KUNDALINI (16)

 

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Elle ferma les yeux et se concentra quelques secondes sur son équilibre. Stabilité du bassin, abdominaux légèrement serrés, elle visualisa l’alternance de sa respiration, les mouvements de sa poitrine, le trajet de l’air dans son nez.

« Je vais me placer derrière vous, Maud et je vais utiliser ma voix, juste ma voix mais sur des notes bien précises. Aucune parole, juste des sons particuliers. Recevez-les, laissez-les vous envahir, sans chercher à comprendre le but. Laissez-vous emporter, souvenez-vous, n’ayez pas peur des vagues. »

 

Elle imagina en elle un océan agité, des houles écumeuses dansant sous les cieux et elle eut envie de sourire.

La première note la surprit. Dans son dos, au niveau des chevilles. Un son guttural, très long, régulier, une espèce de rauquement de bête, un souffle qui n’avait rien d’inquiétant mais dont la sonorité résonnait comme un tonnerre très lointain, un grondement sombre et prolongé de cieux enflammés. 

Elle pensa soudainement à ces chants tibétains qu’elle avait entendus dans un documentaire télévisé. Ce « Om » si reconnaissable. Oui, c’était cela, un chant tibétain, une mélopée très simple, un balancement hypnotique nourri de variations infimes.

Puis, elle observa la respiration en elle pour couper le fil de ces pensées intrusives dont elle ne voulait pas.

Elle s’habitua rapidement à ce chant étrange et ne le trouva plus aussi animal. Il émanait de ces notes une gravité délicieuse, envahissante, totalement inattendue…

Qu’avait-il dit ? De se laisser aller, de ne pas chercher à comprendre le but, à identifier le protocole ou quelque chose de connu… Se laisser aller…

La voix remontait le long de sa jambe. L’impression que les vibrations pénétraient sous sa peau, qu’elles agissaient comme des mains sur son corps, comme un massage sonore.

 

Il avait placé ses mains en porte-voix et il s’appliquait à moduler les notes en maintenant le flux. De longues inspirations et des mélopées régulières, des changements modérés, des courants d’énergie remontés des entrailles. Contractions abdominales, le ventre rentré, comme une bouée dégonflée puis une nouvelle goulée d’air, un remplissage complet des alvéoles pulmonaires, l’extension ultime de sa capacité respiratoire.

Il remontait le long de sa jambe gauche, les yeux fixés sur la zone visée, toute son attention concentrée sur la portée de sa voix. Il dépassa le creux du genou et explora les tissus tendus de sa cuisse. Il devinait la musculature. Le grain bruni de la peau.

Une vision qui le troublait…

Maud…

Il percevait en elle une tendresse étrange, comme une reconnaissance qu’il fallait valider, des retrouvailles inespérées. Une incompréhension qui le perturba.

Il s’arrêta à l’orée des fesses, juste sous le pli qui marquait le haut de la cuisse. Il suspendit la mélopée et redescendit au niveau de la cheville droite. Il reprit aussitôt le même cheminement.

Avec un trouble identique. Des crépitements dans le creux de ses mains, comme si les vibrations de sa voix revenaient en écho et se diluaient en lui.

Une intensité qu’il n’avait jamais éprouvée auparavant. Avec aucune femme. 

 

Le galbe rond de ses fesses.

À quelques centimètres de sa bouche...

Maintenir le protocole lui devenait presque douloureux. Une envie irrépressible de caresser l’offrande.

Maud…

C’est elle qu’il avait senti approcher quand il méditait, avant même qu’il ne la voit, c’est son aura qui l’avait contactée, attirée, aimantée, électrisée.

Il avait bien dû reconnaître que l’apparition de Maud l’avait ému, troublé, réjoui même… Au-delà du prévisible.

Il n’en connaissait pas les raisons mais il en possédait désormais la confirmation physique, émotionnelle, énergétique, vibratoire.

