Une Réalité à saisir.
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/11/2011
- 0 commentaire
Le XX ème siècle et celui en cours ont propulsé les hommes dans une connaissance et une maîtrise des techniques bien au-delà de tout ce qui était envisageable et la vitesse à laquelle tout cela évolue est exponentielle. Il n'en reste pas moins que nous ne sommes que des ignorants encombrés au regard de la Réalité. Nous possédons des données, des concepts, des théories et nous les mettons en pratique. Des scientifiques ont atteint un niveau de connaissances absolument fascinant mais personne n'est en mesure malgré tout, dans ce registre scientifique, d'expliquer le fond des choses. Non pas les "Comment" mais le "Pourquoi" ?
"Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?"
Cette question fondamentale a été posée par Leibniz dans le 7ème article des "Principes de la nature et de la grâce fondés en raison."
Je n'ai évidemment pas la réponse mais je m'interroge au préalable sur ce "quelque chose". Car ce "quelque chose" dont nous pensons être conscient, il me semble que nous sommes très loin d'en avoir saisi l'étendue. Je parlais dans le post précédent de la création artistique. Il n'y a pas de création mais un modelage personnalisé de l'émotion au regard des perceptions de ce que nous jugeons comme étant la Réalité. Mais quelle est-elle cette Réalité, quel est donc ce "quelque chose" ?
Les scientifiques ont parcouru la matière puis ils ont rencontré l'énergie. Ils ont établi les liens qui existent entre ces deux composantes de la Réalité. Le meccano qu'ils ont décrit est d'une complexité sans nom. Innommé parce qu'intraduisible, non pas dans son architecture mais dans la raison même de son existence.
Rien ne l'explique.
Ce fameux Rien est d'ailleurs, lui aussi, tout autant insaisissable que le Tout. Dès lors que je cherche à identifier le Rien, je lui donne une existence, aussi métaphysique qu'elle soit, aussi inconstante et informelle. Parler du Rien, penser au Rien, imaginer le Rien est un non sens. Il n'y a Rien que le Néant et ce Néant n'est pas accessible puisqu'il n'existe pas. Le Néant ne peut éventuellement être perçu qu'en lui opposant la Réalité ou le "quelque chose."
L'autre question insoluble revient à s'interroger sur le point de départ. Comment concevoir l'idée que quelque chose est apparue du Néant ? S'il n'y a Rien, comment pourrait-il en jaillir quelque chose ? Dans toute la réalité que nous percevons, quelque chose existe nécessairement par rapport à autre chose. Jamais par rapport à un Rien qui aurait donné Quelque Chose. C'est inconcevable. Il existe nécessairement une matière ou une énergie initiale.
Alors puisque ces questions resteront, pour ma part, de l'ordre de l'irrésolu, je m'en tiens à la perception de cette Réalité. Elle est tangible, palpable, matérielle, saisissable, à défaut de nous offrir les raisons de sa survenue.
Mais est-ce que pour autant, j'en connais "réellement" l'étendue. Je ne peux pas conceptualiser le Rien de part son inexistence mais la multiplicité phénoménale des formes prises par la Réalité n'a-t-elle pas fini par créer un voile qui couvre la conscience totale de cette Réalité ? Ne suis-je pas au regard de la Réalité dans le même état d'ignorance que pour le Néant ?
D'un côté, nous avons donc le Néant inconnaissable et de l'autre une Réalité encore inconnue. Et nous vivons pourtant dans une illusion de puissance.
Même si je finissais par comprendre le fonctionnement de mon ordinateur et l'étonnante passerelle offerte par la mise en forme des mots et de sa diffusion, je ne comprendrai pas pour autant la Réalité qui sous-tend cette matérialisation. Nous savons en user mais nous n'en comprenons pas la structure, ni encore moins l'apparition. Je ne parle pas de la technologie mise en œuvre mais de la possibilité que cette technologie existe.
Si je me pose la même interrogation concernant mon existence, là, je me place au bord d'un gouffre sans fond... Inexploré et terrifiant. Et c'est bien cette terreur qui nous pousse à rester dans l'illusoire utilisation des choses sans nous interroger sur leur raison d'être.
Une raison d'être.
Une autre question. Car s'il y a une raison, cela signifie qu'il y a une intention. Dès lors que nous mettons en avant notre raison, dès lors que nous en usons, il y a une intention, un objectif, et préalablement il est probable qu'il y ait une cause. Nous n'agissons pas initialement, nous nous efforçons juste de réagir à bon escient. Si je tente de clarifier mes idées, c'est uniquement parce qu'un trouble existe. Je ne fais que réagir à ce trouble en usant de ma raison pour avancer. Et ce trouble lui-même n'est pas venu du Néant. Il existe en moi depuis que ma raison s'est éveillée et m'a permis d’œuvrer à la compréhension de la Réalité. Rien ne vient de Rien. Tout existe à travers une existence déjà réelle et qui se dévoile peu à peu. Il n'y a pas de Création spontanée dans ce qui est déjà créé.
Mais alors s'il y a une intention, il est nécessaire qu'elle soit issue d'une intelligence. Ou alors, si cette intention est totalement incompréhensible, c'est qu'elle est issue d'un pur hasard. J'éprouve une véritable nausée à concevoir la Réalité comme un pur hasard car cela signifierait que ce hasard, qui jusque-là s'est montré particulièrement fabuleux et créatif, pourrait tout aussi bien tomber dans une dégénérescence catastrophique au regard de la Vie. Est-ce que l'enchaînement évolutif pourrait s'inverser et tendre vers une involution dissipatrice qui conduirait à une extinction de tout ? Si tout n'est que hasard, rien n'est établi. Si rien n'est établi, tout peut disparaître.
Je n'ai pas tenté d'éclairer mes inquiétudes existentielles par hasard mais bien parce que je dispose d'un intellect qui me permet de me projeter vers une intention évolutive. En comprenant ce qui me trouble, j'use de mon potentiel. Si tout cela n'était qu'un hasard, il ne pourrait y avoir d'intention, ni encore moins de raisonnement, ni encore moins de trouble puisque rien n'aurait de raison d'être et qu'il n'y aurait par conséquent aucune raison d'expliquer ce Rien. Le Néant ne peut avoir de raison d'être.
Quelle est par conséquent la raison d'être de la Réalité ? A-t-elle une intention ? Et s'il y a une raison et une intention, d'où viennent-elles, qui en est l'instigateur, quelle est l'étendue de cette intelligence ?
Je n'en sais rien.
Je n'ai aucune réponse.
Ça ne m'est pas accessible.
Et les réponses données, établies par des penseurs reconnus ou des entités manipulatrices ne m'intéressent pas. Si je suis arrivé à ce point d'interrogation, ça n'est sûrement pas pour tomber dans des réponses rapportées et admises.
Je préfère rester au bord de mon gouffre et contempler le vide en moi.
Comment pourrais-je comprendre la Réalité en me contentant d'adopter la version de la réalité des autres ? Je n'ai aucune angoisse existentielle et je regarde ce vide en moi avec une infinie délectation.
On peut concevoir cette Réalité comme se trouvant de l'autre côté du mur.
Nous sommes tous et toutes au cœur d'un gigantesque show. Nous ne percevons que la réalité pour laquelle nous avons été conditionnés, éduqués, formatés.
Il faut pousser la Porte.
Ajouter un commentaire