Constat d'échec.

Un député UMP salue «la mort d'un salaud». Dans un communiqué, le député des Alpes-Maritimes Lionnel Luca se félicite de l'assaut final, qui a «mis hors d'état de nuire un islamo-fasciste» et salue «la mort d'un salaud». «Justice a été faite... et bien faite !», conclut-il.

 


 

 "Si ton royaume a besoin des gendarmes, c'est que ton royaume est déjà mort. "Antoine de Saint Exupéry "Citadelle".

 


 

"Ils l'ont eu ce salaud."

"Dommage qu'il n'ait pas souffert".

"Il a eu ce qu'il méritait."

"On va être tranquille maintenant. "

 


 

Bien entendu que je suis epouvanté par la mort des enfants et des adultes. Bien évidemment que je suis opposé à toute forme de violence. Bien évidemment que je pense à cette femme qui a perdu son mari et ses deux enfants, à cette petite fille assassinée ou à cette jeune femme enceinte dont le compagnon est mort.

Qu'on ne vienne pas me reprocher de prendre parti pour cet homme.

Maintenant, je tente de poser mes émotions premières et d'observer le parcours de cet homme et de comprendre autant que possible ce qui l'a mené là. Il ne s'agit pas de compatir jusqu'à en oublier les victimes mais de comprendre comment lui a pu devenir victime de son existence.

 

Je pense que l'orsqu'on n'a plus d'estime pour sa propre vie, on en perd l'estime de la vie des autres.

Alors pourquoi était-il dans cet état-là ?

Il n'est pas né assassin, il l'est devenu.

Je m'interroge sur le fait que son désir de rentrer dans l'armée ait été anéanti par son casier judiciaire. Il était prêt à se soumettre à une autorité "légale" et ce rejet l'a peut-être conduit à se soumettre à une autorité fanatique. L'armée ne se sent donc pas capable de prendre en charge et d'accompagner psychologiquement un individu qui lance un appel ? Son casier judiciaire, à l'époque, comportait une condamnation pour vol et conduite sans permis. Etait-ce suffisant pour refuser son engagement ? Un premier séjour en prison avait permis d'établir un profil psychiatrique pour lequel les "experts" préconisaient une aide. L'armée ne pouvait-elle le faire ? Je ne porte pas de jugement, je pose une question. Si l'armée forme des individus au combat et donc à l'éventualité de tuer, on peut supposer qu'elle sait aussi prendre en charge la partie existentielle que cela représente.

J'ai travaillé comme éducateur sportif avec des adolescents délinquants caractériels. Certains avaient déjà opéré des attaques à main armée. Il y avait à l'époque des structures, des professionnels, un encadrement. La politique sociale aurait-elle tiré un trait là-dessus. La politique répressive l'aurait-elle emporté ? Je pose une question...

 

Je m'interroge sur le fait que l'école publique voit ses postes de rééducateur, psychologue scolaire, enseignants disparaître année après année. Très facile d'imaginer ce que cet enfant (oui, il a été enfant...) a pu connaître. Un rejet.Une incapacité à prendre en charge les tourments de cet enfant. Avant qu'il ne soit embrigadé. Par dépit, par dégoût, par colère. Parce que le rejet est une souffrance indescriptible.

 

Je m'interroge sur le fait que le milieu familial n'ait pas été accompagné. Une maman qui ne parvenait plus à gérer son fils. Un père absent. Tout le monde le savait. Assistante sociale, éducateurs de rue. Des "espèces" en voie de disparition. Le royaume est encadré par les forces de l'ordre...Qu'on nous donne le coût annuel du maintien en l'état du RAID...Qu'on nous donne le coût annuel d'une cohorte d'éducateurs, d'enseignants, de psychologues, ceux qui oeuvrent à la prévention...

