"Bon courage"

Pendant notre raid à vélo de Clermont-Ferrand à Sète, j'étais surpris à chaque fois qu'à la suite d'une rencontre et d'une discussion, notre interlocuteur nous disait en partant : "Bon courage".

Mais quel courage ? Il n'est nullement question de courage dans cette situation. Le mineur qui descend tous les jours dans des galeries instables en Chine, au Pérou, en Zambie, lui, il a besoin de courage. Il y va pour faire vivre sa famille et lui-même. Il n'a rien choisi. Ou alors il aurait choisi autre chose.

Ce que cette expression révèle lorsqu'elle nous était attribuée, c'était bien l'image associée à l'effort que nous allions produire. Pour certaines personnes, cela relevait du calvaire. Incompréhension totale qui se lisait quand ils observaient notre chargement dans nos sacoches.

 C'est effrayant au final. Cette perception de l'effort physique qui ne serait qu'un chemin de croix.

  Cette incapacité à comprendre que ces heures à pédaler produisaient des effets merveilleux sur notre être intérieur, que cette exploitation partielle de nos forces engendrait un état d'épuration.

On a même découvert à la fin du parcours que Nathalie et moi avions eu envie parfois la nuit de démonter le camp et d'enfourcher les vélos, sans attendre le jour, comme une euphorie qui ne pouvait plus patienter. On s'obligeait à dormir...

J'avais des musiques qui tournaient en boucle, celles que j'avais écoutées dans une montée, un col, un passage où il avait fallu pousser les vélos. Tous les paysages étaient là, en moi, inscrits dans les notes de musique. Et d'écouter intérieurement ces airs qui revenaient comme en écho stimulait mon corps, comme s'il était mû par une énergie indocile, un courant électrique qui crépitait dans mes muscles.

Quel courage ? Il n'est pas question de courage. Cette concentration sur la poussée des jambes, remonter la jambe gauche pendant que la droite appuie, le relâchement de la nuque, se défaire des crispations des épaules, la mélodie des souffles et le coeur qui cogne comme un tambour, les pensées qui ruissellent sur la route et l'esprit qui se vide, cet éclat de rire qui survient parfois, une fulgurance de bonheur.

Le courage ne délivre pas ce genre de plénitude. Le courage suppose un combat.

Nous, nous étions en paix. Nous n'avions pas besoin de courage. Nous étions nourris par l'amour de ce que nous faisions.

 

 

 

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