LES ÉGARÉS : commentaire

Les routes qui se croisent ne sont pas toujours des itinéraires prévisibles.

Je ne connaissais pas Gilberte au mois de mars. Quelques discussions sur internet ont abouti à des échanges d'écrits.

J'ai lu avec grand plaisir "La petite fille des rues".

http://www.refletsdutemps.fr/index.php?option=com_zoo&task=item&item_id=233&Itemid=2

Le site "Reflets du temps" en proposaient les chapitres.

http://www.refletsdutemps.fr/index.php?option=com_zoo&task=item&item_id=276

 

Giberte travaille comme lectrice, correctrice et tout ce qui peut contribuer à la littérature. Une très grande culture par conséquent et un regard affûté sur le monde du roman.

"La cause littéraire" occupe également une bonne partie de son temps.

http://www.lacauselitteraire.fr/

 

Il serait inutile d'honorer la qualité de ces deux sites littéraires. En lire quelques articles suffit à la montrer.

 

J'ai donc été très touché que Gilberte me demande s'il lui serait possible de lire un de mes textes.

J'ai bien évidemment accepté et je lui ai envoyé "LES ÉGARÉS ".

J'ai repris l'essentiel de nos échanges en préservant ce qui devait l'être.

Estelle est le nom "littéraire" de Gilberte. Je l'ai conservé. 


 

 

Bonjour Estelle
Voilà donc le manuscrit.
"LES ÉGARÉS "
C'est mon dernier roman pour adultes.
Je l'ai envoyé à deux maisons d'édition.
La première m'a répondu que ça ne correspondait pas à leur ligne, réponse impersonnelle basique.
La deuxième m'a répondu que c'était très bien écrit mais trop ésotérique pour eux. 
Je n'ai pas refait d'envois depuis.
Vous serez la cinquième personne à le lire.
Merci pour cette lecture et les commentaires que vous pourrez m'en faire.
Bonne journée
Amicalement


 

Thierry,

Me voilà de retour vers vous pour vous livrer mes premières sensations.

Je n’ai pas encore tout lu, j’en suis à la page 40/41. Je m’arrête là pour le moment, non pas pour « abandonner » votre manuscrit, loin de là, je tiens à aller jusqu’au bout, même si les premières pages étaient un peu compliquées pour moi. Mais j’ai un tas de textes à corriger pour La Cause littéraire, qui s’accumulent dans ma messagerie. Je m’en occupe, et je reviens aussitôt vers votre manuscrit. J’aimerais pouvoir le finir ce soir.

 Donc, à chaud mes premières impressions : dès les premières pages, j’ai ressenti un truc bizarre, je ne sais comment dire cela, l’impression d’une sorte d’impuissance à entrer dans votre texte, et je n’ai pas réussi à déceler si c’était moi qui « ne voulais pas y entrer », ou si c’était votre « style » (ou « vous ») qui « en empêchait l’entrée ».

 Le début de votre texte m’a semblé très décousu, pas du tout linéaire, je devais relire plusieurs fois des phrases, ou des passages, pour plus de clarté. Et du coup je me suis trouvée confrontée à des montagnes de difficultés pour essayer de comprendre « ce que vous dites » et « ce que vous voulez dire ». L’éditeur qui a refusé votre texte a eu raison de vous dire que c’est très bien écrit. C’est vrai, vous écrivez très bien, avec excellence même. Mais, le style est trop froid, à mon avis (et cela n’engage que moi bien sûr), surtout dans les 30 premières pages. On dirait que vous voulez restez « très en dehors » de votre texte, que vous voulez mettre une distance entre vous et votre texte, ou entre vous et le lecteur.

 Ce n’est donc qu’à partir environ des pages 30 à 40 que quelque chose de plus « chaleureux » se ressent dans votre écriture, l’impression que par moments vous arrivez un peu à vous « lâcher », et là ça devient plus « audible », plus accessible, et du coup plus passionnant. C’est pourquoi je veux aller jusqu’au bout.

 

Je me suis fait cette petite remarque, dès les premières lignes de votre texte : ah voilà ! je comprends mieux maintenant pourquoi les ruptures, cassures, coups de cymbales, et phrases percutantes vous manquaient dans « Ma petite fille des rues. »

 Mais pour le moment, globalement, il m’a semblé que votre texte s’apparentait plus à une « étude philosophique et psychologique » menée avec beaucoup de talent, qu’à un roman au sens pur du terme.

