TOUS, SAUF ELLE

 

Les heros sont tous morts

La suite de "LES HEROS SONT TOUS MORTS"

Publication prévue pour la fin de l'année.

L'idée de départ est simple : les puissants, les maîtres de tous les peuples, ne laisseront pas l'humanité continuer à porter atteinte à la vie de la planète puisqu'eux aussi, les maîtres, seraient impactés. Il n'est pas d'autre solution que d'éliminer une part conséquente de cette masse humaine.

 

TOUS, SAUF ELLE

CHAPITRE 3

L'hélicoptère survolait des forêts immenses. Au loin se dressaient les sommets partiellement enneigés du parc national d'Arthur's Pass.

Début mai. L'hiver posait les premiers manteaux.

L'appareil effectua une rotation au-dessus de vastes forêts puis se dirigea vers un immense assemblage de bâtiments rectilignes. Des routes goudronnées reliaient les différents éléments du complexe militaire disséminés sur plusieurs centaines d'hectares. Les bâtiments où vivaient les militaires, une serre de cent mètres carrés, des champs cultivés, un verger avec des dizaines d'arbres, un parc arboré de plusieurs hectares, un terrain d'entraînement pour les soldats, un gymnase, une salle pour le tir et un stade extérieur. Deux rangées de grillages ceinturaient l'ensemble sur quatre mètres de haut.

L'appareil se posa sur l'hélisurface.

Protégé par quatre hommes en arme, un couple descendit de l'hélicoptère et monta dans une Cadillac blanche.

Le véhicule emprunta une voie rectiligne menant à une vaste demeure, à travers d'immenses étendues de pelouses soignées, ornées de bassins aux fontaines majestueuses.

Domaine de Walter Zorn, Nouvelle-Zélande.

Une architecture moderne, un bâtiment colossal, à la blancheur éclatante, une immense façade agrémentée d'étranges fenêtres, des hublots opaques comme des judas scrutateurs. L'ensemble figurant une citadelle redoutable mais dégageant pourtant une beauté stupéfiante.

Une construction récente dont la magnificence contrastait si fortement avec l'ensemble militaire qu'un diamant au milieu de galets aurait eu le même effet.

Une Maison-Blanche, bunkérisée, solidement implantée dans l'hémisphère sud, au milieu de nulle part.

Arrivé à destination, le couple descendit du véhicule, accompagné jusqu'au perron par deux militaires en armes.

Ils empruntèrent une allée couverte, un entablement soutenu par des colonnades de pierre blanche.

Un majordome accueillit le couple et les salua.

« Bienvenue, Monsieur Zorn. Bienvenue, Madame. 

– Bonjour Zack. »

L'homme prit les manteaux du couple qui emprunta immédiatement le hall en marbre blanc.

Treize hommes et une femme réunis dans une salle ovale, une coquille d’œuf éclairée par des hublots dépolis, une bulle insonorisée, isolée du monde extérieur.

Aucune décoration. Des murs nus, lisses, couleur crème, un sol marbré, une immense table en verre translucide, des sièges noirs à accoudoirs.

« Combien avez-vous dit, cher Helmut ?

–Douze milliards.

–Quelle échéance ?

–David, ce sont de simples prévisions avec leur contingent d’erreurs mais avant la fin de ce siècle, cette population mondiale semble tout à fait probable. Nous en avons déjà parlé et rien aujourd’hui ne vient contredire nos prédictions.

– J'ai toujours du mal à enregistrer ce nombre tellement il semble fou.

–Vous connaissez tous les problèmes planétaires que nous rencontrerons », intervint Walter Zorn, fondateur de l’Ordre des Immortels. 

Carrure de rugbyman, quarante-deux ans, adepte du régime végétarien, cheveux courts taillés à la tondeuse, un visage imperturbable ciselé au cordeau, une large mâchoire, des yeux si marron qu’ils en paraissaient noirs, une profondeur de gouffre et simultanément une puissance de pénétration redoutable. Personne ne soutenait son regard.

Les quelques femmes de la haute société qui avaient entendu parler de lui en rêvaient secrètement. Les rumeurs les plus exaltées se diffusaient inévitablement sur cet homme insaisissable. Les rares individus qui se permettaient d’évoquer son existence usaient de la déférence accordée habituellement à un saint : le saint le plus fortuné de toute la planète.

