Cette force indescriptible

UNE ETRANGE LUMIERE.

 

Extrait.

 

Il décida d’aller courir. Il devait entretenir son corps désormais. Avec attention et rigueur. Se muscler, gagner en endurance, en puissance, en résistance, supporter la douleur, le froid, la faim, la soif. Le bonheur absolu des samouraïs. Il deviendrait comme eux. L’esprit et le corps unis dans une même lutte. La joie qui montait en lui, comme un magma brûlant, dense, vigoureux, une fièvre élévatrice. Il se sentit presque grandir. C’était fabuleux. Il fallait courir pour libérer cette puissance.

Il sortit et reçut la lumière du soleil comme un don.

 

Il quitta son sous-pull. Son torse devait se nourrir des ondes divines. Il aurait aimé courir nu mais les esprits faibles n’auraient pas compris.

Il partit sur la route.

Dès les premières minutes, il chercha à se concentrer sur le rythme de ses foulées, la musique de son souffle et de ses pas, le tempo de son cœur, se coupant du monde extérieur, n’acceptant que les rayons solaires et la brise fraîche, sans objectif précis, il s’enfonça dans les forêts, traversa le plateau granitique de la pierre levée, suivit un temps le ruisseau du Ninian, rejoignit une route qu’il ne chercha pas à reconnaître, refusant de construire un parcours, limitant le travail de son esprit à la précision de ses gestes et quand il sentit que les muscles des jambes durcissaient, que le ventre et le dos supportaient de plus en plus difficilement les chocs répétés, il s’interdit de penser à un probable retour et, peu à peu, il sentit s’installer en lui la mécanique hypnotique de la course, s’engloutissant à l’intérieur de lui-même, insensible à toutes les sensations extérieures, ne vivant que dans l’infini profondeur de son propre abîme, il ne distingua de son corps que le passage rapide devant ses yeux d’un pied puis d’un autre, le premier disparaissant, immédiatement remplacé par le second et cela sans fin, et il trouva magnifique la mélodie répétitive de ses pas sur le corps de la Terre, cette alternance rapide et saccadée et cette absence de volonté, le corps agissant indépendamment de tout contrôle, sans conscience, et donc sans fatigue, le cerveau, submergé de douleurs ayant abandonné l’habitacle, s’évaporant dans un ailleurs sans nom, il la trouva délicieuse cette musique en lui, chaque foulée se répercutant dans l’inextricable fouillis de ses fibres musculaires, dans les souffles puissants jaillissant de ses poumons vivants, et il comprit pleinement, par-delà les mots réducteurs, que les poumons, le cœur, le sang et les cellules n’existaient que dans ces instants d’extrême exploitation, que les jours calmes étaient des jours morts, des jours sans éveil, des jours d’abandon et de faiblesse, des heures disparues dans le néant de la mort, c’était inacceptable et il ne l’accepterait plus, sa vie devait désormais être comme cette course, sans cassure, sans déchet, sans seconde évaporée, une absolue mise en valeur, il sentit les larmes couler, c’était si beau ce moment de vie, enfin la vie.

 

 

Il courut si longtemps qu’il ne sut pas quand il rentra.


Se vider pour se remplir. Extraire l'énergie pour autoriser la plénitude, user des émotions chocs et des exigences de l'effort pour favoriser la béatitude du vide, cet envol indescriptible dans les horizons sans fin de la conscience, la Réalité de l'espace intérieur, cette dimension inexplorée où se révèle l'essentiel, le Soi épuré, l'osmose, l'effacement du moi qui n'en peut plus et se retire dans les limbes étoilées des univers dévoilés.

Là, où il n'y a plus d'attachement, plus de contraintes, plus de soumissions, plus de concessions, là où l'aveuglement cesse et que la Lumière du Réel flamboie dans les noirceurs de l'abandon, lâcher prise, tomber dans un puits sans fond et voler librement au coeur des particules.

 

Le corps est un outil fabuleux et n'a d'autre raison d'être que de permettre à l'Etre d'exister, un tremplin à utiliser, un convoyeur éphémère qui rêve de laisser sa place à l'Esprit qu'il transporte.

Je ne cours pas en usant de mes forces, je ne pédale pas en usant de mes muscles, ce ne sont que des outils et je ne suis que l'ouvrier. La force vient d'ailleurs. L'Energie n'a pas de forme mais elle les anime.

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