Jarwal le lutin (tome 3)

 

J'ai repris le travail sur l'histoire de Jarwal le lutin. Quatre tomes à relire, à corriger, à peaufiner, à élaguer ou à compléter.

Dans le tome 3, je tombe sur ce passage et je réalise à quel point, nous sommes dans la situation décrite au regard de notre système politique. 

 

 

« Kalén, tu vas redescendre au village pour chercher le lutin. Si tu le retrouves, il t’aidera à transporter le clan dans la montagne. Si tu ne le trouves pas, il nous restera la possibilité qu’il réapparaisse et qu’il t’aide dans le voyage de l’eau. Et s’il ne réapparaît jamais ou que tu trouves sa dépouille, il nous restera à attendre le départ des Espagnols. Ou à mourir d’épuisement.»

 

Nasta, le Mamu, le plus âgé, avait parlé. Il n’y avait rien à rajouter. Kalén devait obéir. Il était le fils du chaman mais le Mamu était le Guide.

Kalén devait tromper la vigilance des gardes.

Il serait tué s’il était pris. Il le savait.

« Si les soldats remarquent ton absence à la mine, je leur dirai que ta main blessée s’est infectée mais que tu reviendras après-demain. Il faudra que tu marches vite, tu as peu de temps.

-Je serai là. »

 

Kalén se leva, prit une mochilla et la remplit d’aruaca. Une outre avec de l’eau en bandoulière, quelques galettes de maïs, des bananes et un bâton de marche. Il salua l’assemblée et sortit.

Les regards des Anciens se gravèrent en lui. Ils nourriraient sa force.

 

Un feu de camp au bout de l’allée des huttes, trois silhouettes assises près du foyer. Elles lui tournaient le dos. Il aurait aimé que son cœur se taise. Il battait comme un tambour. Il observa le sol devant lui, repéra quelques cailloux qu’il devait éviter, il vérifia que sa mochilla était bien en place, que rien ne risquait de tomber, que rien ne pouvait entraver ses pas puis il se décida.

Il se glissa sans bruit dans l’ombre des murs. Il disparut rapidement, plus silencieusement qu’un vol de papillons.

Une fuite bien plus facile que ce qu’il avait imaginé. Il s’attendait à entendre un cri dans son dos, une alerte, les soldats qui le saisissent, des coups, une mort certaine mais il continua à se mouvoir dans la nuit et il s’éloigna.

Un choc en lui alors qu’il descendait le flanc de la montagne.

Sa peur n’était que le fruit de son imagination.

Une révélation soudaine. L’abattement de son clan n’était pas dû réellement au danger mais à ce qu’il imaginait du danger. Il avait suffi aux Espagnols de se montrer intraitable pour créer la peur de ce qui pourrait advenir de pire. Sans que ça ne soit une réalité. Le clan s’interdisait lui-même toute tentative d’évasion, figée par une imagination trompeuse, des visions de massacre quand il pouvait tout autant s’agir de liberté acquise. Il fallait qu’il parle de sa découverte aux Mamus et qu’ils revoient leur position. Cette situation n’était pas nécessairement une condamnation définitive.

Un trouble immense dans l’esprit de Kalén, comme une brèche dans le mur de ses certitudes et de toutes les connaissances transmises. Le clan œuvrait à la maîtrise des pensées et des émotions, à la compréhension du passé et à son exploitation, à l’exploration constante et approfondie des âmes et pourtant, lui, Kalén, il venait de découvrir, en se glissant plus silencieusement qu’une ombre, que les capacités des individus pouvaient dépasser les décisions communes, que la liberté à prendre ne devait pas s’arrêter aux peurs éprouvées ni encore moins aux drames fictifs, aux catastrophes imaginées lorsqu’elles n’étaient que des pensées collectives. C’est l’absence de repères conférés par le passé du clan qui figeait les Anciens. Aucune expérience ne leur permettait d’opter pour une voie ou son contraire. Ils n’avaient pas réellement décidé de rester inertes. L’inertie s’était imposée à eux. Il fallait désormais abandonner le fardeau de ce passé sans réponse et œuvrer à la création d’un avenir. En s’engageant dans l’instant présent avec toute l’énergie du clan."

 

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