L'intention et l'espoir. (spiritualité)

"Quand tu auras désappris à espérer, je t'apprendrai à vouloir."

Sénèque.

 

Je suis allé chercher dans mes archives ce que j'avais pu écrire sur l'espoir, le désespoir et tout ce qui gravite autour.

Je me suis aperçu qu'il manquait l'intention.

J'avais fait un exposé sur la passion quand j'étais au lycée, en terminale philo et l'espoir est une notion fréquemment rencontrée dans ce domaine. Il s'agissait bien entendu pour ma part d'une réflexion sur les alpinistes et cette force qui les pousse vers les plus hauts sommets. Walter Bonatti, dans son livre "A mes montagnes", parlait de l'espoir et disait qu'il était un ennemi redoutable qui le privait de sa lucidité, de l'exploitation de son potentiel physique parce que cet espoir le projetait dans une illusion qui ne le nourrissait que de pensées et non d'actes. Il escaladait un pilier par une nouvelle voie dans Les Drus, en solo...Il revenait d'une expédition sur le K2, une expérience destructrice d'un point de vue humain, une trahison qui avait failli lui coûter la vie. Chaque jour, sur ce pilier, engagé dans une ascension extrêmement périlleuse, il avait abandonné toute forme d'espoir et avait découvert alors que ses forces morales et physiques redoublaient, que rien ne l'arrêtait parce qu'il n'avait aucune autre intention que le franchissement du passage dans lequel il se trouvait. Rien d'autre, l'exploitation pleine et entière de sa volonté, libérée de tout espoir. Cette énergie intime se retrouvait dès lors totalement accessible, sans aucune interférence.   

Il avait désappris l'espoir et avait découvert la puissance de la volonté.

"Un état de grâce."

http://www.dailymotion.com/video/x7e664_walter-bonatti-au-pilier-des-drus-c_sport

 

On peut s'interroger également sur la finalité de l'espoir chez les individus qui s'en servent. Ou se soumettent à lui. Puisque l'espoir est à l'antipode de la volonté et non pas à son service, comme les conditionnements nous l'assènent continuellement, il est raisonnable de conclure que cet espoir est une certaine forme de résignation, un abandon dans l'illusion, le refus de la réalité et le refuge auprès du "doudou" du petit enfant. Il n'y a aucune action dans l'espoir et même si celui-ci génère finalement un acte quelconque, celui-ci sera perturbé par la pensée inhérente à cet espoir. Un filtre qui retient les énergies disponibles, un canal de dérivation. Celui qui affirme "vivre d'espoir" court le risque de ne pas vivre sitôt que l'espoir s'affaiblit, sa situation en devient dès lors désespérée alors qu'il cherchait dans l'espoir un renfort aux conditions d'existence. Espoir-désespoir, sont les deux plateaux d'une même balance.

"Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir."

Même cette expression courue contient une contradiction phénoménale. Dans la vie, il doit y avoir une volonté et en même temps une acceptation, un équilibre entre l’acte à mener et la réalité de l’instant et des conditions de vie.

L'espoir, quant à lui, n'est pas adossé à la vie, il est projeté en dehors de la vie, dans un temps à venir qui n'a aucune existence, un futur qui n'est qu'une extrapolation cérébrale, notre malheureuse capacité à nous extraire de l'instant présent, ce cadeau empoisonné, ce don divinatoire que nous ne maîtrisons pas, qui nous illusionne quand nous voudrions qu'il soit la réalité à venir.     

Tant qu'il y a de la vie, il y a une volonté. Celle de la vie qui est toujours là. S'abandonner à l'espoir revient à nier la vie, à lui jeter à la figure notre mécontentement, notre colère, notre dégoût, notre rejet. L'espoir signifie, "je vais aller voir plus loin, ça ira mieux là-bas" mais la vie, elle, est toujours là et rien de cet espoir ne la guérit de ses rudesses. La volonté peut y parvenir quand il s'agit d'une action à mener et qui est à notre mesure.

 

"Ils ne savaient pas que c'était impossible, c'est pour ça qu'ils l'ont fait."

Mark Twain.