Il émanait de cette femme quelque chose qui le pénétrait.

Il s’appliqua à poser sa voix entre les deux demies lunes hâlées et il vit les muscles se relâcher, la gêne s’évanouir, la frontière entre les deux territoires se détendre, légèrement, comme enchantée et conquise, curieuse et rassurée, un frissonnement infime, délicieux tremblement qui le réjouit. Et il en fut surpris.

Il n’avait jamais senti un tel égarement en lui, une telle difficulté à préserver l’attention nécessaire.

Un désir puissant qui irradia dans sa verge, son ventre, son périnée…

Il dût se forcer à retourner son regard, à observer en lui l’intention bénéfique qu’il souhaitait diffuser, à oublier ce tourment impromptu. Des années de travail qui l’abandonnaient subitement, follement, comme s’il n’était plus qu’un mâle séduit, qu’un flux sexuel déluré et immature.

Inconcevable. Il ne voulait pas de cette insignifiance.

Pas lui. Il ne pouvait se trahir de la sorte.

 

Il remonta le long de la colonne vertébrale, inondant chaque palier des sons prolongés.

L’aura. Il l’avait ressentie bien avant que Maud ne lui soit visible. Il avait aimé cette couleur orange dominante, pure, pétillante, primordiale. Il en connaissait la signification. Vitalité, courage, créativité, dynamisme, endurance…

Une palpitation presque imperceptible, des ondes circulaires qui enveloppaient le corps. Une auréole éthérée au-dessus du chakra couronne. Violette.

Il n’avait jamais perçu cette couleur auparavant. De toutes les personnes qu’il avait eu à soigner. Jamais, ce violet ne s’était montré ainsi.

Qui donc était-elle ?

Pourquoi son individu social ne reconnaissait-il pas encore l’être spirituel qui vivait caché ? Pourquoi cette distance néfaste en elle ? Il comprenait désormais l’indéfinissable contradiction qu’il avait devinée. Un refus spirituel sous les fardeaux du mental. Est-ce que des épreuves passées, autres que le départ de son mari, pouvaient expliquer cette inertie ?

Il s’en voulait de se laisser déborder ainsi par une curiosité inadéquate. Il n’avait pas le droit de gâcher ce moment. Pour elle.

Et pour lui aussi, cette fois. Cette impression inexplicable qu’il était pleinement concerné, que cette femme portait en elle une exploration à vivre, qu’il ne s’agissait pas uniquement d’initier une nouvelle personne à son espace intérieur, de la projeter dans cette dimension délaissée de la spiritualité sacrée, de mener au mieux la mission qu’il s’était forgée… Pas cette fois. Il y avait autre chose. 

Une incompréhension tenace, des interrogations indociles…

Haut du crâne. Des sons profonds, à quelques millimètres des cheveux. Il sentait dans ses mains des résistances, des champs vibratoires qui ne se laissaient pas traverser. Comme si l’aura de Maud avait élaboré une citadelle invisible, un territoire fermé, un espace interdit.

Il ferma les yeux et tenta d’ouvrir l’enceinte.

Il sentit rapidement en lui un point douloureux entre les deux yeux. Chakra du troisième œil. Une symbolique évidente. Il ne pourrait pas voir ce qui était caché.

Jamais, il n’avait éprouvé contre son don une telle barrière. Jamais, il ne s’était senti aussi impuissant.

Il y avait chez cette femme une énergie qui dépassait son savoir, ses connaissances, ses expériences, ses certitudes…

Respiration perturbée.

Il avait bien songé que cette rencontre fortuite portait un message. Il ne s’attendait pas à cette découverte.

Une énergie contre laquelle sa médiumnité ne pouvait rien. Et c’était un constat auquel il ne s’attendait pas.  

Il dût produire des efforts soutenus pour réactiver la respiration consciente et retrouver la vision intérieure.

