L'illusion de la matière

Il avait dix ans.

Un séjour dans la montagne avec Izel.

 

Il était allongé sur une natte, à même le sol, près d’un foyer. Son père était là, il alimentait le feu de temps en temps et parlait doucement. L’enfant devinait dans le reflet des flammes, les yeux étroits de son père, ce regard aiguisé comme celui des grands rapaces. La voix coulait en lui comme du miel. Il ne se souvenait pas du lait maternel mais la voix de son père l’avait nourri tout autant. Des nourritures spirituelles qui l’avaient grandi, insensiblement, patiemment, sans aucune volonté de transformation mais un simple accompagnement.  

 

« Tu ne choisis pas ton existence Kalén. La vie l’a déjà fait pour toi. Le libre arbitre de chaque humain consiste à être suffisamment lucide pour saisir cette voie d’éveil et de progrès. Ecoute ton âme, c’est là que se trouve le secret. »

 

Izel avait déposé dans les braises une branche de résineux. Les crépitements d’aiguilles avaient retenti dans le silence, des myriades d’étoiles avaient jailli. L’enfant, captivé, avait suivi des yeux le ballet des flammèches. Quand la nuit avait repris son pouvoir, il avait juste eu le temps de voir s’envoler une chauve-souris. Elle avait virevolté au-dessus de lui, il avait vu ses yeux d’aigle. Puis elle avait disparu.

Izel le regardait en souriant.

 

Des paroles comme des nourritures de l’âme.

Il avait quatorze ans. Au bord du bassin, au pied de la chute d’eau. Izel lui enseignait le voyage de l’eau.

 

« Notre corps est composé de matière mais nos pensées et nos émotions contiennent l’énergie qui permet à la matière de se condenser. Les hommes imaginent que la matière est à l’origine de la vie spirituelle des êtres humains, que la matérialisation des corps est prioritaire et que les phénomènes intérieurs suivront. Ils réfléchissent à l’envers. Il faut que l’Energie se condense pour que la matière prenne forme. Il n’y aurait pas de nuages sans la condensation de la vapeur mais il n’y aurait même pas de vapeur sans l’Energie qui la transforme. Nous sommes comme des nuages constitués de pensées. La pensée n’est même pas l’élément déclencheur. Elle n’est que la résultante de l’émotion originelle et nos émotions sont les passerelles entre la pensée et le corps. Les plus primaires sont liées au corps physique et émanent de lui comme la peur ou l’euphorie alors que les plus subtiles sont liées à l'esprit, comme la générosité ou l’empathie. Plus les émotions sont subtiles, plus elles gagnent en valeurs universelles, plus elles mènent les individus vers l’accomplissement de l’existence.

-Quelle est cette émotion originelle qui déclenche la matérialisation ?

-L’Amour, Kalén.

-Mais si le saisissement de l’Amour permet à une âme de se matérialiser, comment expliquer que certains êtres humains dévient de cette voie de sagesse et de plénitude pour sombrer dans les émotions les plus viles ?

-Par paresse et par lâcheté, mon fils. L’élévation des âmes est un cheminement bien plus exigeant que l’exploitation des émotions primitives. Ceux-là quittent la Conscience pour errer dans le mental et s’y complaire. Ils ne sont plus reliés avec l’Energie. Ils fonctionnent comme des entités individuelles.

-La matière n’est qu’une illusion alors ?  

-Non, elle existe bel et bien mais elle n’est qu’une conséquence, pas une cause.

Il ne pleut pas parce qu’il y a des nuages mais parce qu’il y a eu condensation de la vapeur et avant cela transformation de la vapeur et avant cela constitution de l’eau et avant cela fusion des constituants. Il faut tenter de remonter à l’origine des choses et de comprendre qu’avant les choses, il y avait l’Energie.

-L’illusion est de penser la matière comme une finalité, c’est cela Père ?

-Oui, Kalén, la finalité est dans la cause. Ce qui est visible n’est que l’illusion si tu considères cette matière condensée comme un élément fini. Celui qui parvient à retourner en lui à cette Energie dont il est né et devenir comme s’il était sans forme, celui-là existe réellement. Le reste n’est qu’illusion.   

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