Climat : l'heure du constat

Sans vouloir aucunement minimiser les drames qui frappent l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, ni encore moins les drames à venir, ce genre de situations est inévitablement un appel à la réflexion. 
Les images sont effrayantes et la détresse immense. C'est un fait. Il est clair qu'il faut avoir vécu ce genre de phénomènes pour prendre conscience de la réalité. Toutes ces populations sont désormais les acteurs involontaires de ce changement climatique dont parlent les scientifiques depuis trente ans. Il est terrible d'ailleurs d'imaginer que ces drames agissent comme des prises de conscience alors que tout a été dit, expliqué, argumenté depuis des décennies. 

Nathalie et moi, nous avons toujours vécu au coeur de la nature. Nous avons parcouru des milliers de kilomètres en montagne, à pied, en vélo, en ski de randonnée, en ski de fond, en raquettes. Nous avons un potager depuis vingt-cinq ans. Les phénomènes naturels, nous les avons observés et nous les observons toujours. On peut dire sans hésiter que nous ne vivons pas "hors sol" comme une très grande partie de la population des pays occidentaux. Les villes, nous les fuyons, les zones urbaines, industrielles, commerciales, toutes les concentrations humaines. Il ne s'agit pour nous que de zones à risques. Ce qui vient de se produire dans ces pays d'Europe, c'est une évidence que ça devait arriver. Il ne s'agit aucunement de prédictions à la Nostradamus. C'est uniquement scientifique. 

Je suis effaré d'ailleurs de lire certains commentaires sur les réseaux sociaux quand ceux-ci se moquent de ce soi-disant réchauffement climatique alors que les températures estivales sont sous les normales saisponnières et qu'il tombe des trombes d'eau pendant des jours. L'ignorance des phénomènes climatiques est d'un niveau parfois abyssal et c'est désespérant. 

Les sites d'information sont pourtant là et sans même aller chercher sur des sites scientifiques. La vulgarisation suffit à se donner une idée. Mais encore faut-il aller les lire avec un esprit ouvert et non obtus. 

Je ne voudrais pas parler dans ces circonstances de "chance" d'apprendre quelque chose mais dès aujourd'hui, il est aisé de trouver des articles explicites. D'aucuns diront que c'est de la manipulation pour nous taxer encore plus, pour nous asservir, pour nous imposer des mesures inutiles etc etc...Comme si on avait encore la liberté de se poser ce genre de questions... Ce temps-là est révolu. Les faits sont là.

Il m'arrive parfois de penser à tous ces scientifiques qui travaillent à alerter les gouvernements et les populations depuis des dizaines d'années. Dans quel état sont-ils aujourd'hui lorsqu'ils constatent à quel point, ils avaient raison? Je ne les imagine aucunement se réjouir. Bien au contraire, je les imagine désemparés, désespérés, les nerfs à vif...

 

Climat : "Ce que nous vivons aujourd'hui, c’est ce que nous avions anticipé il y a une quarantaine d'années", souligne Jean Jouzel

 

Pour lutter contre le changement climatique, l'ancien vice-président du Giec conseille de s'inspirer "des recommandations des 150 citoyens" qui sont "cohérentes, ambitieuses et pertinentes".

Article rédigé par

franceinfo

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Publié le 03/07/2021 10:13Mis à jour le 05/07/2021 09:12

 Temps de lecture : 3 min.

Le climatologue Jean Jouzel à Paris, le 13 janvier 2020 (photo d'illustration). (ALAIN JOCARD / AFP)

Le climatologue Jean Jouzel à Paris, le 13 janvier 2020 (photo d'illustration). (ALAIN JOCARD / AFP)

"On voit bien que là où nous en sommes" aujourd'hui "c’est vraiment ce qui était envisagé" par les scientifiques, souligne le climatologue Jean Jouzel sur franceinfo samedi 3 juillet, alors qu'une centaine d'incendies continuent de faire rage dans l'ouest du Canada et en Californie. Ils viennent s'ajouter à une vague de chaleur inédite qui a fait des centaines de morts.

La commune canadienne de Lytton en Colombie-Britannique a notamment flirté avec les 50°C avant d'être dévorée par les flammes. L'ancien vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) conseille de s'inspirer "des recommandations des 150 citoyens" qui sont "cohérentes, ambitieuses et pertinentes".

franceinfo : On se souvient des 45,9°C en France, il y a deux ans dans le Gard. Les Canadiens ont frôlé les 50°C cette semaine avec des centaines de morts attribués à cette canicule. Ce sont des records de chaleur qui arrivent encore plus vite que prévu par les experts ?