Silence. Il bougea prudemment, en restant au plus près de son corps. Il ne fallait pas rompre le lien.

Une certaine appréhension lorsqu’il se plaça face à elle.

Il regarda son visage. Un léger sourire, une esquisse bienheureuse. Les yeux fermés. Totalement abandonnée, réceptive, aimante de l’instant.

 

 

Il s’accroupit et reprit sa mélopée aux pieds et aux chevilles. Impatient de remonter… Et contrarié par cette impatience.

Pas lui. Ce désir ne lui ressemblait pas, ne répondait pas à ses exigences envers lui-même. Comme si cette femme avait le pouvoir de l’extraire de lui-même.

Un mélange de colère et de joie. Une joie physique qu’il n’avait pas partagée avec un être humain depuis bien longtemps… Lison…

Une douleur si profonde qu’il avait tout fait pour qu’elle ne remonte jamais des abysses où il l’avait immergée. Dans une mémoire fossilisée, une geôle hermétique.

Et puis, là…

Maud.

Incompréhensible. Ce désir de la serrer dans ses bras.

Il se demanda pendant un battement de paupières s’il parviendrait à la fin du protocole.

Il avait cru qu’il ne serait jamais perturbé dans la perception des fréquences vibratoires et il découvrait dans le mystère de cette femme une dimension qu’il ne pouvait parcourir, un espace qu’il ne pouvait atteindre.

Pourquoi elle ?

Il n’avait rien perçu d’exceptionnel ou de paranormal. Se pourrait-il qu’elle ne soit pas consciente de ce qu’elle porte ? Se pourrait-il qu’il y ait chez cette femme une entité plus puissante que tout ce qu’il avait rencontré jusque-là ? Dix ans maintenant qu’il soignait la population locale et sa réputation s’étendait. Treize ans qu’il étudiait. Treize ans que Lison était partie…

Il ne voulait pas de ce désir et de ce trouble, il ne voulait pas de cette rupture dans sa maîtrise, il ne voulait pas se perdre. Il ne voulait plus souffrir.

Maud… Qui était-elle ?

Cuisse gauche. Il sentit une contracture. Une vieille blessure, un claquage sur le vaste latéral. Il restait une cicatrice. Rien d’invalidant. Il faudra lui dire de toujours bien s’étirer.

Jambe droite. Des échos permanents, comme dans l’ensemble de son corps. Il visualisait intérieurement des crépitements dorés et ses mains réagissaient avec une vigueur inconnue. L’impression qu’elles réclamaient un contact réel, une étreinte, une caresse qui les libèrerait de cette pression inhabituelle.

Remonter encore un peu et recentrer la mélopée.

Le triangle blond de son sexe. Il ne pouvait le contourner. Comme une aimantation. Un besoin impérieux de lui chanter les plus belles notes, de trouver l’harmonie la plus intense.

 

Elle savait qu’il était là. Juste devant. Là où elle n’aurait jamais imaginé que son visage se trouverait aujourd’hui. Ni moins encore qu’elle n’en serait nullement gênée. Les sons vibraient dans son ventre. L’impression que sa matrice utérine les absorbait, qu’ils la pénétraient dans un rayonnement calorique. Des pétillements de bulles agitées, des cascades cristallines, comme des torrents juvéniles, des brises tièdes dans ses fibres, un délicieux courant qu’elle accueillait avec bonheur. Un simple abandon. Sat le lui avait dit. « N’ayez pas peur des vagues. »

 Les yeux fermés. Un sourire sur son visage. Elle buvait le chant de Sat. Elle s’en imprégnait par tous les pores de sa peau, elle l’accueillait à cœur ouvert et elle devinait l’allégresse de ses fibres, comme un courant de joie dans ses veines, un air épuré dans ses poumons, des pensées apaisées qui contemplaient un bien-être inespéré.

