Jarwal le lutin : la peur

Finalement, nous sommes exactement dans cette situation...Figés par le passé, parce que nous cherchons des solutions aux problèmes en usant d'un système de pensées qui les a lui-même générés...On tourne en rond et on s'enfonce, comme un trou qu'on agrandirait incessamment sous nos pieds...


 

"Kalén se leva, prit une mochilla et la remplit d’aruaca. Une outre avec de l’eau en bandoulière et un bâton de marche. Il salua l’assemblée et sortit. Les regards des Anciens se gravèrent en lui.

 

Un feu de camp au bout de l’allée des huttes, trois silhouettes assises près du foyer. Elles lui tournaient le dos. Il se glissa sans bruit dans l’ombre des murs. Bien plus facile que ce qu’il craignait. Il s’attendait à entendre un cri dans son dos, une alerte, une poursuite, une mort certaine mais il continua à se glisser dans la nuit et il disparut. Un choc en lui alors qu’il s’éloignait. Sa peur n’était que le fruit de son imagination. Une révélation soudaine. L’abattement de son clan n’était pas dû réellement au danger mais à ce qu’il imaginait du danger. Il avait suffi aux Espagnols de se montrer intraitable pour créer la peur de ce qui pourrait advenir de pire. Sans que ça ne soit une réalité. Le clan s’interdisait lui-même toute tentative d’évasion, figée par une imagination trompeuse, des visions de massacre quand il pouvait tout autant s’agir de liberté acquise. Il fallait qu’il parle de sa découverte aux Mamus et qu’ils revoient leur position. Cette situation n’était pas nécessairement une condamnation définitive.

Un trouble immense dans l’esprit de Kalén, comme une brèche dans le mur de ses certitudes et de toutes les connaissances transmises. Le clan oeuvrait à la maîtrise des pensées et des émotions, à la compréhension du passé et à son exploitation, à l’exploration constante et approfondie des âmes et pourtant, il venait de découvrir, en se glissant plus silencieusement qu’une ombre, que les capacités des individus pouvaient dépasser les décisions communes, que la liberté à prendre ne devait pas s’arrêter aux peurs éprouvées ni encore moins aux drames fictifs, aux catastrophes imaginées lorsqu’elles n’étaient que des pensées collectives. C’est l’absence de repères conférés par le passé du clan qui figeait les Anciens. Aucune expérience ne leur permettait d’opter pour une voie ou son contraire. Ils n’avaient pas réellement décidé de rester inertes. L’inertie s’était imposée à eux. Il fallait désormais abandonner le fardeau de ce passé sans réponse et œuvrer à la création d’un avenir. En s’engageant dans l’instant présent avec toute l’énergie du clan.

Il est impossible d’améliorer une situation précise en usant des systèmes de pensées qui l’ont générée. Il faut irrémédiablement explorer un nouvel espace spirituel, s’engager dans la conquête de nouveaux horizons au risque de continuer à errer sur les anciens champs de bataille.

Le clan participait lui-même à son enfermement. Les Conquistadors l’avaient compris et ne se souciaient guère de surveiller des êtres inertes.

Un trouble immense dans l’âme de Kalén, une colère contre les Anciens, des pensées rebelles dont il ne savait que faire, comme une rupture et pourtant ce respect immense pour le savoir ancestral, une attitude apprise qui déclenchait en lui des tiraillements douloureux."  

 

Commentaires

  • Thierry
    • 1. Thierry Le 20/09/2011
    "Figée par le passé" est une malédiction que nous fabriquons nous-mêmes, comme un fardeau que nous portons et qui nous écrase. j'en sais quelque chose...Il faut réussir à saisir la seule réalité pour s'en libérer : l'instant présent. le reste n'est que le choix de notre vie, un choix perverti par ce passé que nous avons décidé d'entretenir comme si cette histoire, elle seule, pouvait nous donner une forme. Nous sommes identifiés à ce passé juqu'à en détruire l'instant présent. Cette capacité intellectuelle, cérébrale, neuronale à garder en nous une trace de ce passé qui n'a aucune autre existence que celle que nous lui accordons est une malédiction dès lors qu'il nous prive de la Vie immédiate. Etre figé par le passé, c'est avoir décidé dé crée une "petite mort" avant même que celle de notre avenir ne survienne, sachant que cette mort à venir n'a elle-même aucune existence puisqu'elle n'est pas de cet instant présent mais d'un temps que nous imaginons. Cette perversion du temps psychologique n'est pas une fatalité mais un abandon personnel, une condamnation. Effrayant.
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    Figée dans le passé. J'aime cette phrase)

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