Ce qui est en nous.

JARWAL LE LUTIN, tome 4

 

Marine était allongée sur son lit. Elle avait laissé la fenêtre ouverte. Les yeux dans le vague, elle regardait passer les nuages. Elle revoyait le retour à la clairière, l’arrivée à l’orée de cet espace découvert, l’absurdité révélée de ce jeu des pierres. C’était fini, effacé, un rituel insignifiant. Elle réalisait à quel point cette journée avait marqué l’entrée dans un autre espace, une dimension bien plus haute mais il n’en restait malgré tout aucune honte, aucun déni. Ce jeu, comme tous les autres, avait fait partie de sa croissance, de son éveil. C’est d’avoir élaboré ces pratiques qui en avaient permis l’effacement. Rien n’était inutile.  

Elle revoyait aussi Rémi qui proposait à Tian un combat avec les bâtons. Il avait trouvé un morceau de hêtre bien droit, dur, facile à tenir. Tian avait accepté en limitant les touchers aux jambes. Interdiction de frapper plus haut.

Ils s’étaient salués, Rémi avait imité le rituel présenté par son adversaire. Les pointes des deux bâtons posées sur le sol puis une mise en garde. Rémi avait essayé par un balayage rapide de son bâton de toucher immédiatement la jambe gauche de Tian. Une parade sèche et parfaitement maîtrisée de son adversaire. Il n’avait même pas eu le temps d’esquisser un deuxième mouvement que le bâton de Tian tapait son genou. Il avait voulu recommencer en changeant de techniques d’attaque et avait connu la même désillusion. Tian était d’une dextérité stupéfiante, une vitesse et une précision inégalable. Sans aucune marque de satisfaction sur son visage. Juste de la concentration.

« Et bien, j’ai hâte que tu nous enseignes ce que tu sais Tian. Je suis très impressionné.

-Tu sais déjà tout ce dont tu as besoin Rémi. Mais tu ne sais pas le trouver. Je ne possède rien de plus que toi, ni que personne d’autre. J’ai juste appris à utiliser ce que je possédais sans le savoir. »

Elle avait été étonnée de cette réponse. Nous avions en nous ce que nous devions apprendre à connaître. Devenir ce que nous sommes alors que nous pensions être. C’était difficilement exprimable finalement. Comment aller vers un but quand il n’est même pas mesurable, quantifiable, identifiable, répertorié ? La vie ne proposait rien à priori, il n’y avait rien d’établi mais tout à saisir. Tout ce qui était nécessaire à cette exploration était déjà en nous. Sans que nous ne possédions de mode d’emploi. C’était effrayant d’imaginer que nous puissions passer à côté de nous. Cette impression de vivre à l’intérieur d’un trésor et de ne pas parvenir à soulever le couvercle. Etre soi-même le butin et ne pas pouvoir en user. Comme une condamnation qu’on s’imposait par manque de discernement ou de volonté. L’humanité n’était peut-être qu’une ébauche, une tentative avortée. Nous n’avions pas encore accouché de nous-mêmes.

Elle s’obligea à bouger sur le lit comme si cette douleur dans son ventre pouvait s’apaiser, comme si ce simple mouvement maîtrisé pouvait combler l’insignifiance révélée.

Un tourbillon de pensées en elle.   

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