Jean Jouzel : Je ne crois pas que ça arrive plus vite que prévu. Ce que nous vivons aujourd'hui, c’est ce que nous avions anticipé dans les premiers rapports du Giec il y a une quarantaine d'années. Les événements les plus intenses que nous vivons actuellement étaient dans le troisième rapport du Giec, au début des années 2000. Cela nous invite à prendre au sérieux ces mêmes modèles climatiques, envisagés à l'horizon 2050 et au-delà.

J'invite tout le monde à accorder de la crédibilité à notre communauté scientifique. Elle en a manqué cruellement dans les années 1990 et 2000 et on voit bien que là où nous en sommes, c’est vraiment ce qui était envisagé.

Les gouvernants l'ont cru d'une certaine façon, quand on regarde la première convention climat qui s'appuyait sur le premier rapport du Giec. Les objectifs affichés, par exemple, dans l'accord de Paris sont à la hauteur du message des scientifiques. Mais la réalité est qu'il y un fossé entre ces deux objectifs affichés par l'ensemble des pays et la réalité de tous les jours.

Cette semaine, le Conseil d'Etat a ordonné au gouvernement d'en faire plus pour le climat parce que, justement, ces engagements ne sont pas respectés. Quelles solutions concrètes a-t-on au niveau national en France, dans les mois qui viennent pour tenter de redresser la barre ?

J'aurais aimé, comme solution concrète, qu'on mette en œuvre l'essentiel de celles proposées par les 150 citoyens. Ils ont réfléchi à des propositions concrètes et celles-ci n'ont été que très marginalement prises en compte par la loi climat énergie. Il suffirait d'aller lire ou relire les propositions des citoyens sur la publicité, sur l'obligation de rénovation des bâtiments qui n'est pas là, les transports en avion, quand on peut faire en moins de quatre heures [un trajet] sont cohérentes, ambitieuses, pertinentes. Inspirons-nous des recommandations des 150 citoyens. Nous sommes loin du compte en termes de lutte contre le réchauffement climatique.

L'élection présidentielle est dans moins d'un an maintenant. Est-ce que vous sentez la classe politique prête à se saisir réellement de l'écologie et de la défense de l'environnement ?

Avec cette mise en demeure du Conseil d'Etat, cela mettra forcément le problème climatique au cœur des préoccupations. Mais ce qu'il faut voir, c'est que cette transition est aussi porteuse d'emplois, de dynamisme économique. Et là, nous repartons sur le monde d'avant, mais en faisant cela nous ne nous mettons pas sur une trajectoire qui permette aux jeunes d'aujourd'hui d'avoir un climat auquel ils puissent faire face dans une cinquantaine d'années. C'est ça le problème. C'est ce décalage entre les causes du réchauffement climatique et les conséquences.

Les glaciers sont-ils voués à disparaître ?

On voit bien que les glaciers continentaux perdent de la masse chaque année. Et puis, le Groenland et l’Antarctique contribuent également à l'élévation de la mer. Le rythme de l'élévation du niveau de la mer a pratiquement doublé entre le 20e siècle et la décennie actuelle. Mais, il n'y a pas que les glaciers qui souffrent. On va encore voir cet été les parois rocheuses de nos montagnes, de nos massifs montagneux des Alpes qui se désagrègent parce qu’ils sont largement tenues par de la glace, par le gel et l'augmentation des températures qui est deux fois plus rapide dans certaines régions montagneuses, donc il y a des problèmes locaux, mais avec des conséquences en termes d'élévation du niveau de la mer qui sont à l'échelle planétaire.

 

Changement climatique : "L'avenir est encore très largement entre nos mains", affirme un ancien expert du GIEC

 

Alors que l'Allemagne et la Belgique viennent de subir des inondations catastrophiques provoquant la mort de plus de 150 personnes, le climatologue Jean-Pascal van Ypersele souligne la responsabilité de nos comportements dans la survenue de ces phénomènes climatiques extrêmes. 

Article rédigé par

franceinfo

Radio France

Publié le 17/07/2021 12:00Mis à jour le 17/07/2021 12:01

 Temps de lecture : 2 min.

Un quartier de la ville d'Erftstadt-Blessem, près de Cologne (Allemagne) le 16 juillet 2021. Les inondations ont fait plus de 130 morts dans le pays (HANDOUT / BEZIRKSREGIERUNG KOLN)

Un quartier de la ville d'Erftstadt-Blessem, près de Cologne (Allemagne) le 16 juillet 2021. Les inondations ont fait plus de 130 morts dans le pays (HANDOUT / BEZIRKSREGIERUNG KOLN)

Jean-Pascal van Ypersele, professeur de climatologie à l’Université de Louvain, ancien vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), a affirmé ce samedi sur franceinfo que "l'avenir" de la planète "est encore très largement entre nos mains. Il ne faut pas désespérer".

