KUNDALINI : L'Unité

"Tout dans l'Univers est fait d'une danse d'atomes. Tout est vibration. Les animaux, les plantes, la forêt sont conscience mais aussi le minéral. Ainsi, les pratiques tantriques cherchent à produire en nous une conscience directe de cette nature vibrante du monde. La pratique du yoga ou de la danse tantrique peut nous faire sortir de l'ego et nous faire connaître l'expérience directe de cette réalité vibratoire. L'ego s'arrête sur les formes et nous fait concevoir comme étant isolés du monde. Cependant, nous pouvons être amenés à percevoir que non seulement, nous sommes vibration mais que cette vibration et la vibration extérieure sont en réalité une seul chose. Notre pensée peut concevoir cela mais cela restera un concept. D'où l'importance des pratiques corporelles dans le tantra. Le corps a la faculté de nous faire ressentir l'illimité. Il est comme un bébé. Ce n'est pas la peine d'expliquer à un bébé qu'il est en lien avec le cosmos, il le vit directement. Donc, finalement, le premier ressenti que nous avons, c'est de faire un avec la totalité. C'est la chose la plus naturelle. Puis nous ""apprenons"" avec l'éducation et l'enseignement à séparer les choses et à nous éloigner de cette unité."

Daniel ODIER

 


 

 

 Je réalise, qu'en fait, depuis que j'écris des romans, c'est ce que je cherche à transcrire. Et il en est de même dans "KUNDALINI" où l'expérience de la sexualité sacrée plonge les individus dans cette conscience vibratoire.

Je réalise, qu'en fait, j'ai eu la chance immense, enfant, de vivre dans la nature, près de l'Océan, dans les bois, de courir sur les rochers, de grimper aux arbres, de faire des cabanes, de manger des châtaignes cuites sur un feu de bois, d'écouter les oiseaux, le murmure d'un ruisseau, de jouer avec les nuages, de nager tout nu dans les vagues, de sentir mon corps vivant, aimant, puissant...

Je réalise, qu'en fait, aujourd'hui, tout ce que je vis est dans la continuité de ces expériences originelles, que la contemplation d'un lever de soleil ou le jeu des rayons de l'astre avec les nuages, que le silence du petit matin, la rosée sur les plantes, le cheminement aléatoire d'une chenille dans l'herbe, l'eau d'un torrent de montagne, tout ce que j'aimais enfant est toujours là mais avec une conscience vibratoire de plus en plus profonde, intense, bouleversante.   

J'aime infiniment tout ce que ces ressentis unitaires génèrent de transformations dans ma vie quotidienne. La conscience de l'unité, de ma responsabilité envers tout ce qui vit, de l'osmose qui me tend les bras, de cet effacement de l'ego dans la contemplation du monde, de l'amour infini que j'éprouve en plongeant dans les yeux de la femme qui partage ma vie dans une dimension spirituelle commune, dans le bonheur d'accompagner les trois enfants que la Vie nous a offerts...

Tout le reste est si insignifiant, si dérisoire. Cette dispersion quotidienne dans des événements sans cesse renouvelés, des agitations d'egos qui voudraient exister autant que les autres egos qu'ils croisent sans jamais prendre conscience que tout ça n'est qu'un jeu de marionnettes, des bouts de tissus cousus sur des corps nus, des âmes pures, des consciences divines. 

Je veux retrouver la nudité originelle. Je veux arracher de mon âme tout ce qui a été rajouté au fil du temps, tout ce qui n'est pas de ce monde naturel, de cet espace vibratoire, de cette communion avec la Vie en moi, en nous, en Tout.

Je veux mourir totalement nu, l'âme légère. 

 


 

Kundalini web 1

« C’est bon, Maud, tu peux y aller. »

Elle n’avait plus peur des vagues. Elle les aimait.

Elle apprendrait à se laisser porter, sans crainte, offerte à l’épreuve, ouverte et confiante, sans aucun ancrage, sans attachement, sans remord ni tentation de se projeter au-delà de l’instant quand il porte lui-même la plénitude.

Elle posa les mains sur le rocher et le regarda comme un partenaire. Juste la joie d’être là et de partager la présence.

Elle s’appliqua à lire les prises et à se positionner, à anticiper les gestes dans une simple observation, sans aucune émotion craintive.