« Je me permets de vous en brosser un petit descriptif afin que tout soit clair pour les trois jours à venir, continua-t-il. Je vous rappelle également que nous accueillons aujourd’hui la première femme de notre communauté. C’est un honneur, un privilège, une très grande satisfaction que notre projet corresponde à une personnalité aussi charismatique que Fabiola Mesretti et je me réjouis de sa venue. Vous connaissez tous le parcours exceptionnel de Fabiola et ses extraordinaires compétences. Elle tient à ce que ses talents nous servent et je l’en remercie, au nom de l’Ordre des Immortels.»

Tous les visages se tournèrent vers la beauté fatale, assise aux côtés du maître des lieux. La trentaine, tailleur clair vantant des formes parfaites, une longue chevelure brune couvrant les épaules, un visage fin, la femme hispanique dans toute sa grâce et son mystère. Présidente de la principale banque espagnole, un réseau de plus de cent vingt agences sur la péninsule et trente-deux succursales en Amérique du Sud. Une femme d’affaires de haut vol. Tous les hommes qui avaient tenté de s’opposer à ses projets avaient fini par abandonner. La détermination psychologique de Fabiola était à l’égal de sa flamboyance.

Walter inclina la tête, un geste empreint d’un profond respect et un plaisir évident.

Elle lui répondit en posant délicatement une main sur son avant-bras.

L’assemblée observa silencieusement la scène. Walter et Fabiola. Dix ans d’écart, le couple dont rêve la presse people. La classe, la fortune, la beauté, la réussite. Tout le monde savait que la venue de la banquière ne pouvait souffrir de la moindre contestation. Et d’ailleurs, contempler une aussi belle femme ne déplaisait à aucun des hommes présents.

« Avec cette densité planétaire, reprit Walter, l’approvisionnement alimentaire sera un problème majeur. L’accès à l’eau potable tout autant. Aux environs de 2050, selon nos modélisations, les deux tiers de la population mondiale, c'est-à-dire de nos fameux douze milliards, seront affectés par une pénurie d’eau. Entre quatre et cinq milliards de personnes déjà vers 2030. Dans un avenir très proche, quelques années, il faudra compter sur un milliard de réfugiés climatiques avec toutes les tensions que cela va générer et qui ne pourront que s'étendre. Nous entrerons par conséquent dans une période très troublée. Un peuple qui meurt de faim et de soif se révolte parfois avant d’être trop faible et il est toujours possible de le ramener au silence. Nous en avons une longue expérience. Mais si dix peuples se révoltent, cela s'apparente à une contagion beaucoup plus difficile à enrayer. Nous pourrions évidemment trouver quelques moyens pour circonscrire ces mouvements de masse durant quelque temps. Nous pouvons toujours fomenter des guerres pour obtenir des traités qui nous servent, profiter des marchés issus de la reconstruction des pays ravagés par la vente de nos armes, bénéficier de la faiblesse des États pour nous accaparer leurs matières premières. Nous pouvons propager des virus pour réduire les populations et nous saisir de leurs territoires, nous pouvons soumettre des peuples par la force et instaurer une illusoire démocratie. Nous pouvons produire une alimentation suffisante pour les pays développés en pillant les pays pauvres. Mais il est un élément contre lequel nous sommes impuissants et dont nous aurons, nous aussi, à souffrir, un élément qui nous contraint à changer radicalement de modes d'intervention : le ré-chauf-fe-ment cli-ma-ti-que. »

Chaque mot minutieusement articulé, un découpage syllabique qui intensifiait la portée.

« Vous le savez, désormais, nous ne pouvons plus nous contenter d’inventer des procédés technologiques ou des lois qui nous avantagent sans nous préoccuper des dégâts que l’humanité entière a provoqués et amplifie encore, jour après jour, en utilisant ce que nous leur vendons. »

Walter adressa un regard aimant à Fabiola qui versait de l'eau dans sa flûte de cristal puis il reprit son allocution.