Le plan Climat de l'Union européenne est "encore insuffisant", selon lui, pour changer le cours des choses surtout si "d''autres grands pays pollueurs" comme "les États-Unis, la Chine, par exemple, ne vont pas résolument dans la même direction le plus vite possible".

franceinfo : Les événements en Europe sont la conséquence directe du changement climatique ?

Jean-Pascal van Ypersele : Ce serait imprudent de dire que c'est la cause directe, mais il n'y a plus de phénomènes climatiques extrêmes comme ceux que nous voyons maintenant qui ne soient pas influencés d'une manière ou d'une autre par le fait que nous avons bouleversé la composition de l'atmosphère. En 2021, on a passé la barre des 50% d'augmentation de la concentration en CO2 au-dessus du niveau préindustriel. Cela ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur des événements comme ceux que nous voyons maintenant. Ce sont des événements qui se passaient avant, mais pas avec la même intensité. Et ils risquent de se passer malheureusement de plus en plus souvent. Le GIEC avait déjà mis en garde le monde il y a 30 ans…

Il y a une phrase qui est quand même extraordinaire quand on la lit aujourd'hui, trente ans plus tard : "L'effet de serre accentuera les épisodes de pluies extrêmement abondantes et les inondations peuvent donc représenter une menace encore plus grande lorsque la planète se réchauffe". Le GIEC l'écrivait il y a trente ans déjà. Est-ce que l'on peut encore agir pour sauver la planète ou réduire les effets de ce changement climatique ?

Absolument, l'avenir est entre nos mains. On ne va pas revenir en arrière, avec ce qu'on a fait dans le passé, en brûlant massivement des combustibles fossiles et en déboisant à tour de bras. Mais l'avenir est encore très largement entre nos mains. Il ne faut pas désespérer. La Commission européenne prévoit l'interdiction des voitures à essence pour 2035.

Est-ce que cela va dans le bon sens ?

Cela va dans le bon sens. Il faut espérer que ça va être mis en œuvre parce que ce ne sont que des propositions. Il faudra peut-être deux à trois ans avant qu'elles ne soient mises en œuvre après négociation avec le Parlement européen et les États membres, etc. Mais il faut aussi savoir que même si cela va dans le bon sens, c'est encore insuffisant. C'est insuffisant au niveau de l'Europe. C'est insuffisant aussi si d'autres pays, d'autres grands pays pollueurs les États-Unis, la Chine, par exemple, ne vont pas résolument dans la même direction le plus vite possible.

 

 

Inondations en Europe : comment le réchauffement climatique est passé de "menace pour les générations futures" à danger imminent

Article rédigé par

Marie-Adélaïde Scigacz

France Télévisions

Publié le 16/07/2021 07:01Mis à jour le 16/07/2021 19:09

 Temps de lecture : 8 min.

Les feux de Long Loch et de Derrickson Lake, en Colombie-Britannique (ouest du canada), le 30 juin 2021.  (BC WILDFIRE SERVICE / AFP)

Les feux de Long Loch et de Derrickson Lake, en Colombie-Britannique (ouest du canada), le 30 juin 2021.  (BC WILDFIRE SERVICE / AFP)

Les modèles scientifiques avaient vu juste : les catastrophes et autres phénomènes météorologiques extrêmes correspondent aux prévisions réalisées dès les années 1980 par les climatologues. Alors qu'il est de plus en plus difficile d'ignorer le réchauffement climatique, en percevons-nous vraiment les enjeux ?

"Nous sommes le canari dans la mine de charbon", alerte Gordon Murray, habitant de Lytton, au Canada, sur la chaîne CBC*. Au fond des mines, quand le canari mourait, les hommes disposaient de quelques minutes pour sauver leur peau. Ces petits oiseaux trimballés en cage donnaient l'alerte, au prix de leur vie, sur l'imminence d'un coup de grisou, une explosion soudaine causée par l'accumulation d'imperceptibles – inodores et invisibles – gaz toxiques. Le village de Lytton a disparu à 90%, ravagé par les flammes après que le thermomètre a atteint 49,6 °C, un record dans cette zone du globe. Désormais, Gordon Murray signale un autre drame imminent : "Le réchauffement climatique est en marche, et il avance vite." 

