Désabusé, désenchanté.

Interview du président du club de rugby de Toulon.

 Très marqué après la défaite de ses ouailles face à Castres hier (19-14) en finale du Top 14, le président du RC Toulon Mourad Boudejllal a confié ses difficultés à gérer la dimension émotionnelle de son rôle. « Ce boulot, il me ronge un peu, il me ronge de l’intérieur, c’est vachement dur. Je vais rester parce que j’ai commencé un boulot et j’aimerais le terminer mais je ne tiendrai pas longtemps comme ça, a ainsi glissé Boudjellal. Il te ronge dans les défaites, il te ronge dans les victoires. Dans les victoires et les défaites, tu perds toute notion de la réalité de la vie. Qu’est-ce que c’est dans ta vie d’avoir perdu un match, quand tu penses à ce qui t’attend demain ? Tu te dis ‘ qu’est-ce que j’ai été con ‘ ! Tu es con et pourtant tu as mal. Et c’est ça qui te ronge. Quand tu vis et que tu n’es plus dans la réalité des choses, tu passes à côté de ta vie. Ou alors c’est simplement une drogue pour éviter la lucidité mais cette drogue, elle fait du mal. »


 Désabusé et désenchanté.

La connotation négative de ses deux termes me surprend.

Être désabusé est une victoire étant donné que le terme signifie que l'individu n'est plus abusé, ni par lui-même, ni par les évènements. C'est là que surgit la lucidité dont parle Boudejllal.

Être désenchanté est une libération, la fin d'un "enchantement", ou d'un sortilège. Être abusé est une condamnation à errer dans les affres des émotions insoumises. Qui est responsable ? La réponse est à chercher en soi. Les évènements ne sont que des phénomènes dont la réalité dépendra de la lucidité. S'ils deviennent un fardeau, c'est que l'individu s'était projeté au-delà des évènements eux-mêmes. La tournure prise par les évènements n'implique pas que l'individu s'y abandonne.

La lucidité.

C'est étrange de constater que les individus désabusés sont considérés comme des gens abattus, sans espoir, sans énergie, sans intention alors qu'ils ont justement atteint cette plénitude des émotions. Il n'est pas question pour autant de ne rien éprouver. Il s'agit juste de ne pas s'identifier à ces émotions. Je ne suis pas ce que je ressens et j'observe le cheminement des émotions en moi. Je les laisse s'étendre sans qu'elles ne me rongent parce que je sais rester le maître intérieur.

Je suis désabusé au regard de mon travail avec les enfants. Il ne s'agit pas d'une déception mais d'une désillusion. J'en suis responsable étant donné que je faisais porter aux enfants le poids de mes exigences envers moi-même. Une erreur monumentale. J'ai vécu dans les illusions de mon pouvoir, de mon influence, de mes intentions. Que les effets espérés ne soient pas à la mesure de l'énergie dépensée est une désillusion profitable. Il me reste à apprendre le détachement. Être là sans aucune attente, juste montrer comment je m'enseigne moi-même, comment je m'éduque, comment je m'observe. Il ne dépend pas de moi que les enfants s'en servent. Les influences qu'ils subissent sont bien plus puissantes que tout ce que je pourrais proposer. Il n'est pas question pour autant d'abandonner ma façon d'être. Je dois apprendre à ne rien attendre, à ne rien espérer. C'est l'espoir qui conduit à la déception. Être désabusé a un avantage immense, c'est celui du marcheur qui ne s'intéresse pas au but à atteindre mais au pas à faire.

Le désenchantement, je le comprends non pas dans la détresse des illusions perdues mais dans la beauté de l'acte pur. Je fais ce que je suis, je pense ce que je dis, j'accomplis ce qui me construit. Que les autres autour de moi y trouvent un quelconque intérêt ou qu'ils en soient totalement indifférents ne change rien à la donne. Je suis non pas ce que je veux être mais juste cet être désabusé qui n'attend rien et qui agit au mieux, libéré de toute pression.

C'est pour cela d'ailleurs que je ne veux pas écrire avec une intention éditoriale, comme si le contrat de publication représentait l'objectif suprême. Je ne ferai que m'abuser et m'enchanter si je me soumettais à cette intention. Je sais ce que j'ai appris de moi en écrivant pour moi. Je sais ce que je n'aurais jamais découvert si j'avais écrit pour les autres. Et c'est parce que ce travail-là, aujourd'hui, me comble que je peux le proposer aux autres.

"Je suis enchanté de cette publication."

Cette phrase représente finalement une abomination si on considère que l'enchantement est un sortilège dont les émotions se nourrissent. Être enchanté est un abus et il est effroyable de s'abuser soi-même. 

  Je suis heureux qu'une éditrice s'intéresse aujourd'hui à mes textes, non pas comme une reconnaissance mais parce que des passerelles vont se créer. Rien n'aurait été possible si j'avais écrit avec un cadre prérequis, avec une trame à la mode, dans un registre reconnu.

Les déceptions et les colères ressassées envers les éditeurs qui refusaient mes textes n'existaient que par rapport à cet enchantement dans lequel j'évoluais et que j'avais moi-même érigé. J'aurais dû arrêter d'écrire d'ailleurs, depuis le temps. Mais l'écriture est plus importante que l'enchantement et maintenant que je suis désabusé, je peux m'abandonner à l'émotion d'être publié.

Je suis responsable de la réalité, je suis responsable de ce qui me ronge ou m'apaise.

Être désabusé est le chemin indispensable pour parvenir à la lucidité et déposer enfin ce qui ronge ou ce qui apaise, ce qui éloigne du réel et construit une réalité inconstante.

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