L'école et le loisir de penser

 

L'école ou le loisir de penser

 

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  • Yvan Droumaguet, agrégé de philosophie, participant aux ateliers de la Société bretonne de philosophie et auteur aux Editions Apogée
    Yvan Droumaguet, agrégé de philosophie, participant aux ateliers de la Société bretonne de philosophie et auteur aux Editions Apogée | DR

Yvan Droumaguet (1)

Écrire sur l'école en pleine période de vacances paraîtra peut-être intempestif et davantage encore en défendant l'école comme loisir. Ce retour au sens originaire grec du mot, celui du loisir d'étudier que seul motive le désir de s'instruire, n'est-ce pas en effet la nostalgie d'un temps à jamais disparu ?

Au moment où les résultats du baccalauréat montraient un nouveau record du pourcentage de reçus, à la satisfaction des autorités qui voient là sans plus s'interroger un signe de réussite, je relisais quelques-uns des articles de Jacques Muglioni, doyen de l'Inspection générale de philosophie de 1971 à 1983, précisément regroupés sous ce titre : L'école ou le loisir de penser(2).

Que nous disait-il ? D'abord, que la plus grande des menaces pour l'école était qu'elle perde son sens. L'art d'enseigner, c'est-à-dire d'éveiller la pensée et de la guider sur les chemins du savoir, a laissé la place à des procédures techniques, à l'application de consignes produisant des comportements pouvant faire l'objet de contrôles. Certes, il est utile d'acquérir des compétences, mais on perd l'essentiel quand l'enseignement ne vise plus à développer l'humain en l'enfant, ce qui est proprement l'élever.

Élever à l'humanité n'est pas adapter à la société telle qu'elle est, mais permettre de devenir un sujet autonome capable de penser et d'agir dans un avenir que nul ne connaît ni ne peut prévoir. Se servir de sa propre raison, être responsable de ses pensées et de ses actes, à cela se résumait la devise des Lumières. Cela s'appelle la liberté et donne à l'acte d'enseigner son sens et son unité.

Une école qui libère

La liberté est tout entière dans cet effort de penser sans lequel les connaissances se dégradent en informations et les valeurs en préjugés. Il n'est pas de savoir sans réflexion. Je ne connais que ce que je fais l'effort de penser.

Dans un monde complexe et dangereux, nous avons grand besoin de cette éducation à la liberté. Loin de se confondre avec la spontanéité des désirs, la liberté s'acquiert par l'apprentissage de la réflexion, ce qui signifie d'abord prendre de la distance à l'égard de nos émotions et de nos croyances. Nos certitudes et nos valeurs ont elles-mêmes besoin d'être pensées, mises en question si nous voulons éviter l'enfermement qui mène au rejet de l'autre et au fanatisme. C'est là le rôle d'une école qui libère et élève.

Retrouver le lien essentiel de l'école à la liberté, c'est aussi redonner à la culture son véritable sens. La culture est cette construction de soi toujours inachevée qui exige une réflexion sur les croyances, habitudes et valeurs reçues afin de ne pas leur être asservis. Ne pas être enfermé dans une culture particulière, ce n'est pas la rejeter. C'est en comprendre le sens et pouvoir en juger librement, ce qui exige de s'ouvrir à l'universel, particulièrement par l'étude des grandes œuvres du passé.

Enfin, si nul ne doit être empêché de s'instruire, ce qui est le sens vrai de l'égalité de l'école, cette égalité devant l'instruction n'est pas égalité des élèves en lettres ou en mathématiques, comme le disait justement Jacques Muglioni. Contre la dégradation de l'égalité en égalitarisme, il faut dire que l'égalité des conditions et des chances n'est pas celle des intelligences ni des talents.

Oui, ces considérations sont bien intempestives au regard de l'évolution de l'enseignement depuis des décennies. Mais sans éducation à la réflexion, sans relation à l'universel de la vérité, sans ce que l'on nomme de ce beau mot d'humanités, l'école peut-elle encore être libératrice ?

(1) Yvan Droumaguet, agrégé de philosophie.

(2) Jacques Muglioni, L'école ou le loisir de penser, CNDP, Paris 1 993.

 

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