Si vite qu'il n'échappe désormais à personne : de Madagascar, où deux années consécutives d'une terrible sécheresse menacent plus d'un million de personnes, dans ce que l'ONU qualifie de première famine liée au réchauffement climatique, à l'Europe, tiraillée entre vagues de chaleur au sud et pluies diluviennes au nord. En Allemagne, au moins 42 personnes sont mortes, entre le 14 et le 15 juillet, dans des inondations d'ores et déjà attribuées au réchauffement climatique par une partie de la classe politique. Fin juin, des villages du Sommerset*, en Angleterre, avaient eux aussi connu "des inondations sans précédent" après des pluies torrentielles, tandis que, quelques jours plus tard, la presse indienne* se faisait l'écho d'un phénomène similaire au Népal. Ça commence à faire beaucoup de canaris.

Quand la météo se fait l'écho du climat

"Le problème, c'est que nous n'acceptons la réalité du changement climatique que lorsqu'elle est là et non pas lorsque la communauté scientifique l'anticipe." Le climatologue Jean Jouzel se souvient d'avoir fait un pari, il y a une vingtaine d'années : la prise de conscience viendra quand le changement climatique sera perceptible par tous. "Je me disais que cela se passerait vers 2030", précise-t-il. Une approximation de 10 ans, dû à ce que les modèles ne pouvaient anticiper : la puissance des réseaux sociaux et le développement des chaînes d'information en continu. "Nous avons une vision planétaire de ce qui se passe, ce qui n'était pas le cas il y a 20 ans, résume le climatologue.

"Avec la mondialisation de l'information, les catastrophes comme ce qui vient de se passer en Colombie-Britannique entrent dans tous les foyers."

Jean Jouzel, climatologue 

à franceinfo

Alors que les rapports du Giec ont, dès la première édition en 1990, vu juste quant à l'augmentation des températures au cours de notre décennie, ce sont des règles médiatiques, plutôt que scientifiques, qui inscrivent la réalité du réchauffement climatique dans les esprits. Longtemps soucieux de distinguer climat et météo, les spécialistes se sont montrés prudents avant de tracer une ligne droite entre tel phénomène météo local et le réchauffement global. Ainsi, à l'été 2003, quand une canicule s'est abattue sur l'Europe, provoquant environ 15 000 décès en France, "cela a été perçu, pour le grand public français, comme la première grande manifestation du réchauffement climatique", se souvient le climatologue Jean Jouzel, "alors que dans notre communauté, nous avons toujours été un peu réticents à l'attribuer directement".

La multiplication des événements extrêmes au cours des dernières années change la donne. "A ce stade, tout ce qui concerne la météo est aussi une question de climat", résume le météorologue et auteur américain Eric Holthaus. "D'un jour ensoleillé à un jour nuageux en passant par un ouragan… Tout cela survient dans le contexte d'une atmosphère qui a changé", explique-t-il au micro d'un podcast d'actualité.

Analyser le lien possible entre un événement météo extrême précis tout juste apparu et le réchauffement climatique est un exercice relativement nouveau. Depuis 2014, le World Weather Attribution, une initiative regroupant des experts de divers instituts de recherche dans le monde, s'y attellent, en calculant dans des délais très courts la probabilité qu'il se soit produit même sans le dérèglement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre. Lytton, en Colombie-Britannique venait à peine de flamber que déjà les scientifiques du World Weather Attribution avançaient un chiffre : le changement climatique engendré par l'activité humaine avait rendu le "dôme de chaleur" au moins 150 fois plus susceptible de se produire*.

Quand les pays riches souffrent aussi

Par le biais de ces épisodes météorologiques médiatisés, la question du climat pénètre nos quotidiens. Car "le climat, c'est abstrait", explique le psychologue et économiste norvégien Per Espen Stoknes, auteur d'un livre en 2015 sur les causes de nos difficultés à saisir l'urgence climatique*. Aussi invisible et imperceptible qu'un gaz dangereux dans la galerie d'une mine, le climat agit au niveau de la planète, loin de l'échelle locale plus propice à l'inquiétude, et "se transforme 'lentement', c'est-à-dire en décennies, non pas en heures ou en jours". Ajoutez à cela l'opacité des termes liés aux émissions de gaz à effet de serre ("gigatonnes", "RCP2.6", "concentrations en ppm"), "et vous obtenez quelque chose que le cerveau humain évolutif a beaucoup de difficultés à saisir", explique-t-il à franceinfo.

"Nos cerveaux comprennent les risques proches de nous, personnels, concrets, spectaculaires, vifs, comme les symptômes du Covid-19."

Per Espen Stoknes, psychologue et économiste 

à franceinfo

Les catastrophes météorologiques sont une traduction tangible du réchauffement climatique qui, aux yeux du psychologue, "manque de saillance" dès lors qu'il est traduit en chiffres et en projections plutôt qu'en expérience. En journalisme, on appelle cela la "loi de proximité" ou plus cyniquement "loi du mort-kilomètre" : plus un événement se produit loin de nous (lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs), moins il nous intéresse ; plus les victimes semblent éloignées, moins elles suscitent d'empathie.