« D'un milliard d’individus en 1830, nous sommes passés à deux milliards en 1930. Désormais, nous approchons des huit milliards et la population mondiale augmente de quatre-vingt-dix millions d'individus par an. La consommation d’énergie a été multipliée par dix sur un siècle et elle ne cesse d'augmenter. La quasi-totalité de la planète court après le mode de vie occidental. On peut dire aujourd'hui que le matérialisme fait partie de l'ADN des humains. Vous savez également qu’aucune des restrictions énergétiques ou des technologies d’énergies renouvelables ne parviendront à stopper le processus du réchauffement climatique renforcé par les paramètres précédents. Tout au plus sera-t-il ralenti mais les phénomènes naturels ont pris déjà une ampleur considérable : inondations, cyclones, tornades, sécheresse, canicules et incendies gigantesques, atteinte générale à la biodiversité, épuisement des sols par surexploitation et empoisonnement, augmentation constante des températures, jusque dans les zones polaires, fonte des banquises et de l'inlandsis, réchauffement et élévation du niveau des océans auxquels il faut ajouter une pollution exponentielle par des millions de tonnes de plastique, épuisement des ressources halieutiques, affaiblissement considérable du corail à l'échelle mondiale, épuisement des nappes phréatiques et de l'eau potable, pollution de l'air dans toutes les mégalopoles, disparition des insectes et hyménoptères pollinisateurs et d’autres constats encore sur toute la biodiversité. Vous avez tous entendu parler de la sixième extinction de masse. Il serait absurde de croire que tout cela ne peut pas porter préjudice à l'Ordre des Immortels. »

Walter balaya l'assemblée attentive et pensa soudainement à ce bref échange avec le jardinier en chef du domaine, au printemps dernier. L'homme, attristé, avait évoqué la disparition des abeilles dans le parc. « Des fleurs qui ne sont plus aimées, c'est à pleurer, » avait-il dit. Walter avait répondu qu'il allait très prochainement s'occuper du problème et qu'entre-temps, il invitait le jardinier à installer des ruches dans l'enceinte du domaine et à récolter le miel produit.

Il considéra enfin, avec un certain amusement, que le projet Némésis contribuerait au retour des abeilles et que l'enjeu valait bien la disparition partielle de l'humanité.

« Ces phénomènes, une fois enclenchés, poursuivit-il, deviennent exponentiels. Il serait ridicule de compter sur un retour à des données acceptables mais il faut surtout comprendre que l’inertie de ces courbes dépasse l’entendement. Très peu d’humains ont conscience de l’avenir parce qu’ils n’ont pas la volonté intellectuelle de s’y confronter. Nous ne sommes donc pas dans des délires apocalyptiques. Vous connaissez tous désormais la réalité indéniable de ce désastre. Pour résumer en une phrase, nous allons droit au bûcher. L’humanité se condamne mais condamne avec elle l’Ordre des Immortels et cela, nous ne pouvons l'accepter. »

Walter laissa le silence inscrire dans les esprits les images que ses paroles provoquaient. Que chacun, encore une fois, prenne l’exacte mesure de la situation.

« Nous savons également, Walter, qu’il n’est plus temps d’attendre et c’est bien pour cela que nous sommes tous réunis ici, intervint Fernando.

–Et que nous devons tous nous entendre pour agir communément et définitivement, reprit Walter, sans qu’aucun intérêt personnel ne vienne entraver notre mission. Six ans que nous travaillons à élaborer ce projet. Le temps est venu de l’appliquer sur le terrain et cette dernière rencontre marquera le début d’un nouveau monde. Nous avons tous hérité de la sueur et de la détermination de nos pairs et ceux ou celles qui nous rejoignent sans être issus de cette lignée, adhèrent intégralement à nos idées. Nous devons donc nous montrer dignes de nos prédécesseurs et implacables pour le bien de nos descendants. Le plan que nous allons finir d’élaborer ici devra entrer en vigueur le plus efficacement possible. Nous possédons toutes les connaissances pour cela. Némésis entre dans sa phase finale, messieurs et chère madame, et nous ne pouvions l’appeler autrement.

Walter accentua l’hommage en plongeant ses yeux dans ceux de Fabiola puis il invita l’assemblée à se lever. Chacun croisa les mains sur la poitrine. Comme des récitants respectueux, des prêtres antiques invoquant leurs dieux.

La voix de Walter s’imposa :

« Némésis est notre salut, Némésis nous libérera de l’humanité. »

Tous les hommes et Fabiola répétèrent la sentence d’une même voix puis le silence retomba. Quelques secondes de réflexions ciblées, le scénario à venir.

Les treize hommes se dispersèrent par petits groupes. Fabiola se joignit à l’un d’eux. Quatre salles furent investies puis les portes fermées.

Trois jours pour finaliser le plan « Némésis. »

Trois jours pour modifier à tout jamais la face du monde.

 

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