climatique et ses conséquences, ou la perte de biodiversité –, il proposait aussi des solutions, comme l’agroécologie, dont la pertinence commence seulement à être perçue.

Pour Marc Dufumier, « le principal héritage de René Dumont, c’est que des solutions concrètes, oui, il y en a, et il y aurait des raisons d’être optimiste sur le fait qu’on peut nourrir l’humanité toute entière avec des formes d’agricultures respectueuses de l’environnement » mais quand on lui demande s’il est vraiment optimiste : « Politiquement parlant ? Alors là, je réponds à la René Dumont : je n’attends pas de le savoir pour rester mobilisé ! »

Jusqu’à son décès en 2001, René Dumont, auteur de plus de 60 ouvrages, militant tiers-mondiste, engagé pour le pacifisme et l’émancipation des femmes, membre fondateur de l’association Attac en 1998, dénoncera les effets délétères du productivisme et les inégalités entre pays du Sud et pays du Nord.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jardin d'agronomie tropicale René Dumont, le bâtiment d'Indochine © © RFI Agnès Rougier

Pour en savoir plus :

Site du Musée du vivant et de la fondation René Dumont

Extrait de L’Afrique noire est mal partie

René Dumont, une vie saisie pas l’écologie, par Jean Paul Besset, édition Stock, 1992

Marc Dufumier, agroéconomiste, spécialiste des agricultures dans les pays en développement

 

 

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