Inondation au Bangladesh, sécheresse au Sahel… Longtemps, les pays du Sud ont été seuls frappés par les catastrophes liées à la hausse des températures. Aujourd'hui encore, les ravages de la famine qui frappe Madagascar, menaçant plus d'un million de personnes, n'ont pas l'écho médiatique du "dôme de chaleur", à l'origine de plusieurs centaines de victimes au Canada et dans le nord des Etats-Unis, déplore Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences, des techniques et de l'environnement. "L'extraordinaire injustice des choses" choque l'historien.

"Le mode de vie des pays riches est à l'origine de l'état de la planète, mais la violence s'exerce d'abord sur les populations à Madagascar."

Jean-Baptiste Fressoz, historien 

à franceinfo

"Pour les pays riches, le réchauffement climatique n'est pas une menace immédiate", ajoute l'historien, mettant en parallèle les émeutes de la faim que provoquera inévitablement la hausse des prix des denrées agricoles dans les pays du Sud et les jours de canicule attendus en France : "Je ne dis pas que c'est pas grave d'avoir des jours à 50 °C, ça l'est, mais tout est une question d'échelle."

Si le réchauffement climatique est bel et bien une crise qui se conjugue au présent, la relative tranquillité des Occidentaux nuit au passage à l'action, cantonnant à demain la survenue de la catastrophe dans le quotidien. "Cela a pour effet d'écarter et de repousser la gestion de la crise climatique au profit d'autres tâches importantes. D'autres problèmes tels que la santé, la pandémie, l'emploi, les inégalités, l'insécurité, le terrorisme…" liste Per Espen Stoknes. Pourtant, selon lui, en "légitimant l'inaction, repousser l'action climatique revient à nier le réchauffement climatique."

Quand le discours attend les actes

L'enjeu n'est plus de convaincre de la réalité de la crise. Aujourd'hui, "le climatoscepticisme est marginal en France et plutôt cantonné à des franges de l'extrême droite. Ce n'est plus une question de compréhension du réchauffement climatique", relève Jean-Baptiste Fressoz. "Le problème, c'est qu'on ne sait pas faire tourner l'économie sans énergie fossile pour l'instant." A la complexité scientifique des mécaniques du climat, a succédé "l'incompréhension des bases matérielles de l'économie", explique-t-il. C'est elle qui vient contraindre l'émergence de solutions pour stopper cette menace que l'on sait pourtant imminente.

"On reste persuadé que l'innovation va permettre d'effectuer la transition, mais c'est parce qu'on ne comprend pas très bien comment fonctionnent la sidérurgie, les cimenteries, la production d'engrais, l'agriculture... et surtout les mécanismes de diffusion des techniques, son rythme et sa lenteur. La transition n'a pas eu lieu, elle n'a pas même pas commencé", met-il en garde. "Historiquement, nous n'avons jamais connu de véritables transitions énergétiques. La tâche qui nous attend est complètement inouïe. C'est quelque chose qu'on n'a jamais fait."

Jean-Baptiste Fressoz relève ainsi une inadéquation entre "à la fois un discours très apocalyptique et un discours très incantatoire et assez creux, que l'on retrouve dans les grandes messes climatiques, où les pays font des promesses dont on sait bien qu'elles ne seront pas tenues." Le problème est actuel, connu, "mais on ne se donne pas les moyens". Or, le pire est à venir, abonde Jean Jouzel.

"Beaucoup de gens ont l'impression que les catastrophes que nous observons aujourd'hui, c'est cela le réchauffement climatique, mais la deuxième partie du siècle, si on ne fait rien, sera terrible."

Jean Jouzel, climatologue 

à franceinfo

Si, dès les années 1980, la communauté scientifique a si bien prédit le monde de 2020, "ne faut-il pas écouter les inquiétudes des scientifiques quant à 2050 ?" Jean Jouzel plaide aussi pour un changement de mentalité : l'abandon de cette idée "qui veut que l'on sera capable d'ici là de réparer les problèmes que l'on a créés. C'est faux. L'inertie est telle que ce qui a été enclenché ne s'arrêtera pas", craint-il. Car 2050, "ce n'est déjà plus les générations futures". Et il est grand temps que les mineurs s'empressent de quitter la galerie. Ou du moins, selon les climatologues, les énergies fossiles.

* Les liens suivis d'un astérisque conduisent vers des contenus en anglais.

 

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