Climat : un constat de plus.

103 ans séparent ces deux photos. Et 103 ans, c'est très, très peu...

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Valérie Masson-Delmotte : « On trottine lentement derrière un climat qui change vite »

Article complet :

La climatologue Valérie Masson-Delmotte pense que la prise de conscience et l’action contre le réchauffement « montent en puissance », mais que la réponse politique reste loin du changement d’échelle nécessaire.

Alors que la France suffoque sous la canicule, la climatologue Valérie Masson-Delmotte revient sur l’aggravation de la crise climatique. La directrice de recherche au Laboratoire des sciences du climat de Paris Saclay et coprésidente du groupe de travail 1 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) détaille l’impact du réchauffement et les vulnérabilités françaises.

Elle estime que la prise de conscience existe, mais qu’elle reste en décalage par rapport à l’urgence.

Entretien avec Valerie Masson-Delmotte

• Deux canicules déjà cet été en France, des vagues de chaleur aux Etats-Unis et en Chine, après celles de l’Inde et du Pakistan, des incendies au Portugal… Est-ce notre nouveau quotidien ?

Les phénomènes que l’on subit aujourd’hui sont des précurseurs d’événements qui vont devenir plus fréquents et plus intenses à l’avenir.

Ce sont les conséquences directes des activités humaines, qui entraînent une accumulation de chaleur dans le système climatique. Chaque tonne de CO2 y contribue et chaque fraction de réchauffement augmente la fréquence, la durée et la sévérité des événements extrêmes, et en particulier des vagues de chaleur.

Tout cela affecte la santé, les cultures et les revenus des personnes qui travaillent en extérieur. Les risques du changement climatique sont de plus en plus complexes et difficiles à gérer.

• La France est-elle particulièrement vulnérable au dérèglement climatique ?

L’exposition et la vulnérabilité de la France sont importantes, notamment dans les régions de haute montagne (recul des glaciers, de l’enneigement, etc.) ou sur le littoral, avec la montée du niveau de la mer (salinisation, érosion, augmentation des submersions, etc.). Partout sur le territoire, des millions de logements sont en outre soumis au problème du retrait-gonflement des argiles [des mouvements de gonflement et de rétractation qui provoquent des fissures].

Les vagues de chaleur s’intensifient, et c’est aussi le cas des pluies extrêmes, associées à des risques d’inondations − ces deux aspects sont exacerbés par l’urbanisation. Il y a un enjeu à intégrer l’aggravation future de ces phénomènes dans les plans de prévention des risques, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas.

• La population a-t-elle pris la mesure de la gravité de la situation ?

Je vois une prise de conscience croissante partout dans le monde et surtout dans les pays en développement.

En France, j’observe une montée en puissance de la compréhension de la sévérité de la situation, le fait qu’il y a des dommages croissants partout et qu’il va falloir changer d’échelle dans l’action. C’est le cas pour beaucoup de citoyens, d’élus − quelles que soient leurs convictions politiques − et d’entreprises de multiples secteurs d’activité (bâtiments, transports, industrie…).

Mais de nombreux obstacles persistent et freinent l’action, comme sur la rénovation thermique des logements ou l’aménagement des villes. • On redécouvre pourtant à chaque canicule la sévérité de la crise climatique…

Il faut parvenir à construire une mémoire collective qui permette de saisir l’intensification des phénomènes. Cela pourrait notamment passer par le fait de nommer les canicules, à l’image de ce qui est fait pour les ouragans.

L’Italie l’a fait en 2021, baptisant un anticyclone Lucifer.

En Afrique de l’Est, certaines communautés donnent aussi des noms aux fortes sécheresses.

Cela permet de se les approprier et d’ancrer les connaissances sur la récurrence des événements.

Dans certains pays d’Europe centrale, il y a des plaques dans les rues qui montrent la hauteur des crues historiques, ce qui permet de construire collectivement une culture du risque dans la vie quotidienne.

En France, on essaye souvent d’effacer le plus vite possible la trace des événements extrêmes.

Mais ni l’expérience d’événements extrêmes ni l’information scientifique ne sont suffisantes pour conduire à des modifications profondes des pratiques.

Ce qui compte, c’est d’être dans un cadre familial, associatif, professionnel ou territorial qui engage des transformations sociétales, ce qui permettra d’entraîner une évolution des styles de vie.

Améliorer le bien-être et la qualité de vie permet aussi de renforcer l’engagement de tous sur la durée.

• Observez-vous encore beaucoup de climatoscepticisme ?

Le climatoscepticisme existe encore mais a changé de forme. Il réside moins dans la négation du changement climatique et de son origine humaine que dans un déni de la gravité des enjeux et de l’urgence à agir.

Lors de mes interventions publiques, j’observe la récurrence de discours de l’inaction, des alibis que l’on se donne pour ne pas agir : c’est trop tard, on parviendra toujours à s’adapter, la technologie va nous sauver, la France ne pèse rien dans les émissions mondiales, etc.

La meilleure façon de surmonter ce déni, c’est de renforcer, lors de la formation initiale et continue, les connaissances non seulement sur les risques, mais surtout sur les leviers d’action à toutes les échelles.

Il y a aussi du climatoscepticisme chez certains seniors, qui perçoivent l’urgence climatique comme une remise en cause de leurs choix passés et ressentent de la culpabilité.

• La réponse politique est-elle à la hauteur de l’urgence ?

On trottine lentement derrière un climat qui change vite. L’action se met en place, et monte en puissance, mais elle n’est pas encore à la hauteur.

Au moment où elle se met en place, on sait déjà qu’elle ne suffira pas. Au final, les conditions ne sont pas encore réunies pour parvenir à doubler le rythme de baisse des émissions de gaz à effet de serre dans les années à venir [afin de tenir les objectifs climatiques français].

Les propositions de la convention citoyenne pour le climat qui allaient dans le sens de la sobriété n’ont pas été retenues. Du fait du contexte de tensions sur les prix de l’énergie et de pénuries, on voit une appropriation de cet enjeu, mais de manière tardive et contrainte.

Le gouvernement maîtrise le prix des carburants, ce qui constitue des subventions cachées aux énergies fossiles, mais n’encourage pas la baisse de la vitesse sur les autoroutes ou la limitation du poids des voitures pour réduire la consommation.

L’adaptation au changement climatique n’est également pas suffisante : on réagit après coup et on gère crise après crise au lieu d’anticiper.

• Que faire face à la crise climatique ?

En réduisant massivement les émissions de gaz à effet de serre mondiales, on peut réussir à stabiliser le réchauffement d’ici à une vingtaine d’années et donc limiter l’intensification des événements extrêmes.

Ce qui pèse le plus dans les émissions en France, ce sont les transports (30%) et en particulier la voiture individuelle.

Une partie des déplacements sont contraints, mais beaucoup pourraient être réalisés autrement.

Il faut valoriser d’autres manières de se déplacer, faciliter les déplacements à vélo, y compris par exemple pour accompagner les enfants à l’école.

Les bénéfices seraient nombreux, pour le climat, la santé, la réduction du trafic routier, le bruit ou encore la concentration en classe.

Il faut aussi faire en sorte que nos infrastructures, nos activités agricoles, notre gestion de l’eau soient pensées pour être résilientes face aux caractéristiques climatiques à venir. Les impacts des événements extrêmes que l’on subit doivent nous ouvrir les yeux sur les transformations profondes à réaliser.

https://www.lemonde.fr/.../on-trottine-lentement-derriere...

(posté par Joëlle Leconte)

 

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