L'espérance

Comme tous les dimanches matins, je descends chercher les croissants pour le réveil de la famille. L'auto-radio est déréglé et je lance la recherche des ondes. Je tombe sur une radio d'obédience catholique ":Espérance".

J'écoute le chroniqueur. Il parle de l'espoir et de la détermination. "Le monde va mal mais l'espoir de le changer vient nourrir la détermination de nos actes."

Bien.

C'est un projet fort honorable mais il faudrait observer les effets réels de l'espérance. J'en ai déjà maintes et maintes fois parlé.

Je prends un exemple. J'ai envoyé mon premier manuscrit à un éditeur, il y a 26 ans. J'espérais être édité, bien entendu.

25 ans plus tard, je viens de terminer, hier soir, l'écriture de mon dixième roman.

Deux sont publiés et inconnus.

Un troisième existe en version numérique et n'est pas plus connu que les deux autres.

Quant aux autres, je ne les adresse même plus aux éditeurs.

Alors, qu'est-ce qui vient nourrir ce désir d'écrire encore ?

Certainement pas l'espérance.

Et même, bien au contraire, c'est parce que cette espérance s'est peu à peu effacée que ma détermination est restée intacte. Bien sûr que je serais satisfait si un éditeur venait à prendre l'ensemble de mes textes et cherchait à les faire connaître, je ne vais pas dire le contraire. Mais ça n'est PLUS la raison première de mes écrits.

Je pense que l'espérance est une illusion et qu'elle affecte négativement la détermination car dans l'espérance, il y a une attente et lorsque cette attente se prolonge au-delà des projections envisagées, elle devient un fardeau, un étouffoir, elle devient une "désespérance", une désillusion, une détresse.

En fait, je conçois la création littéraire, dans mon cas, comme un phénomène aussi incontrôlable que la faim. Je n'ai aucun espoir d'avoir faim. J'ai faim et c'est tout. Et je sais quelles sont les actions à conduire pour que cette faim soit calmée. Il n'y a aucune autre intention. C'est un phénomène naturel et son assouvissement une nécessité.  Bien entendu, je peux apporter une attention réelle à la qualité de mes aliments étant donné que cette nourriture apportera à mon organisme l'énergie nécessaire. Mais le fait même d'avoir faim reste malgré tout totalement indépendant de ma volonté.

J'écris de la même façon parce que j'ai faim d'écriture.

Je travaille dès lors à la qualité de mon écriture parce qu'elle nourrit mon âme et l'entraîne dans des efforts constructifs, l'exploration et l'exploitation d'un potentiel que je n'ai pas le droit d'ignorer. Comme je n'ai pas le droit d'ignorer le corps où je vis.

J'écris sans aucune espérance et si l'imaginaire m'entraîne parfois dans des extrapolations de contrats d'édition, je sais que ça n'est qu'une dérive provisoire, comme une ritournelle enfantine qui s'enclenche mécaniquement. Je l'observe, j'écoute sa musique et je m'en amuse mais elle ne nourrit pas ma faim.

Et d'ailleurs, imaginons que je décide de me nourrir, physiquement, d'espérance...La mort serait au bout du chemin.

Si je décidais de nourrir mon âme d'espérance, j'en mourrais tout autant.

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