TOUS, SAUF ELLE : cahier de survie

 

Cette impression très forte que la trilogie en cours d'écriture est une anticipation d'un roman historique. Non pas juste une projection imaginaire mais un scénario à venir et qu'il s'agira donc un jour d'un développement plus ou moins exact de faits passés.

Premier tome : "LES HEROS SONT TOUS MORTS"

Deuxième tome  : "TOUS, SAUF ELLE"

Troisième tome : "LE DESERT DES BARBARES"

 

"Le terme anticipation désignait autrefois la science-fiction (le terme n'étant apparu qu'en 1926). Il désigne aujourd'hui un genre bien à part de la science-fiction et se caractérise par la projection du lecteur dans un temps futur et fictif. Le plus souvent, le roman d'anticipation mêle éléments réels issus de la vie quotidienne et éléments imaginaires, de sorte que l'univers décrit apparaisse vraisemblable et crédible pour le lecteur."  

 

TOUS, SAUF ELLE

Chapitre 45

Elle se leva silencieusement et rejoignit la bibliothèque du salon. Elle ne souhaita pas reprendre sa lecture précédente et laissa ses yeux naviguer sur les étagères.

Dans un angle du mur, une petite planche en bois, un coin d'ombre, comme remisée dans un lieu discret. Quatre cahiers au format identique. Une écriture manuscrite sur le dos.

« Cahier de survie / tome 1 »

Intriguée, elle retira le volume du rayonnage.

Une couverture rigide, un large format, des calligraphies ésotériques. Elle songea à des manuscrits religieux.

Elle l’ouvrit délicatement et le feuilleta.

Des notes au stylo, des schémas minutieux, de multiples graphiques, des articles découpés et soigneusement collés.

Un sommaire, des numéros de pages.

Réchauffement climatique, réserves stratégiques de carburant, cyberattaques, pandémie, autonomie alimentaire des mégapoles, nouvel ordre mondial, permafrost et méthane, élévation du niveau des océans, démographie et alimentation, biodiversité et déforestation, phénomènes climatiques et catastrophes naturelles, comportement humain et sociologie, menaces nucléaires.

Tout était classé, numéroté. L’ordre habituel de Théo.

Une bible du survivalisme.

Elle jaugea rapidement le contenu à une centaine de feuilles par volume. Les trois autres cahiers étaient identiques. Des heures de réflexion, assurément. Une écriture très serrée, comme guidée par la peur de manquer de papier.

Elle s’installa sur la banquette et se laissa guider par l’intuition. Tellement de choses à lire. Un titre écrit en gras capta son attention.

« Conséquences d’une rupture brutale d’approvisionnement en pétrole. »

Théo lui avait déjà parlé de ce scénario. Elle voulut en savoir davantage.

Trois jours de réserves alimentaires sur Paris. Dépendance critique au ravitaillement. Comme la plupart des principales villes françaises. Transport routier vital. Rationnement obligatoire et des émeutes inévitables. Les réseaux sociaux amplifieront la propagation de la panique. Deux mois de réserves stratégiques de carburant au niveau national quand la situation est gérée. Beaucoup moins si un mouvement de panique s’empare de l’ensemble de la population. Confiscation par le gouvernement des stocks éparpillés sur le territoire. Pillages des magasins. Situation médicale dramatique. Les pannes surviendront très rapidement sur les infrastructures vitales. Plus d’alimentation en eau dans les immeubles. Plus de chasse d’eau. Problème d’hygiène. Plus d’approvisionnement en sang dans les hôpitaux. Plus de médicaments dans les pharmacies. Les morgues seront débordées. Conservation impossible des corps. Protection des bâtiments gouvernementaux et des préfectures. Prise en charge du fonctionnement des centrales nucléaires. Mise à l’arrêt des réacteurs. 

Comment peut-on en arriver là ?

* Des attaques terroristes de très grande ampleur, menées par des groupes fortement armés et financés par des États complices. Les raffineries de France et d’autres pays européens peuvent être facilement atteintes. Des incendies incontrôlables réduiront à néant les structures.