Tout ceci étant dit, ces remarques ne sont que le reflet de ma propre sensation, et il se peut (c’est même sûr) que je me trompe complètement, et que d’autres lecteurs, plus compétents que moi, aient un avis tout à fait contraire au mien.

 C’est donc en toute amitié, et toute sincérité que je vous ai livré mon premier sentiment.

Mais je vais finir de le lire, et peut-être qu’ensuite, une vue d’ensemble m’apparaîtra différente de ces premières remarques qui ne sont que le fruit de mes toutes premières impressions.

Je vous en ferai part, c’est promis.

 J’espère que vous serez indulgent avec la « forme » de mes remarques, je n’ai malheureusement pas votre talent pour « décortiquer » et exprimer les choses comme vous avez su le faire avec mon texte.

 Bien à vous, et merci de votre confiance

A bientôt. Estelle


 

Merci infiniment Estelle.
Tout ce que vous avez ressenti était totalement volontaire et j'ai donc réussi ce que j'envisageais. Ca n'est absolument pas linéaire parce que justement les deux personnages sont dans un chaos existentiel qui a tout fait voler en éclat, cette incapacité à se lâcher justement, toutes ces résistances à aller vers l'essentiel, à être lucide, tous les blocages, je voulais qu'ils se ressentent, que ça soit pénible, douloureux pour qu'au fil de la randonnée l'écriture puisse évoluer avec les personnages, qu'elle les accompagne dans leur cheminement et leur délivrance. Que vers la page 40 vous commenciez à ressentir cette évolution me comble de bonheur. Tout le début du texte, les deux personnages ne sont pas en eux et l'écriture reste donc chaotique, en retrait, en retenue. C'est la solitude et l'exploration intérieure qui vont amener l'écriture vers la douceur, parce que les deux personnages auront validé cette épuration indispensable.
Maintenant, je comprends bien votre remarque concernant l'analyse philosophique. C'est pour moi le seul intérêt du roman. Sinon, ça n'est qu'une histoire. Moi, c'est la vie que je veux disséquer. Et c'est bien ce que les éditeurs me reprochent. "Trop douloureux, trop introspectif, trop existentiel, philosophique...ça ne correspond pas à l'idée que les lecteurs se font des romans..."
Mais je ne veux pas écrire autrement. Peut-être même que j'en suis incapable. Et je ne veux pas me trahir. J'ai travaillé pendant vingt ans pour parvenir à cette écriture que j'aime, qui me correspond, qui me nourrit, me porte, m'apporte, me comble. J'ai plus appris sur moi en écrivant que si j'avais fait vingt ans de psychanalyse. Je n'arriverais pas à changer, c'est trop tard. Je garderai mes textes si personne ne les juge intéressants.
Je suis en tout cas très heureux de ce retour de votre part. Vous avez décrit ce que j'ai voulu faire. Tout est bien.
Merci infiniment
Thierry


 

A cette heure tardive de la nuit, je reviens quelques secondes vers vous. J’en suis à la page 142. Il est tard, je reprendrai ma lecture demain. Je n’arrivais pas à lâcher votre manuscrit.

 Je voulais juste vous dire que votre texte me bouleverse. Je n’ai pas les mots qu’il faut, à cette heure-là, pour dire toutes les émotions que cette lecture procure. Joie, tristesse, peurs, angoisses, émerveillement, surprise, et toute une foule de sentiments diffus, indicibles.

 Votre texte est incroyablement beau. Il fourmille d’émotions. Il laisse sans voix.

Je ne comprends pas les éditeurs. Ils ne savent plus reconnaître les beaux textes, ni les goûter, comme on goûtait les textes classiques d’antan, ceux qui ont bercé mon enfance, mon adolescence et ma vie de femme. Et qui ont dû bercer votre vie aussi.

 Estelle


 

Bonjour Estelle
Un grand bonheur à vous lire parce que je vois que mes écrits sont des passerelles qui relient et que c'est le sens ultime que je porte à l'écriture.
Écrire est un chemin vers l'apaisement. C'était le sens de ce livre. C'est là que le travail sur l'écriture me semblait essentiel; Aller vers la douceur et abandonner les traumatismes quand ils ne sont que des étouffoirs. Cette joie de vivre, cette force dont vous parlez, elle est là, elle est la vie. Nous avons pour mission de ne pas la rejeter au risque d'être "mort" avant l'heure.
Je lirai avec bonheur votre perception des dernières pages.
Merci infiniment
Thierry


 

Bonjour Thierry,

 C’est cette nuit, à 3 heures du mat que j’ai terminé la lecture de votre manuscrit. Quelle aventure ! Vous m’avez « soufflée » !