Même là, il ne s'agissait pas d'espoir. Mais d'une lutte constante. Dans l'instant réel de la vie immédiate. Peut-être même qu'en étant dans l'ignorance, il a été impossible de concevoir un espoir, par manque de repères, aucune donnée, il ne restait que le saisissement de l'instant, l'action elle-même.  

Le désespoir n'est que le prolongement destructeur d'un esprit qui ne vit pas mais qui a le projet de vivre. Le contrecoup de l'égarement prolongé dans les miasmes hallucinogènes de l'espoir.  

Un mot si exploité, tant de gens qui s'y perdent.

Je sais quel est le danger. Lorsque j'étais cloué au lit, j'espérais que ça allait s'arrêter, que ça allait finir par me lâcher, que j'allais m'en sortir, je vivais dans cette projection incessante d'un avenir meilleur, un espoir aussi puissant que la douleur qui me dévorait.

Ca ne servait à rien.

C'était un piège étant donné que ces pensées se tournaient vers une illusion temporelle et me coupait de la réalité. Bien sûr que cette réalité était une véritable torture mais en quoi cette fuite en avant pouvait-elle m'aider ? C'était absurde tout comme est absurde l'espoir lui-même.

Dans mon cas, l'espoir occupait une place immense, occasionnait une dépense d'énergie constante. Rien n'en survenait étant donné qu'il ne s'agissait que de pensées infantiles. C'est comme attendre l'arrivée du Père Noël...

Ce temps écoulé ne reviendrait plus, il avait tout bonnement été gaspillé.

L'espoir est un gaspillage monumental de temps et d'énergie. Si encore il permettait d'y trouver un certain apaisement mais c'est loin d'être le cas.

Imaginons que cet espoir fasse monter l'individu sur une pente, plus l'espoir est intense, plus la pente s'allonge, c'est un sommet inaccessible étant donné qu'il est fabriqué par la pensée. C'est Sisyphe qui pousse son rocher et qui espère atteindre le sommet perdu dans ses pensées. Il viendra immanquablement un moment où les pensées s'épuiseront, c'est un phénomène naturel, d'autres priorités prendront la place, l'espoir s'essoufflera et Sisyphe lâchera son effort sur le rocher. La masse libérée l'entraînera dans une chute proportionnelle à l'altitude que l'espoir lui aura fait atteindre...Il vaut bien mieux dès lors lâcher pied le plus rapidement possible. Il ne faut surtout pas s'entêter par orgueil dans son espoir. C'est encore une fois un problème éducatif, un formatage, un conditionnement de société : famille, école, travail, couple, enfants, les situations s'enchaînent et nous projettent dans la tentation de l'espoir.

"J'espère qu'il fera beau demain."

Un phénomène sur lequel nous n’avons strictement aucune influence.

"J'espère qu’il viendra au rendez-vous."

Ce qui importe dans la réalité, c’est que moi j’y sois étant donné que c’est une réalité qui me concerne, sur laquelle j’ai une réelle emprise.

"J'espère que j'aurai une bonne note."

Ce qui importe, c’est d’avoir fait ce qu’il fallait pour l’obtenir. Le reste dépend de la subjectivité du correcteur…

"J'espère que j'aurai une prime."

Même chose sauf que c’est un patron…

"J'espère que j'aurai les numéros gagnants du loto." Totalement absurde.

 

« J’espère que mes efforts seront récompensés. »

Dans ce cas là, on peut au moins reconnaître qu’il y a eu un travail, une emprise sur le réel. Mais le danger vient du fait que cette projection liée à l’espoir est encore une fois une dépense d’énergie inutile, une déviation des pensées qui ne seront pas au service du travail mais perdues dans l’irréalité. On en revient donc bien toujours à cette notion de gaspillage. L’essentiel, dans un projet, n’est pas l’espoir mais le saisissement complet de l’énergie et de l’instant. Il s’agit de rester conscient, lucide, vigilant, opiniâtre, déterminé. L’espoir n’a rien à faire là.  C’est comme une aimantation qui a pour effet d’extraire de l’individu l’énergie dont il dispose, un champ magnétique qui perturbe les forces disponibles. Il faut imaginer des paillettes d'énergie qui sont volées par l'espoir, qui vont se coller contre cet aimant puissant qui les attire.