 

Il avait le visage à quelques centimètres de la toison pubienne. Des chaleurs moites qui crépitaient dans ses mains, des bouffées tièdes qui l’envahissaient. Les plis rosés des lèvres, le liseré fermé comme une gorge secrète, un canyon si étroit qu’il était impossible d’en voir la profondeur…

Il ferma les yeux. Le trouble était trop fort.

Les vibrations du chakra racine. Il en ressentait les effluves comme autant de risées énergétiques, des parfums magnétiques…Cette pensée que la fréquence vibratoire de Maud était plus puissante que la sienne, que c’est lui qui était visité, parcouru, cartographié, ému, réjoui, troublé… Ces picotements délicieux dans son bas-ventre. Il ne pouvait les nier.

Chakra Sacré…remonter encore… Chakra du Plexus solaire…

L’arrondi de ses seins. Il passait de l’un à l’autre dans une lente contemplation. L’auréole et le téton comme autant d’appels au désir. Il aimait leur tenue et ce léger redressement de la pointe, comme deux êtres conscients de leur beauté, aucune fierté malsaine, juste deux regards curieux dirigés vers le monde, ses tétons comme des sentinelles observant les horizons, le grain satiné de la peau, un voile de soie tendue. Il lui était impossible de ne pas s’attarder et de rejeter cette envie de les prendre dans ses mains, de les soupeser délicatement, de les envelopper, de sentir leurs frissons sous ses caresses.

Des vibrations ininterrompues. Il sentait bien que l’ascension délivrait des flux de plus en plus puissants, soutenus, profonds, lumineux.

Jamais, il n’avait éprouvé un tel bien-être pendant ce protocole, jamais il ne s’était senti lui-même envahi par ces ondes qui l’enveloppaient et glissaient en lui. Il se sentait pénétré par des rayonnements bienveillants.

« Om…… mmmmmm…. »

Ne jamais abandonner le lien sonore. Il le savait et s’y appliquait autant que possible.

Les mains à quelques millimètres de la gorge de Maud.

Ses paumes irradiaient des soleils et il recevait en retour des galaxies étoilées.

Il ferma les yeux en arrivant devant son visage. C’est là qu’il ne parvint plus soudainement à visualiser son propre corps. Ce fut comme un éclair aveuglant. Il aurait voulu appuyer ses pieds au sol pour calmer son vertige mais il en fut incapable, comme s’il flottait en l’air sans qu’il n’y ait rien de suspendu, comme s’il ne s’agissait que d’une pensée dans l’Univers puis il eut peur que cette pensée ne disparaisse et que l’Univers s’effondre.

Il ouvrit les yeux.

Le visage de Maud. Un sourire qu’il ne lui connaissait pas encore, quelque chose d’énigmatique, comme une pièce rapportée, un sourire qui n’était pas à elle.

Il se trouva ridicule et reprit sa tâche. 

Chakra couronne.   

C’est lorsqu’il plaça ses mains à quelques millimètres du front de Maud qu’il sentit cascader dans son corps des fleuves enflammés.

Il ne put s’empêcher de regarder sa verge. Il aurait été incapable de dire sans cela s’il avait une érection ou pas tant l’embrasement dans la totalité de ses fibres le privait de la moindre perception détaillée.

Il n’était qu’une érection. Intégralement. Une érection vibratoire.

Il s’arrêta de chanter. Totalement stupéfait, interloqué, subjugué, fasciné.

Il passa dans le dos de Maud et posa ses mains sur ses épaules.

Elle frissonna.

Il descendit les doigts le long de la colonne vertébrale et il devina les torrents d’énergie qui ruisselaient.

Des frissons qui l’enflammèrent de la tête aux pieds. Jamais, elle n’avait senti cela, jamais avec cette dimension intégrale, l’impression que ses pores s’ouvraient pour laisser s’échapper un trop plein de chaleur. Et de plaisir. Comme un début d’orgasme, une première vague, une brise chaude… Elle s’étonna de ne rien percevoir de sexuel. Son sexe ne flambait pas et elle n’éprouvait aucun désir de contact. Tout était partout. Et même au-delà de son corps. Sans comprendre l’image qui l’émouvait, elle devinait autour d’elle une enveloppe lumineuse qui crépitait de bonheur. Intégralement.

