Désertion

Il y a environ trois cent mille enseignants du premier degré en France.

Depuis la mise en place de la réforme Peillon, ils sont confrontés à un nombre invraisemblable de problèmes très lourds à régler. 

On ne compte plus les réunions. Enseignants, élus, parents d'élèves, associations...

Tout le monde oeuvre à l'élaboration de planning, de bouclement de budgets, d'entretiens d'embauche, d'état des lieux des bâtiments susceptibles d'accueillir les enfants.

Branle bas de combat.

En sachant pertinemment que tout cela n'évitera pas le désastre à venir.

C'est comme si l'ensemble des passagers du Titanic s'organisait pour boucher les trous dans la coque en sachant que c'est perdu d'avance.

J'ai entendu le président de la FCPE dire que cette réforme était ambitieuse et complexe et qu'il faudrait sûrement de nombreux ajustements et que ça prendrait du temps, un an, deux, trois peut-être...

Trois ans dans la vie d'un enfant de dix ans, est-ce qu'il s'est posé la question de savoir ce que ça représente ? Non. Il ne voit que son positionnement et sa propre analyse, totalement décorrelée de la réalité des enfants.

Un an dans la vie d'un enfant de dix ans, c'est donc un dixième.

J'ai 52 ans, cela représentrait donc plus de 5 ans.

C'est ainsi qu'il faut regarder cette période d'ajustements, la comparer à la vie d'un enfant...

Un an de troubles cognitifs, émotionnels, existentiels. Deux ans, peut-être trois...Un traumatisme irrémédiable.

Mais j'ai vraiment l'impression de parler dans le vide.

Tout le monde travaille à ordonner ce chaos.

Et je m'interroge. Pourquoi cette obéissance ?

Les raisons sont nombreuses : un attachement à un système qui a permis à ces enseignants d'obtenir un travail, une sécurité de l'emploi, un cadre de vie qui reste bien plus supportable que celui de l'ouvrier en usine...

Une certaine forme de respect pour cette "grande maison"...

La peur de l'avenir également.

Un enfermement professionnel étant donné que les gens de ma génération, nous n'avons que le BAC et notre diplôme d'instit. C'est à dire rien du tout...

J'ai eu mon 2ème RDV aujourd'hui avec le personnel de l'EN chargé de la reconversion des enseignants. Et bien, il n'y a rien, aucune solution...Un désastre.

Plus de budget, aucune prise en charge.

Prisonnier. Trente ans à enseigner, plus de mille élèves. Aucune valeur, rien, le néant. C'est comme du vide dans l'Univers. Inexistant.

Alors, tout le monde travaille.

Et c'est là que ça me pose un problème.

300 000 enseignants qui annonceraient au gouvernement qu'ils refusent catégoriquement d'appliquer cette réforme. Aucune menace de grève, aucun refus d'accueillir les élèves mais un blocus complet envers toutes les directives. Refus des inspections, aucun formulaire d'enquête, aucun document administratif, aucun retour. Tout à la poubelle. Aucune conférence pédagogique, ni en présentiel ni en virtuel (oui, c'est ainsi que ça va se passer désormais, conférences sur le net...). Aucun effectif communiqué. Un blocus.

Les enfants seraient accueillis, le travail serait fait, les parents soutiendraient l'action commune  des enseignants.

Nous serions tous en faute professionnelle. Trois cent mille fonctionnaires.

Une désobéissance civile, une "désertion" administrative.

Que pourraient-ils les politiciens ? Sanctionner 300 000 fonctionnaires ? 300 000 électeurs ?...

M Peillon agiterait la responsabilité, il jouerait sur la culpabilisation et sur la peur.

Mais les parents verraient que le travail avec les enfants est fait. Aucune sanction morale ne serait appliquée par la population.

De quoi ont-ils peur les enseignants ?

De perdre leurs prérogatives, leur sécurité, peur de s'opposer à la hiérarchie ? Peur de trahir Dieu le Père ? 

Et les enfants ?

Qui pensent aux enfants ?

Finalement, le corps enseignant est un corps d'armée. Pas question de se pencher sur les victimes du conflit.

"Ne pense pas, tais-toi et obéis aux ordres. "

Je ne cautionnerai pas ce massacre. Plutôt crever.

 

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