Etre Soi.

"Je veux être tout ce que je peux devenir."

Katherine MANSFIELD (1888-1923)


 

Cette phrase contient des extensions considérables.

Que signifie "être" ?

Que signifie « vouloir » ?

Que signifie "pouvoir" ?

Qui est "Je" ?

Plus étourdissant encore, comment expliquer que cette phrase suggère que nous possédons déjà un potentiel défini et qu'il convient de l'exploiter ? Cela signifie-t-il que tout est déjà inscrit en nous et qu'il revient à l'individu de parcourir le chemin ? Ou bien, s'agit-il d'une projection dans un avenir à conquérir, une lutte pour atteindre des rêves générés par l'individu lui-même et non des objectifs déjà établis, à priori ?
S'agit-il donc de ne pas manquer ce qui est en devenir, une ligne à suivre et non à tracer?

S'agit-il plutôt d'un projet à bâtir et d'une lutte à mener ?

N'y a-t-il pas un risque de laisser faire si on accepte l'idée que tout est déjà tracé ?

Pourquoi se démener si tout adviendra "fatalement"' ?

Et s'il s'agit bien d'une architecture à élaborer, puis à construire, comment saisir ce potentiel inséré ?

On peut supposer que ce potentiel originel n’est pas uniquement inscrit dans le corps mais également dans l’esprit. Il y a une volonté, une force intérieure. Comment les révéler ?

Herman Bull fait partie des plus grands alpinistes d'après-guerre. Il avait été placé dans un orphelinat à huit ans. Frappé de rachitisme, une croissance flétrie par les privations. Mais la passion de l'altitude l'a saisie. Prisonnier de guerre, il a encore souffert au-delà de tout. Il a pourtant été le premier alpiniste à atteindre un sommet de huit mille mètres en solitaire...Personne ne parvenait à le suivre. Une force mentale incommensurable.  Des ascensions en solitaire qui n'ont été répétées que bien plus tard.

Alors ?

Est-ce que les épreuves endurées ont forgé ce mental d'acier, ce corps en a t-il été nourri au-delà de toutes les prévisions médicales?

Ou bien était-ce un chemin déjà inscrit et les épreuves étaient-elles le chemin de la révélation de ce qui était là?

Est-il devenu ce qu'il était déjà ? Ou s'est-il construit au-delà de ce qui était envisageable ?

J'ai évidemment cherché à analyser mon propre parcours sous ce projecteur de la conscience de Soi.

Je sais d'où je viens, ce que j'ai vécu, ce qui m'a nourri, empoisonné, formé, traumatisé, grandi. Je sais surtout que TOUT CELA était intimement lié et que rien n'était évitable. Les drames comme les joies. En sachant que cette vision des évènements n’était issue que de l’interprétation que j’en avais et qui s’est révélée bien plus tard totalement subjective et incomplète.

Est-ce qu'il s'agissait d'un enchaînement de faits et de leurs conséquences, ces conséquences élaborant secrètement les évènements à venir ? Comme une main manipulant un chapelet, les doigts passant d'une perle à une autre... L'individu est toujours libre d'arrêter cette manipulation. Mais le chapelet existera toujours...L'enchaînement existe à priori. Ne pas en user ne l'efface pas.

Est-ce qu'il s'agissait d'un enchaînement de faits et de leurs conséquences, ces conséquences n'ayant aucun effet sur la suite de l'existence étant donné que l'individu possède un libre arbitre suffisamment puissant pour tirer les conclusions des évènements et de varier le parcours ? Rien au ciel n'est écrit. Je suis celui qui dessine le ciel. 

Un entrelacs d’interrogations constantes, toutes les hypothèses qui tournent en boucle et se contredisent mutuellement.

Je pense aujourd'hui qu'il est impossible de répondre à ces interrogations en restant dans la dimension du mental. Bien que ce soit le mental qui les élabore...Tout le dilemme est là...

Les réponses qui m'ont été données n'ont pas surgi dans la dimension du moi, de l'ego, de la raison. Elles sont apparues parce que le cadre avait volé en éclat.

L’écriture que j’ai aujourd’hui, je la dois à des milliers d’heures de travail, elle n’était pas en moi à priori, je l’ai construite peu à peu, lentement, avec des phases éblouissantes et de longues périodes sombres. Mais le désir d’y parvenir n’a jamais disparu. D’où vient-il ? Est-ce quelque chose qui a toujours été là, comme un organe rapporté ? Ce que je devais devenir ? Pourquoi suis-je toujours revenu à l’écriture alors qu’elle n’a quasiment jamais été reconnue par les éditeurs ? L’objectif inséré était bien au-delà. Une évidence. Mais j’ai mis longtemps à le saisir. Ce qui me peine aujourd'hui, c'est de ne pouvoir répondre à l'attente des lecteurs qui me demandent ce qu'il en est de la publication de mes ouvrages. Ca ne dépend pas de moi, je n'y peux rien...

Ma volonté était illusoire parce que le désir ne m’appartient pas. « Je ne veux pas désirer », l’expression est absurde. Je n’ai fait que répondre à une intuition insaisissable. Je n’ai pas « voulu » être ce que je dois devenir, c’est ce désir qui s’en est chargé. Ma volonté s’en est nourri. C’est l’humilité qui est à comprendre.

Le mental est un serviteur et son Maître se tient dressé dans une dimension archétypale. Jung l’explique bien mieux que moi. Kant parlait de « sujet transcendantal », celui qui possède le libre arbitre, la possibilité du choix de ses actes. Je suis libre de continuer à écrire ce texte ou d’éteindre l’ordinateur. Mais même si j’attends dix ans pour reprendre cette réflexion, j’y reviendrai immanquablement parce que le désir est là et qu’il n’est pas effaçable. Il peut être étouffé par l’incapacité à rester lucide et par l’égarement dans les voies multiples de l’existence sociale mais, intérieurement, dans cette dimension psychique, profonde, secrète, intime, dans ce gouffre sans fond et sans lumière,  se tient le désir, ce désir originel qui n’est pas issu de la raison, ni même d’un besoin, ni même d’un manque.

Il s’agit de ce désir qui est le ciment des cellules, l’énergie fondatrice, la raison de leur cohésion. C’est le désir qui bat au cœur de la structure.

C’est lui qui maintiendra éveillé la volonté d’être ce que je dois devenir. Et je n’existerai que dans le saisissement de ce désir et l’abandon de toute prétention au regard de cette volonté. Ma volonté n’est rien sans ce désir et les gens égarés sont ceux qui ont étouffé le désir au-delà de la raison vitale pour se perdre dans la raison mentale.

Je ne peux rien vouloir de réel hors de la conscience de ce désir originel.  

 

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