L'entraide

Quand les temps deviennent difficiles, une seule solution : l’entraide

22 novembre 2017 / Pablo Servigne et Gauthier Chapelle 
 

    
 

Quand les temps deviennent difficiles, une seule solution : l'entraide

Les temps à venir s’annoncent difficiles. Pour y faire face, les auteurs de cette tribune rappellent que les êtres humains ne sont jamais aussi forts que quand il font preuve du sens de l’entraide plutôt que de la compétition.

Pablo Servigne est coauteur de Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes (Seuil, 2015). Gauthier Chapelle est coauteur de Le vivant comme modèle (Albin Michel, 2015). Ensemble, ils viennent de publier l’Entraide, l’autre loi de la jungle (les Liens qui libèrent).


Les tempêtes arrivent, difficile de nier l’évidence. Climat, ressources, inégalités, migrations, etc. C’est bien parti pour durer, et tout va en s’accélérant. Mais comment se préparer ? Quelle posture adopter ? Pour nous qui vivons « hors-sol », dans les villes ou à la campagne, dans un confort matériel qui donne pour l’instant un sentiment d’invulnérabilité, la question est abstraite.

Elle est cependant tout à fait concrète pour les populations dont les conditions d’existence ne permettent plus de s’enraciner décemment quelque part. En cela, la dernière analyse de Bruno Latour [1] est pertinente : nous sommes autant « hors-sol » que beaucoup de migrants… Mais comment faire pour habiter à nouveau le système-Terre ensemble ? Comment atterrir ?

Bien sûr, il y a la petite recette « classique » : trouver un lieu à la campagne, faire un potager, apprendre les plantes médicinales, le bois ou la couture, s’organiser avec des voisins, etc. C’est bien, c’est même vital, mais est-ce réellement suffisant à l’échelle d’une société ? Combien de personnes peuvent envisager de vivre ce petit « atterrissage » ? Le retour sur Terre se heurte à des limites…

Il y a la question des limites matérielles, les pénuries de ressources, de matériaux et d’énergie. Sur ce point, la caractéristique de l’espèce humaine est justement d’avoir jusqu’à présent remarquablement bien fait face aux pénuries. Nous, le petit singe imberbe et immature (à la naissance), incroyablement vulnérable, avons colonisé l’ensemble du globe (et même au-delà) avec une puissance époustouflante.

Un milieu d’abondance fait émerger la compétition ; un milieu pauvre et hostile fait émerger l’entraide 

Ce sont précisément les contraintes qui ont fait de nous l’espèce la plus coopérative du monde vivant. C’est notre vulnérabilité qui nous a rendus forts, qui nous a obligés à prendre soin des autres, à nous réunir en clans, à faire coopérer les mâles (en réduisant leur agressivité, ce qui est rare chez les primates), à profiter de la présence des grand-mères, à former des familles élargies soudées par des normes sociales de forte réciprocité. L’entraide est profondément ancrée en nous. Nous sommes une espèce ultrasociale.

À cela, il faut ajouter la révolution cognitive (il y a 70.000 ans), quand nous sommes partis dans notre tête, nos mythes, nos récits, nos histoires… qui s’accumulent depuis des siècles pour former la culture, les cultures.

En bref, un solide sens de l’entraide et une agrégation culturelle d’intelligence, voilà les deux clés pour bien gérer d’éventuelles pénuries. Nous savons le faire depuis des milliers d’années. Nous possédons les capacités de faire émerger l’abondance lorsque les limites du milieu se font sentir.

Sauf que cette fois, non seulement toutes les limites arrivent simultanément et rapidement, non seulement nous avons gravement déstabilisé les équilibres du système-Terre nécessaires à la création d’abondance, mais la possibilité même d’entraide semble nous filer entre les doigts !

Avant d’aller plus loin, il faut se rendre compte que la courte et extraordinaire période d’abondance que nous venons de vivre depuis la révolution industrielle — grâce aux énergies fossiles — a fait émerger une solide culture de l’égoïsme. Logique : c’est parce que nous sommes infiniment riches que nous pouvons nous permettre le luxe de dire à notre voisin : « Je n’ai pas besoin de toi, je peux vivre seul. » Il en va de même dans le monde vivant, des bactéries aux arbres, en passant par les animaux. Un milieu d’abondance fait émerger la compétition ; un milieu pauvre et hostile fait émerger l’entraide.

La question des limites imaginaires 

Le vrai problème n’est donc pas la pénurie, l’être humain sait assez bien gérer cela. Le vrai problème est d’arriver de plein fouet dans un monde de pénurie avec une culture de l’égoïsme. C’est précisément cette culture qu’il faut désamorcer au plus vite, afin de réduire le chaos social.

Et si nous nous mettions à raconter la grande histoire de l’entraide ? Telle qu’elle s’est déployée depuis la nuit des temps, des bactéries il y a trois milliards d’années à nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, en passant par les millions de symbioses entre plantes et champignons, bactéries et insectes, anémones de mer et algues unicellulaires, fourmis et pucerons, etc. Bref, la « symbiodiversité » dans toute sa splendeur…

Les biologistes redécouvrent aujourd’hui que les organismes qui survivent le mieux ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus. Pendant les tempêtes, ce seront donc les groupes les plus coopératifs, les plus soudés, les plus organisés, qui s’en sortiront le mieux. Mais arriverons-nous à y croire à temps ?

Il y a donc, en plus des limites matérielles, la question des limites imaginaires. Le front de lutte de ces prochaines années se situera assurément sur le plan des récits et du storytelling. Sortons vite du mythe de la compétition ! Pour cela, pas d’autre choix que de se raconter d’autres histoires, partout, à l’école, dans les universités (et les business schools !), dans les cinémas, dans les conversations.

Continuer à rabâcher que la compétition est l’unique loi de la jungle et que l’être humain est naturellement égoïste est non seulement inexact, mais n’a aucun intérêt sinon celui de justifier soit un ordre social inique et toxique, soit sa propre paresse, pour ne pas dire lâcheté. Affronter les tempêtes et apprendre à aller vers les autres demande du courage, des efforts, de la patience et des compétences. Mais c’est probablement le seul chemin pour remettre les pieds sur Terre.



 


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[1] Latour, B. Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, la Découverte, 2017.

 


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