Jarwal et les Kogis

 

 

Nasta parla longuement.

Kalén expliqua.

« La Vie est une pensée qui a ensemencé la Terre. C'est la pensée originelle. Les êtres humains imaginent que leurs pensées leur appartiennent, qu’ils en disposent librement. Ils ont oublié la première pensée, ils ne savent plus la ressentir. Toutes les pensées qui parcourent l’espace sont les enfants de la pensée créatrice. Ici, nous pouvons remonter à la source. 

-Nasta veut-il dire que la Vie est une pensée ?

-Oui, c’est bien cela Jarwal. Cette pensée s’est matérialisée sous des formes innombrables. Les Kogis écoutent les pensées des arbres, des nuages, des montagnes, de toutes les formes créées par la Vie. Les hommes imaginent qu’ils existent parce qu’ils pensent alors que c’est la pensée de la Vie qui vibre en eux et leur donne vie. Les hommes ont oublié l’humilité.

-Kalén, pour qu’il y ait une pensée, il faut un émetteur. Qui est à la source de la pensée de la Vie ?

-La Vie elle-même. Les Conquistadors qui nous ont maltraités disaient qu’ils étaient en mission, qu’un Dieu tout puissant les guidait. Aucun Dieu n’existe. Pas les Dieux des hommes. Ces Dieux-là ne sont que des mensonges.

-La Vie est divine, c’est cela ?

-Exactement Jarwal. Et le reste n’est qu’invention des esprits manipulateurs. La Vie est la pensée de la Vie qui se pense et toutes les formes de vies créées sont à l'image de l'infinité de ses pensées.

-Et alors les hommes qui se sont coupé des pensées diffusées par la Nature ne seront plus jamais des êtres humains ?

-Cela dépendra d’eux, Jarwal. Les Kogis sont des êtres humains mais les Conquistadors sont des hommes. Ils vivent pour les biens matériels, la puissance, le pouvoir, l’exploitation, l’asservissement. Nasta dit que l’avenir de ces hommes est très sombre. Et qu’ils jetteront sur la Vie toute entière un voile d’ombre. Leur intelligence est au service du Mal parce qu’ils ignorent la pensée de la Vie. Ils sont soumis à des pensées d’hommes.

-Quel est l’avenir de ce monde d’hommes Kalén ?

-Il n’a pas plus d’avenir que l’homme qui s’est coupé de la source. Il ne vit que dans le fardeau du passé et des erreurs commises sans pour autant prendre conscience qu’il répète à l’infini les mêmes erreurs en les habillant simplement de nouveaux apparats. Ce monde-là continuera à vouloir construire l’avenir qui correspond à son errance. Il est empoisonné par le poids de son histoire. Le voile d’ombre finira par s’étendre jusqu’à cacher la lumière du Monde et de la Vie. »

 

Ils parlèrent longuement.

Gwendoline s’était retirée dans un coin de la hutte.

Des larmes qui auraient aimé s’épandre. Une telle détresse aux paroles de Kalén.

Comme si la Vie elle-même pleurait dans son âme. Cette peur immense de ce monde à venir, cette dégénérescence inéluctable, cet oubli de la source, comment était-ce possible ? Pourquoi la Vie laissait-elle s’étendre ce désastre, pourquoi la Vie offrait-elle aux hommes cette pensée insoumise qui les menait à la destruction d’eux-mêmes ?

Elle ne comprenait pas.

 

« C’est le défi qu’ils doivent relever, murmura tendrement Léontine à son oreille. Apprendre à s’élever au-dessus de leurs pensées sombres.

-Et crois-tu qu’ils en seront capables un jour ?

-Il ne me servirait à rien de me torturer avec de telles interrogations. Étant donné que je n’y peux rien.

-C’est de l’abandon.

-Non, Gwendoline, c’est de la lucidité. Apprends à te consacrer aux choses sur lesquelles tu as une incidence possible. Le sage n’est pas celui qui donne des leçons aux autres mais celui qui écoute la voix de la Vie. Si tu écoutes les tourments des hommes, tu ne peux plus entendre la Vie et si tu ne l’entends plus, tu ne peux rien apprendre et si tu n'apprends plus tu n'as rien à montrer. Tu dois être ce que tu portes et ne pas t’alourdir. 

-En quoi cela peut-il améliorer les situations néfastes ?

-Tu n’agis pas pour améliorer les situations néfastes mais pour appliquer éventuellement à ces situations ce qui te semble juste. Si tu as une intention, tu fabriques toi-même la possibilité d’une désillusion et tu n'es plus dans l'instant. Tu essaies d'aller plus loin, là où il n'y a rien encore. Contentes-toi de faire ce que tu penses être juste. Et quand tu décides de le faire, ne fais que ça. Le reste ne t’appartient pas.

-Tu veux dire qu’en venant ici, la seule chose importante était de tenter d’aider les Kogis mais qu’il n’y a rien d’autre à vouloir ou à espérer.

-Exactement. À quoi cela servirait-il que tu t’inquiètes pour l’avenir de ce monde humain ou de celui des Kogis ? As-tu une solution à apporter ?

-Non et c’est ce qui me ronge.

-C’est toi alors qui as choisi d’être rongé, ça n’est pas l’état de ce monde qui agit sur toi mais l’émotion que tu entretiens. Et non seulement, elle ne sert à rien mais elle te prive de l’énergie dont tu pourrais user pour être ce que tu portes. Et par conséquent, tu prives ceux qui pourraient te voir vivre dans ce qui est juste. Tu te condamnes deux fois : une fois par la détresse que tu génères toi-même et ensuite par la détresse de ceux qui vivent près de toi et qui souffrent de te voir dans cet état. Est-ce que c’est ainsi que tu penses agir de façon juste ? »

 

Un trouble immense, une leçon impitoyable.

« Tu es redoutable, chère petite fée.

-C’est le rôle des vraies amies. »


 

 

blog

Ajouter un commentaire