* Un conflit international entre les USA et le Moyen Orient dégénérant en guerre civile entre sunnites, chiites, wahhabites des différents pays arabes et s’étendant aux pays occidentaux sous la forme d’attentats. Les communautés arabes établies dans les pays occidentaux seront ciblées et devront se défendre. Conflits armés dans les grandes villes. Des guerres ethniques entre factions religieuses dans les pays arabes. La Libye est devenue un terrain militaire gigantesque où différents groupes armés s’entre-déchirent, un terreau explosif. La Syrie, le Niger, l’Indonésie, l'Irak, l’Afghanistan et tous les autres. Beaucoup trop de pays incontrôlables. Le blocage du détroit d’Ormuz et des destructions d’oléoduc. Un effet domino orchestré par des attaques diverses, explosions, incendies, cyberattaques, pollutions chimiques entraînant des déplacements massifs de populations. Il y aura inévitablement des dingues qui profiteront du désordre et viendront l’amplifier par des actes imprévisibles, des groupes borderline, sous le contrôle d’aucun État ou groupe connu, juste des fous adeptes de l’apocalypse et rêvant de la fin du monde. Les banlieues et l’ensemble des grandes mégapoles deviendront des zones de non-droit, des territoires tenus par des groupes extrêmement violents. Les armes existent déjà. Il ne manque que la disparition des forces de l’État pour lâcher les fauves.

* Un éventuel complot politico-financier au sommet de la hiérarchie des hommes les plus puissants de la planète pour instaurer un gouvernement unique à l’échelle mondiale, un plan similaire aux pires romans d’anticipation, des décisions impliquant l’ensemble de l’humanité afin de mettre un terme à la démographie galopante et à ses effets sur l’ensemble de la planète, un plan qui viserait à réduire considérablement le groupe humain afin de permettre une mainmise totale sur les survivants et d'installer sans aucun contre-pouvoir un ordre mondial.

Cette dernière option me semble de plus en plus probable. Les puissants ne laisseront pas l’humanité détruire la vie sur la planète puisqu’ils disparaîtraient eux aussi.

Une sidération.

Tout était possible. Rien n’était contestable et pourtant, elle ne parvenait pas y croire totalement, comme si des résistances archaïques l’emprisonnaient dans une vision idyllique du monde, une croyance tenace envers les gouvernants, l’impossibilité d’une telle dévastation au regard de toutes les inconnues qu’elle contenait.

Elle tourna la page.

Comportement de la population

* Si on regarde le comportement irrationnel des consommateurs le premier jour de soldes des grands magasins, on a une idée de ce qui peut survenir au regard d’une pénurie alimentaire. La loi martiale aura beau être décrétée, rien n’empêchera les pillages. L’ouragan Katrina ou celui qui a frappé Saint-Barthélemy et Saint-Martin ont engendré des mouvements violents qui n’ont pu être jugulés qu’avec l’intervention des forces de l’ordre. Qu’en sera-t-il lorsque celles-ci ne pourront contenir des mouvements similaires à l’échelle nationale ou européenne puisqu’elles ne seront plus en mesure de simplement se déplacer? Qu’en sera-t-il lorsque les stocks stratégiques de carburant seront épuisés, lorsque les infrastructures vitales auront été détruites, lorsque le réseau électrique ne fonctionnera plus, lorsque l’alimentation en eau potable sera rompue ? Le pétrole, c’est le sang de l’organisme des états et lorsque le sang ne circule plus et que les principaux organes sont atteints, le retour à une situation normale n’est plus envisageable. Et personne n’a réellement idée des impacts causés, de leur vitesse de propagation, ainsi que des dégâts engendrés.  On ne guérit pas un mourant. On ne peut que prier pour le repos de son âme.

Qui sera encore en état de prier ?

Elle ferma le cahier et se leva lourdement, assommée, perdue, un déséquilibre intérieur, une masse écrasante qui comprimait sa poitrine.

Elle avait besoin d’air pur.

Elle sortit sur le perron et rejoignit le banc accolé à la façade.

Elle s’assit et respira profondément, lentement, en levant les yeux vers le ciel étoilé.

Une vague subite de frissons la parcourut. L'air était tiède et elle ne vit dans les flux nerveux que la peur qui coulait dans ses fibres.

 

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