Il passa sur les fesses sans suspendre le contact puis il continua jusqu’aux pieds.

 

Les vagues dans son corps. De la tête aux pieds, jusqu’au bout des ongles, dans les boucles de sa chevelure, dans son palais, sur sa langue, sous ses paupières, dans ses rétines… Elle en percevait l’écume et le parfum iodé. La voix de Sat résonnait toujours en elle comme dans une grotte marine, une houle lente qui venait baigner des parois phosphorescentes et humides, un écho prolongé qui ne veut pas s'éteindre.. Un envahissement bienheureux dans tout son bassin, comme des particules agitées par des vents solaires, des zéphyrs tièdes qui agitaient les senteurs. Elle voyait tomber dans une surface immobile des ricochets de frissons et des risées lumineuses ondulaient follement. Elle eut l’impression de s’écouler, de ruisseler comme une glace fondue, de se répandre comme une marée solaire dans une nuit de lune, son ventre n’était plus qu’un lac volcanique et elle imaginait son sexe comme une cheminée libératrice. C’est là qu’elle s’entendit gémir et le murmure la réjouit. Ne pas avoir peur des vagues. Elle glissait dans un cocon tiède qui pétillait, une eau gazeuse qui l’emplissait et l’emportait vers des altitudes étoilées.

Elle ne comprenait même pas les images qui surgissaient. L’impression que ces flashs visuels venaient prolonger des émotions inconnues, comme s’il fallait que ces paroles insensées verbalisent des ressentis archaïques, comme si elle devait les penser pour ne pas se croire folle…

Non, là, maintenant, abandonnée dans la danse des vagues, elle n’était pas folle.

Mais elle l’avait sans doute été. Pendant très longtemps. Folle de se croire sage, apaisée, folle de se croire lucide, folle de se penser consciente.

De quoi avait-elle été consciente ?

Ni de la vie de son mari, ni de sa propre vie.

Peut-on être plus fou que ça ?

 

Rupture. Elle n’aurait pas dû se soumettre à toutes ces pensées fugaces. Comme si quelqu’un venait d’appuyer sur un interrupteur et que le courant ne passait plus.

 

Sat…

Cette voix si proche. Elle avait envie d’ouvrir les yeux et de lire dans son regard. Que pourrait-elle y voir ? Du désir, de la concentration, un détachement complet ? Que pensait-il de cette expérience ? Avait-il déjà entraîné d’autres femmes ici ? Leur avait-il proposé le même voyage intérieur ?

 

Elle se fustigea intérieurement puis s’accorda aussitôt un regard bienveillant. Accepter les errances. Respirer, calmement, respirer calmement. Ne pas laisser les pensées intrusives briser le lien…

Laisser les émotions s’étendre et les images se délivrer. Juste des images sensorielles, ne rien attendre du mental, ne pas se laisser emporter dans des élucubrations invalidantes.

 

Sat…

Elle ne savait plus où il était. Silence. Aucun contact.

Elle ouvrit les yeux.

Il était devant elle. À portée de bras…

« Quand j’ai fini, je laisse toujours les gens décider du moment où ils ouvriront les yeux, » murmura-t-il.

Elle aurait voulu parler mais les sons ne remontaient pas, comme si l’expérience les avait projetés dans un gouffre immense.

Elle décida de s’asseoir. En pliant les jambes, elle crut voir des étincelles.

« Non, je ne suis pas folle, lâcha-t-elle, la voix ténue et éraillée.