 

Lorsque j’espérais retrouver mon intégrité physique, je me perdais dans un espace chaotique, les pensées fébriles de celui qui souffre et voudrait qu’une bonne fée passe par là et d’un coup de baguette magique règle le problème. Toutes ces pensées sont des ferments de la douleur étant donné qu’elles n’aboutissent à rien de positif et finissent par s’effacer d’un coup, accentuant encore les effets destructeurs de la souffrance. C’est comme un paravent derrière lequel s’entasseraient des marées de douleurs. Il y aura forcément une déchirure à un moment et le flot libéré emportera tout sur son passage. Ca n’est pas la douleur qui est responsable de cet effet paroxystique mais bien l’espoir qui a fabriqué artificiellement ce condensé de violence.

Dans le phénomène des pensées, l’espoir est un traître infatigable et à l'imagination débordante. Il suffit qu’une fois dans l’existence de l’individu, un projet aboutisse et qu’il ait été accompagné durant sa réalisation par un espoir flamboyant pour que le conditionnement s’installe. La lucidité a été balayée par cette « réussite » et l’individu s’imagine que cette euphorie durable qui l’a nourri au fil de ses pensées est une nécessité à reproduire systématiquement.

Si par contre, le projet n’aboutit pas, l’individu refusera d’étudier en profondeur le mécanisme des pensées et mettra cette issue défavorable sur le compte de la malchance. La déception renforcée par l’illusion détruite sera bien plus puissante mais le refus de l’analyse entretiendra le dispositif. La prochaine fois, l’espoir redeviendra l’étendard dressé. 

 

Lorsqu’un enfant s’entend dire qu’il est assez grand pour laisser son « doudou » et qu’il voit ses parents nourrir l’espoir qu’il soit un bon élève, qu’il apprenne un métier, qu’il s’installe dans la vie sociale, qu’il fasse un beau mariage, qu’il réussisse sa carrière, il pourrait demander à ses parents de laisser tomber leur propre « doudou » mais il entre au contraire dans ce fonctionnement pervers…Il se construit sur l’espoir transmis par ses tuteurs….Vaste supercherie. Le conditionnement est installé. C’est une pression dont il se retrouve encombré, alourdi, une mission à tenir. La déception éventuelle des parents sera à la mesure de leur espoir et la rupture viendra dès lors d’une incapacité à rester dans le réel. Tout le monde en souffrira. Comme une trahison alors que rien dans la réalité n’imposait cela. C’est le phénomène insoumis des pensées qui est le seul responsable. Si pour l’aîné, l’issue correspond aux espoirs infantiles des parents, c’est le deuxième enfant qui aura à subir une pression supplémentaire.

« Regarde ton frère comme il a réussi ! Il a comblé tous nos espoirs ! Tu pourrais en faire autant tout de même… »

L’espoir qui devient une arme de destruction massive. La masse spirituelle de l’individu brisé.

Lorsque j’étais cloué dans mon lit, j’ai toujours gardé espoir. Et j’ai entretenu jusqu’au bout l’illusion d’une issue favorable. Ces pensées m’ont maintenu enfermé dans un cloaque carcéral, des sables mouvants qui m’étouffaient. Aucune analyse réelle, aucune conscience de ce qui m’avait conduit là, c’était juste une malchance effroyable et ça ne pouvait pas durer. La médecine allait me sauver, il y avait forcément quelqu’un d’extérieur à mon histoire qui pouvait comprendre…Effroyable présence du « doudou » qu’on refuse de lâcher tout au long de notre vie. Pour certains, ce « doudou » s’appelle Dieu et il est serré férocement et reçoit en alternance les prières ou les reproches. Il a fallu que je tombe encore plus bas, jusqu’à perdre toutes pensées, tout espoir, toute illusion, comme si cette mort interminable devait finir par broyer le Moi, son ego, la citadelle des formatages.