 

Je m'interroge sur le fait que des jeunes, par perte de repère, par rejet, par désoeuvrement ne finissent par trouver de sens existentiel que dans les mouvements fondamentalistes. Bien évidemment que le fonctionnement identitaire dont j'ai déjà parlé tient un rôle considérable dans ces parcours de vie.

Si l'individu ne se sent ni français, ni algérien, ni travailleur, ni mari, ni chrétien ou musulman, ni militaire, ni reconnu en quoique ce soit, ne devrait-on pas finir par considérer que ces identifications sont bien plus dangereuses que favorables?

 

Je m'interroge sur le fait que l'éducation nationale, par la bouche de Luc ferry ou autres "sommités" de la philosophie intellectuelle considère que toute tentative d'éducation philosophique et existentielle à l'école primaire est vouée à l'échec.

Comment se fait-il alors que mes élèves soient capables de prendre en considération le fait que cet homme avait certainement épouvantablement souffert pour en arriver là alors que des adultes ne sont capables que de proférer des paroles de haine, d'exclusion, de s'exprimer avec une violence verbale similaire à l'extrême violence dont il a fait preuve ?

La violence verbale ne tue pas, je le sais bien. Elle nourrit par contre les meurtres à venir. En quoi cette violence verbale va-t-elle favoriser l'apaisement et la recherche de la compréhension exacte de ces faits ?

Comment se fait-il que des enfants soient capables d'éprouver une certaine compassion dans la fin dramatique de cette vie tout autant que pour la mort des enfants ?

Comment se fait-il qu'ils soient capables de prendre en considération le fait que cet homme a lui aussi été un enfant?

 

Je leur ai parlé de l'humiliation, je leur ai demandé d'imaginer la souffrance psychologique et de ressentir ce que cette souffrance pouvait générer ?

Ils m'ont immédiatement parlé de la colère. Comment se fait-il qu'ils soient capables de le comprendre ?

Sans doute parce que ces identifications carcérales ne les ont pas encore totalement formatés. Qu'ils sont encore capables de s'exprimer comme des êtres humains et non comme des hommes désireux que l'état les protège et maintienne le fonctionnement névrotique dans lequel ils se reconnaissent.

Ces individus vont pouvoir reprendre leurs habitudes et espérer simplement que les gendarmes du royaume les protège de la folie. La folie dont ils ne veulent pas entendre parler, qu'ils ne veulent pas voir, dont on doit les débarrasser, comme de la mauvaise herbe.

Non, la justice n'a pas été faite. La justice n'est pas une entité de répression mais une entité de prévention. Les salauds sont ceux qui le récusent et ne voient dans cette justice que le glaive.

Qu'ils lisent Saint Exupéry s'ils en ont par miracle entendu parler.

Quant aux individus qui se réjouissent de la mort d'un homme, qu'ils apprennent à observer la haine qu'ils propagent. Et ils comprendront davantage la violence prochaine qui les saisira. Puisque leur violence verbale aura nourri les prochaines dérives.

 

J'entends ce soir des critiques envers les services de renseignement qui n'auraient pas mesuré la dangerosité de cet homme ou qui n'auraient pas agi en conséquence. Et avant ? Bien plus tôt ? Y a-t-il une responsabilité au niveau de l'Etat ? Notre Président vient de dire que "de chercher des explications serait une faute morale." Ah, oui, c'est certain que vu comme ça ... 

 

Je vais pleurer la mort des enfants, la mort des hommes. Et la mort de celui que le royaume avait condamné depuis longtemps déjà.

Je ne participerai pas à la condamnation verbale parce que je ne veux pas nourrir les drames à venir. Et j'aurais honte de me présenter devant de jeunes enfants en portant en moi des pensées de haine.

Cet homme-là, aussi, a été un enfant. Et il est trop facile de condamner l'adulte sans savoir exactement tout ce qui s'est passé avant.

Tout le monde dit que le RAID a fait son boulot. Mais c'est un constat d'échec lorsqu'il doit intervenir. C'est là le fond du problème.

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