Être là. Juste là. Comme les grains de la roche, comme les tapis ras des mousses éparses, cette petite plante grasse près de sa main, fragile et pourtant tenace, enfouie dans une faille au-dessus du vide, seule, sans espoir de croissance faste, sans espoir de compagnie.

Pourquoi là ?

Et pourquoi se poser la question puisque c’est inéluctable ? Pourquoi interpréter à travers un mental limitant l’extension de la vie ?

Être juste là, légère, aimante.

Aimante.

Aimantée à la vie.

Non pas par nécessité mais par choix. Non pas dans la dépendance mais dans la conscience qui libère.

Elle ancra les doigts sur deux réglettes plates. Elle appuya le chausson du pied droit sur une bossette et monta la jambe gauche à hauteur du bassin. Elle appliqua la pointe du chausson sur un relief aigu. Elle inspecta le mètre suivant et visualisa le geste à accomplir. Ramener la jambe droite à hauteur de la main et crocheter un becquet qui pointait sur la gauche, prendre appui sur les deux jambes fléchies comme une grenouille et se déployer pour atteindre la fissure horizontale.

Être juste là et aimer l’instant pour que vive le suivant, dans sa complète mesure, dans un déploiement intégral, sans aucune interférence, sans aucune impureté.

Le choix lui appartenait.

L’existence égotique ou le saisissement de la vie.

Elle atteignit le relais, une petite vire, juste assez large pour les pieds. Elle noua la corde dans les mousquetons pour être libre de ses gestes.

Quand elle leva les yeux, elle croisa le regard de Sat.

Un regard étrangement soutenu, comme une interrogation envoutée qui ne sait s’exprimer.

« Maud ?

-Oui.

-Comment tu te sens ?

-Très bien, merveilleusement bien.

-Tu grimpais régulièrement avant ?

-Non, pas vraiment. Une ou deux fois par mois, guère plus. »

Un moment de silence.

Elle finit par sourire devant son air ébahi.

« Qu’est-ce que tu as ? Tu me regardes bizarrement.

-Qu’est-ce que j’ai ? reprit-il. Eh bien, tout simplement que de te regarder grimper, j’en suis resté bouche bée. On dirait que tu as fait ça tous les jours de ta vie. »

Elle l’observa, intriguée puis elle se pencha. Observation du parcours.

Une dalle inclinée, peu de prises visibles, un cheminement qui ne l’avait nullement inquiétée.

Un flash, comme une évidence.

Aucune peur, aucune projection, elle ne se souvenait même pas d’une émotion quelconque, rien ne s’était figé, comme si dans l’exigence de l’effort, les troubles mentalisés n’avaient trouvé aucune faille, aucun support, aucun amarrage. Se laisser porter par les vagues.

Tout était là.

La sexualité sacrée.

Tout était là.

Aucune peur. Être là, impliquée en soi, concentrée et aimante, dans un saisissement ultime de chaque instant.

Elle buvait les révélations comme des élixirs de conscience.

Une ébullition joyeuse et lucide. Elle en sentait les parfums colorés, des senteurs capiteuses qui l’envahissaient, une effervescence qui irradiait dans l’intégralité de son corps, comme une nourriture dynamisante, un élixir de jouvence.

Tout se mettait en place et même si l’observation n’aboutissait pas encore à l’émergence d’une structure stable et durable, elle devinait une naissance à venir, comme ces matins calmes des cieux ouverts, lorsque la lumière de l’astre montant enlace les altitudes.

Elle percevait la clarté et elle acceptait l’attente. Elle en contemplait même les effets.

Sans aucun trouble, sans le moindre sentiment de menace ou cette peur absurde de ne pas être à la hauteur.

« Je ne t’ai pas quittée des yeux, Maud. Tu avais un visage concentré mais également une espèce de douceur, comme un sourire intérieur. Tu avais l’air si heureuse. Comme si ton bonheur te portait. Tes déplacements, chacun de tes gestes. J’avais l’impression que les prises naissaient sous tes mains. C’était beau, juste beau et je t’ai contemplée. Vraiment contemplée.»

Cette jubilation neutre. Elle n’en avait jamais connu les délices. Cet amour de la vie en soi, cette force sereine. L’étonnant assemblage de la joie et de la clairvoyance. Tout devenait possible.