 

 

Il a fallu que je sombre totalement dans la douleur physique, dans le délabrement moral pour que le mécanisme vole en éclat. Il a fallu que le goût de la mort devienne l’ultime espoir pour que je prenne conscience du mécanisme. C’est là qu’Hélène est apparue. Elle a fini d’ouvrir les portes, elle m’a permis de franchir le seuil.

L’énergie vitale n’a pas besoin d’espoir. Pour elle, c’est un poison. C’est comme si l’individu vénérait une illusion alors que la vie est là.  On peut même imaginer que la vie en soit déçue, effroyablement déçue. Au point de se retirer puisque l’illusion a plus d’importance que la vie elle-même. Pourquoi rester là ? Il y a sûrement mieux à faire ailleurs…

 

L’étape la plus difficile, la plus délicate, le travail de sape le plus redoutable à effectuer est de cesser de penser. Il s’agit de vibrer intérieurement alors que la pensée est une projection extérieure. Nous avons appris à penser jusqu’à finir par nous « dé-penser. » Nous sommes sortis de nous-mêmes en nous projetant dans un flot d’abstractions et nos pensées sont devenues des dépenses énergétiques, des dispersions multipliées à l’infini.

 

Je dois aussi à l’effort long d’avoir découvert cet espace « dé-pensé », cette plénitude de la vie étreinte dans le creuset de l’énergie originelle. Lorsqu’il n’y a rien d‘autre que le saisissement  du silence intérieur, le ronflement infime de l’univers qui s’étend.

 Mais je reconnais aujourd’hui que cette épreuve a généré en moi un autre adversaire. Celui du refus de toutes formes de projection, jusqu’à refuser de me mettre dans une situation dont certains paramètres pouvaient m’échapper. Les relations sociales en sont le symbole.

Je refuse d’être dépendant des autres. Je refuse même de leur demander quoique ce soit. Pour ne rien leur devoir. Et ne rien attendre, n’avoir aucun espoir, aucune illusion. Le problème vient de la puissance du fonctionnement. Je me suis vraiment coupé de tous.

Et puis, là, étrangement, la vie s’est chargée de me montrer l’erreur. A travers mes textes. Des gens que je ne connaissais pas et qui s’engagent pour moi, de façon totalement désintéressée, juste parce qu’ils ont été touchés par mes écrits.

Je ne pouvais pas échapper à une introspection supplémentaire.

Françoise, Martine, Max, Estelle, Jean-Michel, Chris, Nathalie, Valérie, Bérénice, Gaëlle, Albert et d’autres encore. Ils se reconnaîtront, je ne les oublie pas. Des témoignages émouvants, bouleversants pour moi. Il y avait quelque chose à comprendre. Cet enfermement dans lequel je m’étais réfugié pouvait également être une geôle. Et dès lors, ce travail d’écriture ne pouvait pas aboutir dans cette intention de partage qui m’importe. A ne vouloir subir aucun espoir, je bridais également ce que le partage pouvait m’apporter. Situation contradictoire étant donné que je remplis ce blog jour après jour.

Il y a donc les actes à mener.

Par ces actes, il peut y avoir une tentative pour aboutir à un objectif.

Dans cet objectif, un espoir peut venir se greffer et alimenter l’énergie nécessaire pour mener les actes à terme.

Alors, pour clarifier la situation et ne pas retomber dans les travers de l’espoir, je parlerai plutôt d’intention.

J’ai une intention mais les actes que j’accomplis me libèrent de l’espoir versatile et des désillusions qu’il fabrique.

J’imagine que la volonté suit le fil de l’intention pour aller vers l’objectif.

L’espoir est beaucoup plus lointain, comme un mirage fabriqué par l’évaporation des pensées incontrôlées.

« Il n’y a pas d’espoir sans crainte, ni de crainte sans espoir, » disait Spinoza.

Voilà ce que je cherche désormais.

Accepter l’intention mais sans jamais sombrer dans l’espoir.          

L'intention est une réalité à vivre dans les actes présents. L'espoir est immatériel tout comme l'est le mirage.

Et j'ai bien l'intention d'y ariver :)

 

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