-Non, vous n’êtes pas folle, Maud, je vous assure. Ce que vous découvrez en ce moment relève d’un processus très puissant et vous n’avez aucun savoir, ni même aucune connaissance pour vous repérer dans cette dimension. Mais vous possédez malgré tout, et peut-être malgré vous, un potentiel gigantesque. 

-Pardon ? Que voulez-vous dire ? »

Il la regarda intensément et elle en eut peur. Un regard différent. Comme s’il cherchait quelque chose en elle, comme s’il voyait ce qu’elle ne connaissait pas.

« Qu’y a-t-il Sat. Répondez-moi s’il vous plaît. »

L’éclat de ses yeux noirs était moins aveuglant que son silence. Le ventre serré.

« Je ne sais pas, Maud. Je ne sais pas comment vous l’expliquer.

-Mais c’est quelque chose de grave ? Une maladie ?

-Non, Maud, absolument pas, n’ayez aucune inquiétude. C’est juste très troublant pour moi.

-Mais pourquoi ? »

Il tourna la tête vers la cascade.

Elle n’aima pas ce mouvement de tête. Comme une dérobade.

 

« Il y a en vous, Maud, une énergie spirituelle très puissante. Vraiment très puissante. »

Il la regarda de nouveau et elle en fut soulagée.

« Une énergie ? Quelle énergie ? C’est vrai que je me sens bien, physiquement. Mais il ne s’agit pas de ça je suppose.

-Non, Maud, c’est votre chakra couronne qui est très… Intense. Comme une barrière protectrice, un rempart, avec une épaisseur que je n’ai jamais ressentie auparavant.

-Le chakra couronne ?

-Vous connaissez le schéma des chakras, Maud ?

-Disons que j’en ai entendu parler mais je ne m’y suis jamais vraiment intéressée. Ce sont des zones de notre corps et elles symbolisent des énergies particulières. C’est ça ?

-C’est plus complexe que ça mais c’est effectivement lié à nos énergies. Nous avons sept chakras et ils ont chacun une fonction de régulation du comportement humain et de sa santé. Il faut imaginer un rayonnement magnétique matérialisé par des couleurs différentes et des passerelles de communication entre chaque zone. Votre chakra racine, votre chakra sacré et surtout votre chakra couronne dégagent un magnétisme très puissant mais autant, les deux premiers sont accessibles et lisibles, autant votre chakra couronne est hermétique. En fait, vos six chakras, de la base vers la tête sont très actifs, ils rayonnent considérablement, au point que j’avais l’impression que mes mains recevaient davantage d’énergie qu’elles n’en émettaient mais une fois au niveau de votre chakra couronne, le septième, j’ai ressenti des résistances inconnues, comme si je ne savais pas lire ce qui était inscrit.

-Expliquez-moi, Sat, les différentes symboliques de ces chakras que je comprenne un peu. C’est un peu perturbant de réaliser que vous lisez en moi des informations dont j’ignore la portée.

-Oui, je comprends Maud. Mais je vous assure qu’il n’y a rien d’intrusif dans mon intention. Je ne cherche pas à vous voler quoi que ce soit.

-Je n’en doute pas un seul instant, Sat. Mais j’aimerais tout de même comprendre pourquoi vous avez été aussi troublé. »

 

Il lui avait proposé de prendre le volant. Elle avait accepté. Nullement envie de se concentrer sur la route. Tellement de phrases qui se percutaient en elle, tellement d’interrogations qui tournaient en boucle. Toutes les paroles de Sat, toutes ses explications, ses développements, cette prise de conscience qu’elle portait en elle un monde dont elle ignorait l’essentiel, cette révélation qu’elle n’était qu’un ectoplasme vide au regard de ce qu’elle découvrait, que tous ses ancrages la clouaient au sol, l’empêchaient de s’envoler.

