Entre la peine et la joie

 

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Aujourd'hui avait lieu l'hommage pour Robert, le pompier mort en intervention dans la vallée. Mille personnes qui ont prié avec leurs mots, des mots qui sont montés par "la grande échelle" que Robert a empruntée, beaucoup trop tôt.

Le même jour, une élève de ma classe a posé ce petit mot sur mon bureau.

Et cette journée marquée par le deuil et la tristesse se trouve emplie également par ce petit mot coloré, porteur d'une joie que je reçois comme un immense cadeau, un rayon de soleil. 
Comme une balance qui s'équilibre entre la peine et la joie, entre le désarroi et le bonheur.

Les enfants m'ont manqué pendant trois ans, trois ans à lutter contre une administation que je conspue parce que c'est affligeant, pitoyable, insignifiant, d'une lourdeur effroyable, d'une prétention absolue...

Je repense à l'inspectrice qui passe dans l'école et me demande de la rejoindre dans le couloir et qui me reproche de ne pas avoir "d'emploi du temps"...

Je lui ai répondu que le temps ne s'emploie pas, il n'y a que le don de l'instant, ce don à saisir, dans l'écoute, l'attention et l'empathie, l'accueil et l'énergie de l'amour.

Je n'ai pas d'emploi du temps parce que lorsque je rentre dans la classe, je ne sais pas ce que je vais y faire. D'abord, je vais écouter, discuter, partager et ensuite, selon ce que j'entendrai, je déciderai de ce qui est "bon, juste et utile" pour les enfants à cet instant et qu'il ne m'est d'aucune importance de faire de la grammaire ou des maths ou de la lecture ou autre chose.

La seule chose qui m'importe, c'est de parvenir à leur transmettre le désir d'apprendre, qu'ils ressentent ce besoin, comme un manque, comme un besoin physique et spirituel. Comme lorsqu'ils ont faim et qu'ils mangent, je veux, de tout mon cœur qu'ils éprouvent la soif d'apprendre. Je lui ai expliqué que l'amour de la connaissance, c'est un enracinement, qu'il faut aller puiser les nourritures au plus profond, dans toutes les directions, absorber, enrichir la sève et que cet enracinement est la plus grande force qui soit, qu'elle leur donnera la capacité de résister à toutes les tempêtes de l'existence, que rien ne les fera tomber, qu'ils seront des arbres de vie.

Donc, je peux commencer par une citation d'un philosophe ou une carte de géographie ou un problème de mathématiques et basculer en un instant dans une information de sciences parce que, dans l'instant, elle aura son importance et qu'elle viendra s'adjoindre à toutes les autres pièces du puzzle de la connaissance, un puzzle dont l'image finale n'existe même pas parce qu'elle grandit à chaque pièce qu'on pose en soi. 

Elle n'a rien compris et a sans doute dû se précipiter ensuite dans son bureau pour aller y lire ce que "l'administration" pense de moi, ce qui est écrit sur leurs "dossiers", sur leurs "rapports", sur leurs "jugements" avec leurs "critères". Elle a dû y rajouter un commentaire qu'elle aura surligné en rouge : "élément rebelle à surveiller."

S'ils savaient ce que je pense d'eux... Ils m'ont convoqué huit fois en hôpital psychiatrique. S'ils peuvent recommencer, ils ne s'en priveront pas.

Mais je resterai le même jusqu'au dernier jour.

Parce qu'il me serait insupportable de trahir les enfants. 

 

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