KUNDALINI (2)

 

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Elle roulait vers la vallée de l’Ubaye. Sophie, sa sœur lui avait parlé d’un centre naturiste qui lui plairait. Elle avait téléphoné pour réserver le bungalow de l’allée des oliviers, celui que sa sœur et son mari prenaient habituellement.

 

« Tu verras, c’est le plus éloigné, un silence parfait, aucun voisin, le bungalow est dans un angle du terrain, pas de vis-à-vis, la tranquillité comme tu aimes et une terrasse plein sud. »

 

 

 

Elle s’était laissé tenter. Elle avait besoin de cette coupure de l’été. Retrouver le soleil sur sa peau. Quitter la ville. Lyon lui était devenu insupportable. Depuis le départ de Laurent, elle s’était investie au-delà de tout dans sa salle de sport. Elle avait multiplié les cours de yoga, jusqu’à organiser des formations pendant les week-ends. Véronique et Sabine avait bien senti qu’elle avait besoin de s’étourdir…

 

« Tu sais, Maud, on voit bien que c’est difficile depuis le départ de ton mari. Fais attention à toi. Et tu sais qu’on est toujours là pour toi.»

 

Elles étaient toutes les deux comme des sœurs. Elle avait passé des dizaines de soirée chez l’une ou l’autre toute cette année. Elles étaient même parties ensemble un week-end à Amsterdam. Sur un coup de tête. Une virée entre copines. Les hommes à la maison.

 

Sauf le sien. 

 

 

 

Sa salle de sport. Véronique et Sabine n’aimaient pas ce terme. Elles disaient : salle de bien-être. Véronique s’occupait du fitness et Sabine des cours de hip hop et autres danses modernes. La réputation du lieu attirait désormais une clientèle nombreuse. Les abonnements à l’année n’avaient jamais atteint ce niveau.

 

 

 

Fermeture trois semaines. Véronique et Sabine partaient avec maris et enfants dans les Landes. Elle n’avait pas eu envie de passer son temps entourée du bonheur des familles.

 

Elle ne voyait quasiment plus son garçon. Tom avait vingt-cinq ans. Fils unique. Il était resté vivre en Nouvelle-Zélande… Impossible de trouver plus éloigné. Une rencontre pendant un échange universitaire. Une fille sportive, amoureuse de la nature. Comme lui. Il était revenu pendant quinze jours lorsqu’il avait appris la séparation du couple. Ses parents divorcés, son père homosexuel et millionnaire, une vie secrète, sa mère laissée seule l’année de ses cinquante-deux ans…

 

 

 

Elle n’aurait pas dû penser à son âge. Elle eut envie de pleurer. Des picotements dans les yeux. Cinquante-deux ans. Que pouvait-elle bien vivre désormais ? Qui donc pourrait-elle rencontrer ? Difficile de se caser quand on attaque la dernière ligne droite.

 

Elle secoua la tête nerveusement en se fustigeant intérieurement.

 

« Tu es trop pessimiste. S’il y a des femmes seules, il doit forcément y avoir également des hommes. Ou alors, c’est que le groupe humain est déséquilibré. Ou que certaines femmes se sont attribuées plusieurs hommes. Difficile à croire. Donc, il y a un homme quelque part pour moi. »

 

 

 

Elle ne se le cachait plus. La solitude lui était devenue très pénible, lourde, invalidante. Hors le travail, elle n’avait plus aucune activité. Ni même aucune envie. Comme s’il lui fallait inévitablement une personne pour la prendre en main. Le constat l’avait énervée.

 

 

 

Elle ne comptait plus les révélations qui lui avaient sauté à la figure depuis qu’elle vivait seule.

 

 

 

Des soirées entières, assise dans le fauteuil du salon. Les yeux dans le vide. Les pensées éteintes, les larmes vidées, épuisée par la colère.

 

Le silence la surprenait parfois. Elle était incapable de dire depuis combien de temps la musique ne diffusait plus ses notes. Comme si cette absence d’activité et ce repli sur elle-même l’isolait de tout… Elle se souvenait de ces moments de rappel à soi. Comme une inquiétude soudaine, intraduisible.

 

Dans quel gouffre silencieux tombait-elle ?

 

Elle avait eu peur une nuit. Un réveil en sursaut. Des images étranges, un rêve perturbant, un mélange de désir et de peur. Elle se souvenait d’un homme nu, le torse huilé, la pénombre, les flammes d’un feu de cheminée, l’impression qu’il ne s’agissait pas d’une maison.

 

La peur.

 

Dans quel gouffre sa solitude désespérée l’entraînait-elle ?

 

 

 

 

 

Véronique et Sabine étaient ses confidentes.

 

Laura, sa sœur, n’avait pas le temps pour ça. Elle était toujours disponible pour rendre un service, mais tout était toujours fait dans l’urgence et parler pendant des heures relevait pour elle d’un défi insurmontable.

 

Peut-être aussi que cette rupture, que cette vérité inconcevable l’effrayait et qu’elle imaginait que Ludovic, son mari, pourrait bien lui aussi mener une double vie.

 

 

 

Finalement, sa propre histoire était certainement celle de milliers de femmes. Un mari qui s’en va. Sauf qu’elle n’avait pour sa part aucune chance de le reconquérir un jour prochain. Il ne voulait pas d’une femme et se l’était interdit depuis vingt-cinq ans. Ou plus encore. Elle se souvenait des conquêtes de jeunesse, il lui avait raconté trois autres aventures amoureuses. Avec des femmes. Que s’était-il passé ? Était-ce déjà en lui, depuis son adolescence, était-ce apparu quand il avait commencé à vivre à ses côtés ? À la naissance de Tom ? Elle était devenue mère. Y avait-elle perdu sa féminité ? N’avait-il pas accepté le partage ? Elle n’avait pourtant jamais trouvé chez lui la moindre animosité envers Tom. Il s’était occupé de son fils avec attention.

 

Elle ne comprenait pas.

 

 

 

Elle avait pourtant récupéré son corps très rapidement après la grossesse. C’est Laurent qui n’avait plus voulu d’enfant.

 

« Il y a bien assez de monde sur cette planète. Pas la peine de la charger exagérément. Tom aura des copains et c’est bien suffisant. »

 

Il s’était montré convaincant, se servant de son amour pour son travail de professeur de yoga. Il avait su user de l’argument le plus puissant.

 

Elle avait acquiescé.

 

La maternité était véritablement incompatible avec son activité professionnelle. Elle ne pouvait se permettre d’abandonner sa salle.

 

Elle se l’était toujours interdit. Sauf pour Tom.

 

Son départ en Nouvelle-Zélande lui avait été très douloureux. Comme un rôle qui s’achève.

 

Elle venait de perdre le deuxième homme de sa vie.

 

Laurent.

 

Comment était-ce possible ?

 

Tellement de questions.

 

 

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