LE DÉSERT DES BARBARES (4)

Dans le cas d'un monde en chaos, (les raisons pour cela sont nombreuses), se pose la question de la capacité et même de la volonté de survivre. Il ne s'agit pas d'une catastrophe localisée comme l'humanité en a déjà connue mais d'un désastre planétaire. Voir s'effondrer la totalité du monde connu, l'ensemble de ses repères, l'idée même d'une amélioration à venir, cela relève d'un défi monumental. L'humanité, depuis les temps les plus anciens, s'est construite à travers un combat quotidien, "the struggle for life", et chaque génération a vu croître sa sécurité, son confort, son espérance de vie. Il a fallu beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps et cela n'est pas vrai partout sur la planète. Les différences sont considérables et parfois même effroyables. Il n'en reste pas moins que le développement des sociétés modernes a atteint un niveau critique au regard des lourdes menaces qui pèsent sur la planète. Et il est fou de penser que nous ne sommes pas concernés. Cette inconscience s'explique justement par le niveau de vie des sociétés modernes. Nous vivons hors sol. Dépendants sur le plan alimentaire, au niveau de l'eau, au niveau énergétique, entassés dans des zones urbaines où la nuit elle-même n'existe plus. Pétrole et électricité. Nous avons bâti notre monde moderne là-dessus. 

Qu'en sera-t-il si cette humanité toute entière bascule dans une dévastation totale, dans un laps de temps très court ? Qui sera susceptible de s'en sortir ? Qui en aura envie ? 

 

"Entre la civilisation et la barbarie, il y a cinq repas." Winston Churchill.

 

LE DESERT DES  BARBARES

"Théo et Laure avaient présenté le désert des Barbares à Yves et Lisette. Tous les deux impressionnés par les installations. Ils finirent d’aménager l’extension pour qu’ils se sentent au mieux, dans leur intimité. Personne ne savait combien de temps cette cohabitation durerait. Théo avait insisté pour que Yves et Lisette se sentent libres d’arranger l’intérieur à leur idée.

C’est le soir même que Théo reçut un message d’Alec.

 

Message général. Éruption solaire majeure. Perturbations totales de l’ensemble du réseau électrique. Fin des communications dans quelques heures. Sans aucune possibilité d’estimer une date de reprise. Vous allez pouvoir juger de la qualité de votre préparation. Je vous l’ai déjà dit. Maintenant, nous avons tous une certitude : il ne restera que les meilleurs. Ceux qui avaient prévu tout ce qui était prévisible et qui sont prêts à affronter ce qui ne l’était pas. Le Hum s’étend à une vitesse effroyable. L’épidémie de choléra tout autant. Des guerres civiles et des conflits frontaliers partout sur la planète, des zones entières dont nous n’avons plus aucune nouvelle, deux centrales nucléaires ont connu des destructions majeures aux États-Unis, Tchernobyl en plus puissant. Dernier évènement la nuit dernière, l’explosion gigantesque d’un volcan Islandais, avec un séisme destructeur, les projections de cendres peuvent avoir un effet provisoire sur la météo, les incendies en cours depuis plusieurs jours à New York sont passés hors de contrôle, des millions d’Américains fuient les villes, l’armée chinoise a envahi Taïwan et Hong Kong, Israël a bombardé Téhéran, l’armée russe est entrée en Pologne. Les pays les plus belliqueux trouvent encore le moyen de balancer des bombes. La folie humaine n’a jamais eu de limites. Prenez soin de vous et, si nécessaire, tuez les autres. »

 

Fin du message.

La dernière phrase. Jamais Alec n’avait parlé en ces termes.

Lisette se mit à pleurer.

« Je ne veux pas vivre dans ce cauchemar. Yves, je ne veux pas vivre ça !

- Calme-toi, Lisette, oublie tout ça. Nous sommes à l’abri ici. Le reste du monde ne nous trouvera pas.

- Mais c’est pas ça le problème ! cria Lisette en se tenant la tête des deux mains. Tu ne comprends pas. C’est insupportable pour moi. C’est quoi cette volonté de survivre ? Être le plus fort, le plus malin, le plus résistant ? Mais on parle de milliards de morts, des milliards, est-ce que vous avez conscience de ça ? Ce monde va devenir un gigantesque charnier et vous, tout ce que vous voulez, c’est rester en vie. Mais moi, ça ne m’intéresse pas, je n’ai pas envie d’assister à ce cauchemar, je ne veux pas y être mêlée, je ne veux même pas en entendre parler, je ne veux plus y penser. Je ne veux plus rien savoir. Je ne veux pas que des hommes soient tués pour que je sois sauvée. Je préfère être morte. C’est moins douloureux. »

Yves enlaça sa femme qui éclata en sanglots.

« Comment tu vois la suite, Théo, demanda Laure lorsqu’ils eurent rejoint leur chambre.