 J’ai beaucoup de choses à vous dire sur ce texte. Mais je reviendrai vers vous ce soir, j’ai une après-midi chargée et je veux prendre le temps de vous écrire longuement. En attendant, je peux vous déjà vous dire que votre texte est incroyablement beau, qu’il m’a laissée complètement « vidée » hier soir. Le style et l’histoire sont haletants, pleins de souffle, parfois même générant de l’angoisse, mais aussi un tas d’émotions, et sans cesse passionnants. La fin m’a beaucoup troublée, je ne m’y attendais pas du tout. Que d’émotion quand j’ai « refermé votre livre » ! Sensation à la fois de paix et de malaise.

Et pour dire combien la force de votre texte m’a bouleversée, j’en ai même rêvé cette nuit, mais pas en « rose », car certains détails de votre texte m’ont fait faire des cauchemars. Mais ne vous inquiétez pas, c’est surtout ma peur de la mort, de la maladie, de la « fin », tout ce que vous décrivez si bien, qui sont à l’origine de ces rêves « noirs ».

 

Je reviens vers vous donc ce soir. Je prendrai le temps de tout vous dire.

 Encore merci à vous,

A ce soir,

Estelle


 

Est-ce que cette difficulté dans la lecture que vous aviez mentionnée dans votre premier mail concernant le début du texte a changé au cours de l'histoire?

Thierry


 

Je reviens donc à votre texte. Et pour répondre à votre question sur mes difficultés de lecture des 30 premières pages, et vous rassurer, bien sûr que tout a changé ensuite. Je dirais même que très vite, je suis rentrée de plain-pied dans le texte et l’histoire.

 J’ai tellement de choses à vous dire, et tellement à vous faire part de tout ce que j’ai ressenti dans votre texte, que je ne sais pas par quoi commencer. J’en oublierai sûrement, au cours de ce mail. Cela me donnera l’occasion de vous écrire à nouveau.

En tout premier lieu, j’ai ressenti chez le « narrateur »… une immense humanité, des qualités humaines considérables, une sensibilité à fleur de peau parfois très bien maîtrisée, et justement aucune sensiblerie, une belle dignité de sentiments, de générosité, et d’amour au sens large du terme. Tout ce que j’aime et que j’ai toujours aimé.

 J’ai beaucoup aimé les « transitions » entre les chapitres. Passer de l’un à l’autre des personnages, au cours des chapitres. Passant de la peine à la joie, de l’horrible au superbe, de l’immense au petit, de la peur à la sérénité, de l’homme à la femme, des doutes aux convictions, etc., et tous ces contrastes parfois violents, parfois chatoyants au fil des pages. C’est tout cela que j’ai trouvé exaltant, haletant, pas le temps de souffler, un rythme effréné comme « une course à la vérité », une course vers la lumière, vers ce que j’appelle la beauté du monde que si peu de gens voient, regardent, ou contemplent, et aux mots parfaitement choisis, avec non pas un zeste mais une montagne de poésie.

 Grande émotion. Belle écriture. Je retrouve là tout ce qui justifie ma passion pour la lecture, pour la littérature, la belle écriture, et les mots. Ces mots que je n’ai cessé et ne cesse de dévorer à travers tant de beaux livres, depuis mon enfance à aujourd’hui, avec boulimie, bonheur, et bien-être. Et jouissance. Le mot n’est pas trop fort.

 Si je devais évoquer ou faire une liste des émotions que votre texte m’a procurées, et j’en oublierai sûrement : la peur, l’angoisse, le plaisir, l’exaltation, l’empathie, l’espoir, le désespoir, l’étonnement, la surprise, la curiosité, la fatigue, l’entrain, le découragement, et enfin la sérénité. Mais jamais l’ennui, jamais l’envie de « quitter » le texte, et même la nuit jusqu’à des heures indues, et insolentes.

 

Et enfin, ô coïncidence, votre texte a fait écho à un livre que je suis en train de lire, très beau, que je vous conseille si vous ne l’avez déjà lu, où il y a quelque chose à voir aussi avec la proximité de la nature dont vous parlez beaucoup : « Dans les forêts sibériennes » de Sylvain Tesson.

Estelle

 


 

Un bonheur immense.


 

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Commentaires

  • Thierry
    • 1. Thierry Le 02/05/2012
    Oui Isa, je confirme :) Du pur bonheur !!
  • Isa Lise
    Et bien ! Quel joli encouragement !

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