TOUS, SAUF ELLE : coma.

 

Dans la rubrique THÈMES, il faudrait que je crée une page qui regrouperait tous les extraits de mes romans dans lesquels les personnages vivent une expérience de conscience modifiée.

De VERTIGES à JARWAL, ils contiennent tous cette dimension, cette exploration, cet espace que nous n'avons pas encore parcouru, cartographié, identifié et qui me fascine. 

 

TOUS, SAUF ELLE

Hôpital sud de Grenoble, service de neurochirurgie.

«  Lieutenant Bréchet. »

Théo montra sa carte au Docteur Flaurent auprès duquel il avait obtenu un bref échange.

« Docteur, vous pouvez me donner des nouvelles de madame Bonpierre ? Une enquête est en cours. »

Théo regretta immédiatement le ton de sa voix. Trop directe, autoritaire, trop intrusive. Toujours ce manque de diplomatie qu’on lui reprochait, la courtoisie qu’il était incapable d’adopter quand l’urgence l’emportait. Il se fustigeait régulièrement mais ne parvenait jamais à respecter ses promesses. Il avait même fini par réaliser que ses relations extra-professionnelles souffraient parfois de cette fâcheuse tendance à paraître présomptueux. Lui savait qu’il n’en était rien. Il ne s’expliquait cette rudesse relationnelle que par sa méfiance chronique envers l’humain.

Le docteur était plus petit que Théo et il releva légèrement la tête, pour plonger les yeux dans ceux du lieutenant. Il n’aimait pas cette attitude de cow-boy. Il n’aimait pas la police en général. Trop d’arrogance.

« Mademoiselle… lieutenant. Pas madame. Je sais que le terme est désuet mais pour un homme de mon âge, il a toujours la même valeur.

–Ah, désolé. »

Le chirurgien faillit dire qu’il ne lisait pas correctement ses fiches mais il se retint.

« Coma profond, continua-t-il, un hématome conséquent, il faut que je l’opère demain matin. Pour l’instant, il s’agit de la stabiliser et de la préparer. C’est une opération délicate, des zones cérébrales majeures.

–Il peut y avoir des séquelles ?

–Elle peut même mourir. Mademoiselle Bonpierre a certainement passé plusieurs heures dans cette voiture avant d'être secourue. C'est un paramètre inquiétant. Pourquoi y a-t-il une enquête ?

–Il y avait deux flics avec elle, deux collègues. Un est mort et l’autre est dans le coma, alors vous voyez, on aimerait être sûr qu’il s’agit bien d’un banal et tragique accident. 

–Vous aimeriez donc que je vous prévienne lorsqu'elle se réveillera ? Et vous imaginez sans doute qu’elle sera en état de tout vous raconter. Alors, écoutez, lieutenant, Laure Bonpierre ne sera peut-être plus de ce monde dans quelques heures ou alors, elle sera dans un état végétatif, ou elle aura toutes ses capacités mais peut-être plus celle de la parole, ou elle sera totalement amnésique, ou frappée d’amnésie partielle et je pourrais continuer la liste des hypothèses encore un moment. Il s’agit de neurochirurgie pas d’une appendicite. »

Regards croisés. Tensions similaires.

« OK, Docteur, désolé si je me suis montré incorrect. Disons que j’ai l’impression qu’on pourrait apprendre quelque chose de capital. Et j’aimerais vraiment comprendre ce qui s’est passé pour mes deux collègues.

–Si je juge, qu'un jour, Mlle Bonpierre est apte à vous aider, je vous préviendrai.»

Théo salua le docteur en lâchant un « Merci » qu'il chercha à envelopper dans un sourire appuyé.

Laure Bonpierre.

Il rejoignit sa voiture en regrettant de n'avoir pas pu la voir.

La lumière dans son corps, un rayonnement d’une douceur infinie, comme une caresse d’ange. Elle n’avait aucune douleur puisque son corps n’était plus que lumière. Elle sentait en elle l’agitation des atomes, rien ne lui appartenait, la lumière l’avait désintégrée et ses molécules dansaient dans le flot. Elle ne comprenait pas comment il était possible de sentir quelque chose en soi quand on n’a plus de matière. À moins, qu’elle soit devenue de la lumière. Non, ça n’était pas elle, mais en elle, elle n’était pas la lumière mais la lumière lui permettait de rester là, de ne pas s’engager plus loin dans le canal des âmes. Oui, c’était ça.

Elle avait regardé la lumière investir le corps penché devant elle, elle l’avait vu tressauter, comme un mécanisme ranimé, une clé tournée pour relancer les engrenages. Elle se souvenait de l’allégresse de la vie dans les étincelles qui l’enveloppaient. Une intensité lumineuse sur la poitrine. Elle avait entendu le premier souffle ranimé, une longue inspiration et un profond relâchement, comme un soulagement merveilleux, un délice, une renaissance.

La tête du conducteur penchait par contre d’une façon incompatible avec la vie. La lumière ne l’avait même pas effleuré. Une intervention inutile.

Des crépitements, comme des sarabandes endiablées d'étoiles électriques. Elle avait été enveloppée.

Elle avait très clairement perçu le renforcement de l’intensité lumineuse à l'intérieur, le rayonnement qui parcourait les réseaux de son cerveau, elle avait vu les effluves comme des risées disparates à la surface de l’océan. Elle avait trouvé cela très beau. Comme un plongeur éclairant de sa lampe le plafond d'une grotte marine, elle avait parcouru l'intérieur de son crâne dans une apesanteur magique, fascinée par l'acuité étrange de son regard : elle ne voyait pas les choses, elle en ressentait l'énergie.

Elle était tombée en admiration devant cette complexité miraculeusement organisée à l'intérieur d'elle. Pouvoir contempler la vie en soi et se réjouir du miracle. Elle avait pensé qu'elle avait une chance inouïe.

Puis, son regard s’était tourné vers une paroi translucide, des mouvements rapides qui effaçaient des débris et elle avait croisé des yeux effarés, un visage penché comme à travers une lucarne. Elle avait perçu de l’effroi, un courant d’air glacé.

Et tout s’était éteint.

Maintenant, elle entendait les voix autour d’elle. Elles parlaient toutes d’un cerveau très abîmé. Elle aimait le parfum de fleurs qui accompagnait la voix d’une femme. Elle se souvenait d’un Indien. C’était étrange tout ce blanc à l’intérieur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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