Elle l’avait questionné durant des heures. Il avait répondu sans rien rejeter mais elle gardait pourtant en elle l’impression qu’un mystère se tenait, là, à portée de mains, que tout n’avait pas été énoncé. Dans son ventre, entre ses seins, jusqu’au bout des mains, elle sentait vibrer des flux inconnus. Plus étrangement encore autour d’elle, dans une enveloppe qu’elle ne pouvait identifier, elle devinait une présence…

Il lui semblait que Sat avait déclenché une libération, l’effondrement d’une enceinte mais qu’elle était incapable de visualiser pleinement les horizons découverts, comme si sa vue était flouée, une myopie spirituelle, un manque de discernement, un voile sur sa conscience. Et simultanément, cette incompréhension nourrissait le rétablissement des zones sombres, l’enfoncement réactivé dans la boue épaisse des questions insolubles, des inquiétudes insoumises, un envasement auquel elle s’était toujours abandonnée et qui désormais la révoltait et l’enflammait. Une peur viscérale de cette fange. Depuis le départ de Laurent, elle ne goûtait plus son existence qu’à travers cette nausée des faiblesses acquises, cette habitude douceâtre de l’abandon, de l’incompréhension, de l’errance. Et là, elle découvrait subitement que cette nausée n’était rien qu’un avant-goût, juste un faible mouvement du rideau épais qui couvrait sa conscience, un infime dérangement alors qu’elle avait imaginé un cataclysme... Elle n’avait encore pas dévoilé l’essentiel. C’était intolérable et elle aurait voulu le crier.

Ce désir impérieux, brûlant, ce besoin vital, viscéral, cette impatience qui occupait toute la place, comme un nouveau-né réclamant son lait maternel, une bouche avide cherchant le téton nourricier.

Une faim insatiable, l’impression d’être délivrée d’un jeûne spirituel qu’elle n’avait même pas décidé, dont elle ignorait même le point initial. Depuis combien de temps s’était-elle perdue ?

« Sat, j’ai besoin de vos paroles, j’ai besoin d’apprendre, ça me brûle. Vous comprenez ? C’est comme si vous aviez allumé en moi un brasier qui ne doit plus s’éteindre. »

Elle avait croisé les bras sur sa poitrine. L’illusion d’un apaisement.

« Je vous ai dit tout ce que je savais, Maud. Tout ce que j’avais entraperçu du moins.

-Et bien, ça ne me suffit pas, Sat parce que les interrogations que ça soulève me deviennent insupportables. Vous vous rendez compte que ce que j’ai vécu tout à l’heure est totalement incompréhensible, totalement déraisonnable, comme si j’avais perdu la tête, comme si j’avais été emportée dans un délire.

-Non, Maud, je vous l’ai déjà dit. Il n’y a rien de fou là-dedans. C’est uniquement une autre dimension, un autre monde, loin de la réalité quotidienne. Ce que j’appelle le Réel, avec un R majuscule.

-Ce Réel, je veux le connaître, je veux l’explorer ou alors il ne fallait pas m’en donner un aperçu. Je vous rappelle que ce que j’ai ressenti ressemblait à un orgasme. Un orgasme asexué et je n’avais jamais imaginé que ça puisse exister.

-Bien sûr que ça existe, Maud. Ce qui est particulièrement étonnant dans votre cas, c’est que vous n’avez suivi aucune formation, aucune méthode pour y parvenir. Et ça n’est pas ce que j’ai pratiqué sur vous qui peut déclencher ça. En tout cas, je ne l’avais jamais vu.

-Rien que ça, c’est insupportable, Sat. Je devrais peut-être me contenter de ce bonheur mais je sens bien que ça serait un pur gâchis. Il faut que je comprenne, que je sache si c’est quelque chose que je possède, qui est en moi et que je peux retrouver ou si c’est quelque chose qui ne reviendra jamais. Vous comprenez, Sat. C’est comme un Croyant qui apercevrait Dieu, dans une vision éphémère, spontanée, fulgurante. Comment voulez-vous que je me contente de cette joie ? Là, maintenant, c’est un bonheur qui me ronge."

 

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