Walter Bonatti
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/09/2011
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Extrait :
" C’est comme si soudain j’étais revenu à la vie, après en avoir été infiniment éloigné. Je sens renaître l’homme, avec lequel ces derniers jours je n’avais eu aucun contact (…) Je sais que j’ai franchi la barrière qui me séparait de mon âme, je sens que le nœud que j’avais à l’intérieur de moi-même s’est enfin délié. Dans l’émotion de cet instant, je me surprends à pleurer et puis à chanter. ”
Extrait :
La lune monte dans le ciel, qu’elle inonde d’éclatante clarté, empêchant la nuit de s’assombrir, mais non de répandre son calme infini. Tout est immobile dans le grand gel de l’arrière-saison ; le silence est intact. Pas le moindre craquement des glaciers, pas de murmure lointain des torrents des vallées profondes, pas un souffle de vent. Rien que les étoiles scintillantes, une grande mer d’étoiles dans laquelle je voudrais me fondre. Tandis que la froide lune étire et retire sur la neige ses lames de lumière spectrale, moi je suis là, incertaine et fragile statue de glace, à respirer la magie d’une nuit qu’on dirait venue d’un autre monde. Je suis ivre de solitude et de cette imagination qui vous emporte parfois là où vous n’êtes pas, mais où vous voudriez être.[…]
La croupe s’aiguise maintenant en une longue arête de glace et, lorsque celle-ci se couche, je suis au sommet du Mont Blanc.
J’ai atteint mon but. Et maintenant j’ai l’impression que je vis un moment prophétique. Il n’y a plus autour de moi qu’espace et lumière, et les immenses chaînes silencieuses sous leur manteau de neige éternelle.
Nettement détachés au milieu de ces ondulations émergent le Cervin et le Mont Rose, nimbés d’un arc de vapeurs rouges qui annoncent l’apparition du soleil. Sous cette houle de montagnes s’allongent les grandes vallées vertes que la nuit remplit encore de son ombre. Le vent balaie librement les glacis de neige et s’insinue, glacé, sous mes vêtements, mais bientôt s’apaise, car le premier rayon de soleil vient de faire son entrée triomphale dans l’océan blanc du silence.
[…] Mes pensées vaquent, légères, en un incessant va-et-vient des choses à l’esprit et de l’esprit aux choses, je sens naître en moi des émotions nouvelles, des dimensions inconnues qui échappent toujours à mes tentatives de les expliquer et que le moi rationnel craint parfois de découvrir. L’intimité de la solitude m’engloutit totalement, et mon imagination prend plus que jamais son élan. Plus que jamais, j’ai vu avec les yeux de l’esprit, écouté la grande respiration de la nature, donné des dimensions humaines à l’infini. Au terme de mon errance, je me suis confondu dans l’univers. J’ai senti toute la beauté et la merveille de l’existence. J’ai enfin trouvé la vérité, la seule vérité possible au-delà de toute supputation : la vérité du cœur.
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