« Qu’est-ce qui est beau, Sat ? Moi ou ce que la vie fait de moi ? Je n’ai rien choisi dans tout ce qui m’arrive. Je n’y suis pour rien. Ça pourrait être déprimant d’ailleurs et pourtant j’ai juste envie de jouir de mon bonheur. »

Elle apprenait si vite. Il en fut subjugué. L’impression d’assister à l’apparition d’une âme pure, comme libérée de toutes entraves, un guide spirituel qui prenait la parole.

Elle avait les yeux brillants des femmes comblées.

« Il faut que tu grimpes, Sat. Parce que là, j’ai très envie de te déshabiller et d’honorer ton corps. Il faut que tu t’éloignes et moi il faut que je fasse sortir tout ça. J’ai l’impression de bouillir. »

Il éclata de rire et fit semblant de s’empresser.

Il posa les lèvres sur la bouche de Maud, juste un effleurement et elle l’étreignit aussitôt. Une langue avide et gourmande, des mains baladeuses.

« C’est bon, je file, je file, » lança-t-il, amusé.

Elle le regarda reprendre l’ascension sans quitter des yeux l’émotion pétillante qui la tourmentait délicieusement.

« Moi ou ce que la vie fait de moi ? »

La question tournait comme un carrousel. Elle devait l’explorer. Quelle était la part réelle de ses choix ?

Elle choisit justement de ne plus y penser et s’en amusa.

Elle suivit Sat des yeux, émoustillée et contemplative.

Elle laissa le sourire s’étendre, comme une fleur qui s’ouvre, un amour qui s’offre.

Lorsqu’elle s’engagea à son tour, elle ressentit immédiatement cette vague intérieure, cette chaleur qui l’avait inondée dans les bras de Sat. Elle observa avec amusement l’accélération de son cœur, l’impression qu’il gonflait de bonheur, qu’il absorbait sans aucune retenue le souffle originel du monde.

« Moi ou ce que la vie fait de moi ? »

Indissociable complicité. Aucune prédominance. Elle pouvait être ce que la vie lui proposait de devenir. Elle pouvait être, à l’opposé, ce qu’elle refusait d’éprouver, comme un déni du partage, comme un enfermement égotique. Nul jugement mais un choix. La conscience de ce choix, il fallait la saisir.

C’est là que sa vision sembla s’étendre, sans qu’elle ne comprenne le phénomène. Elle passa une main sur les yeux et respira profondément.

Aimer au-delà de l’amour identifié, au-delà des formes, aimer au-delà des balises anciennes, au-delà des connaissances apprises.

Des frémissements dans son ventre, des picotements dans ses mains. Un déversement continuel de perceptions vierges de toute mémoire, un champ visuel qui s’étendait au-delà des limites connues.

Elle leva les yeux vers Sat et elle se figea.

Là, sur la roche, comme des risées écumeuses sur la mer, chaque point de contact de Sat avec la roche.

Là où il était passé.

Des balises qui rayonnaient.

Non, elle n’était pas folle.

La roche suintait d’amour. Elle n’avait pas d’autres explications. Des atomes excités, des étincelles de matière éthérée. Elle ne chercha pas à comprendre.

Le monde nous aimait quand nous l’aimions. C’est tout.

Se pouvait-il d’ailleurs que la vie soit ailleurs que dans cet amour diffusé ? Ne portions-nous pas également l’exact contraire du projet originel ? N’étions-nous pas les propres fondateurs du chaos ? Notre mental se privait de l’amour et le remplaçait par la possession. Incapables d’aimer la vie en nous, nous en adorions follement les artifices. Un gâchis qui la tourmentait puis soudainement, la conscience que ce constat amer contribuait à l’étouffement du bonheur.

Être là, aimer et se libérer de l’empoisonnement des regards toxiques.

Des atomes dansants devant les yeux. Un plant de fougères inséré dans une fissure. Elle en contempla les formes, les symétries parfaites, les arrondis et les veines, les canaux diffuseurs, les entonnoirs à lumière. Elle caressa les feuilles du bout de l’index et en absorba la douceur.

Partenaire de vie.

Tout était là.

Le territoire de l’amour.

Elle dansa sur la roche dans une étreinte souple et délicate, aérienne et joyeuse.

Elle rejoignit Sat au sommet de la falaise et éclata de rire.

 

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