KUNDALINI (11).

Onanisme2

 

L’Indien était debout, face à elle. Elle se voyait dans ses regards. Des lumières qui tremblaient et diffusaient des parfums de clarté éphémères. Elle sentait dans son corps des frissons tièdes, des caresses intérieures, des aurores de désirs. Une bulle d’amour qui les enveloppait, un cristal lumineux, comme au cœur d’une étoile cotonneuse.

Les cheveux noirs de l’Indien tombaient sur ses épaules. Des muscles saillants aussi tendus que sa verge. Son ventre portait des reliefs figés de vagues, des sangles noueuses comme des cordes étirées. Ses jambes le soutenaient avec l’assise des montagnes. Des coulées d’huile scintillantes amplifiaient les reliefs.

C’est elle qui initia l’invitation, les bras ouverts, les mains tendues, les seins érigés, le dos cambré. L’Indien avança lentement. Il buvait son corps comme on déguste un sirop de miel. L’éclat jaune de ses yeux fouillait en elle. Elle sentait déjà son sexe, une lumière qui irradiait dans son ventre et se répandait comme une vague, une reptation de serpent autour de sa colonne, la pression de ses mains sur sa poitrine et sur ses fesses, des caresses fougueuses qui l’enflammaient.

Elle vit sur le sol des pierres rondes couvertes de dessins.

 

Elle ouvrit les yeux comme on repousse des volets. Des nuées laiteuses de lune pâle embaumaient la chambre. Elle sentit sur ses doigts l’humidité chaude de son sexe. Les mains en coquille sur sa vulve, le bout des doigts légèrement glissés entre les plis luisants des lèvres. Les tétons gorgés.

Une sidération délicieuse, l’envie de rester immobile et de ne rien perdre de cette extase.

Comment était-ce possible ? Jamais, elle n’avait connu de rêves érotiques, jamais elle ne s’était réveillée dans un tel état.

L’Indien.

Un manque épouvantable, comme une déchirure, comme si l’étreinte perdue s’était changée en torture. Ce désir d’être comblée, d’être emplie, de s’abandonner. Et soudainement, ce vide effroyable.

Cette impression étrange qu’elle était l’initiatrice. Que l’Indien apprenait, qu’il était à son écoute.

Pourquoi est-ce que tout s’arrêtait ainsi ? Pourquoi ne pouvait-elle voyager plus loin ? Il l’avait déjà pénétrée et elle rêvait de le revivre.

Qu’avait-elle vu juste avant de se réveiller ? Elle ne savait plus. Et déjà s’effaçaient des détails, des sensations, comme des ondes circulaires sur une surface liquide, ces risées qui s’effacent lorsque le calme revient. Elle imaginait le rêve réintégrer les profondeurs du lac.

Elle ouvrit légèrement les cuisses et libéra ses mains. Avec un soupir de dépit.

 

Elle n’avait jamais rêvé de Romain. Ni de Laurent, ni d’aucun homme. Jamais au point de s’en souvenir. Elle avait pourtant bien eu quelques fantasmes d’étreintes, des scénarios qui lui plaisaient. Elle n’en avait jamais parlé. Ou si peut-être mais sans que rien ne se produise. Elle ne savait plus. Sinon que ses rêves n’étaient pas ceux de Laurent…

Et de réaliser qu’autant de souvenirs avaient déjà disparu, elle sentit monter une vague de honte, comme si elle-même s’étiolait dans le puits sombre de la mémoire, comme si cette femme trompée n’avait plus aucune raison d’être.

Elle se leva. Un verre d’eau fraîche, manger une pomme. Sentir son corps pour réintégrer le réel.

Le réel.

Vivait-elle dans la réalité ou dans une interprétation constante ? Vivait-elle dans une illusion quotidienne ? Et ce rêve exprimait-il une réalité vécue ou des fantasmes inconnus ?

Le chaos des questions reprenait la main.

Elle était venue se reposer, retrouver la paix intérieure. Elle n’imaginait pas s’être trompée. Peut-être que cette paix qu’elle envisageait n’était qu’une illusion supplémentaire, un refuge carcéral enluminé de belles images collées sur les murs.

Peut-être que l’obtention de la paix passait par l’élimination définitive des carapaces, l’acceptation intégrale des ressentis les plus irrationnels, l’accueil bienveillant des intuitions, de l’abandon, de l’acceptation.

Qui était-elle ?

 

Jamais, elle ne s’était posé cette question.

 

 

Elle sortit sur la terrasse et contempla le ciel. Bleu d’océan, aucun nuage, aucune brise, rien. La lumière s’étendait sur les horizons immobiles. Elle imagina un nouveau-né contre les seins de sa mère, repu, protégé, aimé, câliné… Nous étions tous des nouveau-nés, à chaque lever du jour.

Sat.

Elle allait le retrouver. L’échéance l’électrisa et elle accueillit les frissons avec un délice prolongé, comme si soudainement tout l’amour du monde coulait en elle, comme si cette paix qui l’environnait la nourrissait d’une euphorie joyeuse et libre.

Le réel. Qu’était-ce donc sinon l’accumulation de nos connaissances. Mais de quelles connaissances s’agissait-il ? Celles qui offrent le bonheur d’être ce que nous pouvons devenir ou celles qui consistent à entasser ce que nous avons perdu de nous-mêmes ?

Ce goût pénible de nourritures industrielles ingurgitées sans aucune conscience alors que la paix du monde et l’amour qu’il dispense représentaient le calice inépuisable de l’unité.

D’où venaient ces questions ? Comme un puits vertical qui s’élançait vers le haut, un canal qui l’absorbait et l’emportait dans des cieux inexplorés.

 

Dans quelle dimension était-elle donc entrée ? Et comment prolonger un cheminement quand on a l’impression de ne pas savoir marcher ?

 

 

6h17.

Elle se prépara un café et une salade de fruits frais.

Elle se surprit plusieurs fois à sourire, sans aucune raison directe, juste ce saisissement spontané de la joie et de l’impatience.  

 

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Commentaires

  • Darinah
    Magnifique...j'ai lu tous les extraits de "Kundalini" postés sur votre blog, j'aime beaucoup, j'apprécie l'intensité et vérité qui s'y dégage. Cela me parle et résonne.

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