- Sur le plan organisationnel, ça devrait aller. On est autonome en électricité et en eau potable. On a de la bouffe pour des mois. Il faudra chasser pour compléter. On a des armes, mon 4X4 et du carburant. Par contre, on ne saura plus rien de ce qui se passe dans le monde. Aucune idée de la propagation du choléra et du Hum. Donc, à partir d’aujourd’hui, plus personne ne doit entrer sur notre territoire. Tirs à vue. Pas de discussions. Qui que ce soit.

- Et les Balthuzar ?

- Demain, j’irai les voir mais je pense que la réponse sera toujours la même. L’électricité, ils s’en cognent. Ils ont un poêle à bois et des bougies. Des vrais paysans, de ceux qui vivent à l’ancienne et ils ont l’eau du puits. Ils ne partiront pas.

- Mais il y a autre chose qui t’inquiète.

- Je ne peux rien te cacher, divine sorcière chamanique, répondit Théo en posant un baiser sur le front de Laure. C’est Lisette. Je ne suis pas certain qu’elle tienne.

- C’est l’état du monde qui la ronge.

- Oui. Elle fait partie des gens qui ne peuvent pas accepter un tel bouleversement. Ils n’ont plus de repères. Soit ils en deviennent fous et dangereux pour les autres, soit ils en deviennent dangereux pour eux-mêmes.

- Je m’occuperai d’elle. Elle aime le jardinage, ça lui fera du bien. Il y a de quoi faire tous les jours.

- Oui, ça l’aidera peut-être. »

Silence. Théo pensait. Beaucoup, énormément, constamment. Laure le sentait. Elle entendait en elle le vacarme des pensées. Elle en devinait les raisons. Il avait préparé le chaos en pensant à ce dont il aurait besoin. Désormais, ils étaient quatre. Et l’anxiété de Lisette menaçait la sérénité nécessaire, la cohésion et la lucidité du groupe. Comment Yves allait-il pouvoir gérer l’état de sa femme ?

Ils se couchèrent et s’enlacèrent.

« Est-ce que tu as une interprétation des phénomènes naturels sur la planète ? Le choléra, le Hum, et maintenant l’éruption solaire.

- Tu oublies l’éruption volcanique en Islande, ajouta Théo. Avec un risque sur le climat. Un nuage de cendres, ça peut couvrir une partie de l’Europe. C’est déjà arrivé.

- Oui, les avions n’avaient plus le droit de voler, je m’en souviens. Mais ça n’avait pas duré très longtemps. Ça peut vraiment perturber le climat ?

- Tout dépendra de la durée de l’éruption et de la quantité de cendres projetées dans l’atmosphère. L’éruption du Krakatoa en Indonésie, en 1883, je crois bien, ça a projeté tellement de cendres dans l’atmosphère que la température de la planète entière a diminué et le temps a été déréglé pendant plusieurs années. Il ne faudrait pas que d’autres volcans s’y mettent. Je sais que ça arrive parfois. Mais, cette fois, on n’en saura rien.

- Donc, on pourrait avoir un hiver très froid ?

- Par exemple. Le rayonnement solaire est atténué par les cendres, tu vois, c’est comme un voile.

- Et tu en penses quoi de tous ces phénomènes ?

- Je n’en ai aucune idée. À quoi tu penses, en fait ? Tu te dis que c’est lié aux comportements de l’humanité, un truc comme ça ?

- Oui, c’est ça. Pourquoi est-ce que ça arrive maintenant ?

- Les hommes sont fous et la Terre part en vrille ? C’est ça ton idée ? Pour un esprit cartésien, ça ne tient pas debout. Mais les esprits cartésiens nous ont conduit au désastre alors je me dis que tout est possible et qu’il faudrait peut-être changer notre façon de voir les choses. J’aimerais bien savoir ce qu’il en pense ton Figueras.

- Oui, moi aussi. »

Figueras. Tim.

Les deux hommes qui occupaient les pensées de Laure lorsqu’elle s’endormait.

Figueras, dont elle rêvait parfois.

Tim dont elle avait rêvé la nuit précédente.

Un évènement pour elle.

Elle posa les mains sur son ventre. Deux jours que cette pointe était apparue sur le flanc. Une chaleur mouvante, comme des bulles alternant les plongées et les remontées, une agitation pétillante.

Tim dont elle n’aurait plus de nouvelles mais qu’elle sentait plus proche que jamais. Elle imagina qu’il pensait à elle.

Elle s’appliqua à maintenir les mains sur la zone. Elle devinait des ondes, comme un massage profond.

Elle se remémora les sorties en montagne avec son petit frère. Des souvenirs joyeux. Ils étaient proches à cette époque. Elle prenait soin de lui, elle l’entraînait dans ses aventures en forêt, il apprenait vite, elle en était parfois un peu jalouse et souvent très fière.

Elle se concentra encore et elle guida la lumière.

 

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