Dépression et Suicide

Une formation professionnelle qui détruit la personne.

La passion de soigner jusqu'à en mourir.

La pression des études jusqu'à l'oubli de l'autre.

L'identification de l'individu à ce qu'il fait jusqu'à en oublier ce qu'il est.

Les fragilités de l'individu nourries par les tabous de la fragilité psychique. 

On ne parle pas de "ça" parce que c'est honteux et éliminatoire. 

Toutes les abérrations d'une course à la "réussite" jusqu'à en perdre l'essentiel.


Suicide d'une résidente du CHUM: «ses études en médecine l'ont tuée»

Émilie Marchand, 27 ans, souffrait de dépression. «C'est... (PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE)

Agrandir

Émilie Marchand, 27 ans, souffrait de dépression. «C'est tellement tabou, l'épuisement et la dépression en médecine. Émilie ne voulait pas que ses patrons soient au courant de son état», se désole sa mère, Dominique Couture.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE


Au Québec, près d'un étudiant en médecine sur cinq a songé au suicide. Plus tôt ce mois-ci, une résidente en médecine interne au CHUM de 27 ans s'est donné la mort, venant ainsi confirmer cette sombre statistique. Or, depuis des années, la Fédération des médecins résidents du Québec mène un combat auprès des facultés de médecine pour briser le tabou de la détresse et de l'épuisement chez les étudiants-médecins.

Lorsque la police de Montréal a publié un avis de recherche avec la photo d'Émilie Marchand, à la mi-novembre, ses collègues médecins résidents au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) ont craint le pire.

Comme beaucoup d'étudiants en médecine qui soignent des patients tout en étant constamment évalués par leurs supérieurs, la jeune femme de 27 ans vivait chaque jour du stress à un niveau élevé, jumelé à une impression de ne pas avoir droit à l'erreur.

Et le pire est arrivé.

Le 15 novembre dernier, Émilie Marchand ne s'est pas présentée à sa garde à l'hôpital Notre-Dame. Elle a été trouvée morte deux jours plus tard dans sa voiture. Elle s'était suicidée.

«Ses études en médecine l'ont tuée», affirme sans détour sa mère, Dominique Couture.

L'hiver dernier, la résidente a fait une dépression majeure. Cette étudiante brillante, aimée de ses patients, a repris le travail en juin après quatre mois de congé de maladie.

Ce n'était pas son premier épisode dépressif. Deux ans plus tôt, elle avait reçu un diagnostic de trouble de personnalité limite, qui ne l'avait pas empêchée de poursuivre ses études avec succès.

«C'est tellement tabou, l'épuisement et la dépression en médecine, se désole la mère de la résidente. Émilie ne voulait pas que ses patrons soient au courant de son état. Elle craignait que cela nuise à la poursuite de ses stages. Elle a repris le travail à fond de train comme si rien ne s'était passé.»

La mère en deuil se demande pourquoi les résidents en médecine qui obtiennent un congé de maladie pour épuisement ne peuvent reprendre les gardes à l'hôpital de façon progressive. «Ce sont tellement des études exigeantes. Émilie n'avait pas le temps d'avoir une vie à l'extérieur du travail. Aucun loisir. Rien», déplore sa mère.

La mort de cette résidente en médecine s'inscrit dans un phénomène plus large: les futurs médecins sont souvent au bout du rouleau avant d'atteindre le marché du travail (voir autre texte). Un étudiant en médecine sur cinq a songé au suicide, selon un sondage mené par la Fédération médicale étudiante du Québec en 2012.

«Son suicide ne doit pas être uniquement lié à ce qu'elle vivait à l'hôpital. Mais le fait que la dépression chez les étudiants en médecine soit aussi taboue n'est sûrement pas étranger à sa mort», croit Étienne Leroux, un résident en médecine qui était proche d'Émilie Marchand.

Environ deux semaines avant de mourir, la résidente en médecine interne avait dit à des collègues que si elle n'était pas admise dans la spécialité de son choix en janvier, elle allait se donner la mort, raconte M. Leroux. Comme elle a plus tard annoncé qu'elle avait été admise, ses amis ne se sont pas inquiétés.

Une autre fois, à une collègue qui l'a surprise en train de pleurer, elle aurait répondu qu'elle vivait des difficultés à l'hôpital et dans sa vie personnelle, mais elle aurait demandé de ne surtout pas en parler aux patrons.

«Avec le recul, c'est plus facile d'assembler les pièces du casse-tête, mais elle n'avait dit à personne qu'elle souffrait d'une dépression sévère», affirme son ami.

Viser la perfection

Émilie Marchand était dans sa troisième année de spécialité, donc huitième année d'études en médecine. Comme plusieurs confrères, elle vivait une anxiété de performance. Elle visait la perfection. Rien de moins.

«À 8 ans, elle était déjà consciente de la pression qui venait avec ce travail, se rappelle son père, Richard Marchand. Ça m'a marqué. Elle m'avait dit: «Je veux être médecin, mais j'ai peur de faire des erreurs avec des patients.»»

Ce père en deuil se demande si, comme société, «on n'en demande pas trop à nos médecins». «À force d'exiger toujours la perfection d'eux, on oublie que ce sont des êtres humains», dit-il.

La jeune femme venait de terminer un stage éprouvant aux soins intensifs. La veille de sa disparition, elle a reçu son évaluation de stage. «Émilie me disait que ses patrons aux soins intensifs étaient durs envers elle. A-t-elle reçu une mauvaise évaluation? se demande sa mère. C'était une première de classe. Elle n'acceptait pas l'échec.»

Sa mort a bouleversé ses camarades de classe. L'Université de Montréal a organisé une rencontre d'urgence pour rappeler aux résidents les ressources d'aide psychologique mises à leur disposition. Or, le problème n'est pas l'accès au service d'aide, croit M. Leroux.

«Un système compétitif»

«Cela fait des décennies qu'on enseigne la pratique de la même façon. Notre formation consiste en une série de stages durant lesquels nous sommes supervisés et constamment évalués pendant quatre à huit ans, explique le résident en médecine. Il s'agit d'un vieux système machiste et compétitif qui, à travers les années, continue d'entretenir des règles non écrites telles que la détresse psychologique est un signe de faiblesse.»

À force de se faire dire «je suis passé par là moi aussi» par les patrons - même les plus jeunes -, les résidents en viennent à craindre de parler de leurs problèmes avec leurs supérieurs, raconte M. Leroux. Ils ont peur de recevoir une mauvaise évaluation qui pourrait mettre en péril la suite de leurs études.

L'étudiant a décidé de contribuer à briser le tabou en écrivant sur sa page Facebook que lui-même souffre d'anxiété et d'insomnie. «Je ne veux pas qu'Émilie soit morte en vain», laisse tomber le jeune homme, bouleversé par la mort de sa consoeur de classe.

«Il faut que les facultés de médecine cessent de pousser leurs étudiants au bout du rouleau, sinon il va y avoir d'autres morts», conclut la mère d'Émilie Marchand.


blog

Ajouter un commentaire