La classe inversée

L’innovation est une «vieille» tradition scolaire. Certaines pédagogies sont éternellement «nouvelles», Mais certaines nouveautés vraiment plus nouvelles mérite qu'on s'y arrête. C’est le cas de la classe inversée, flipped classroom dans son idiome d’origine. Ce ne sont pas les élèves qui font cours au prof et ça ne consiste pas non plus à faire classe dans le couloir ou assis sur les tables.

La classe inversée, c’est le temps des devoirs et celui de leçon qui sont intervertis. Le cours est lu et appris par les élèves hors du cours, chez eux, en salle de permanence, pendant un moment spécifiquement aménagé mais surtout sans le professeur. Et les exercices, sont réservés à la classe, avec, là, l’aide du prof.

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Au cœur de la méthode, le caractère actif qu’elle donne à l’heure de cours et l’efficacité attendue d’un suivi de la compréhension et des difficultés des élèves pas à pas. Parce que les exercices sont fait avec l'enseignant, la classe inversée permet de se donner l’occasion d’intercepter tout de suite les obstacles qu’ils rencontrent. Et d’y remédier.

Dans un cours magistral traditionnel, un élève qui n’a pas compris aura peut-être peur, ou la flemme de poser une question… On a tous vécu ça. C’est ce qui incite les enseignant à interpeler ceux qui ont l’air perdus ou qui semblent peu attentifs pour maintenir une tension dans le cours même dans les cours dit magistraux. Mais dans la classe inversée, l’interaction est érigée en principe.

Les élèves peuvent travailler en petit groupe, s’expliquer les choses entre eux, résoudre un problème en collectivement. (Travailler en équipe, c’est traditionnellement une compétence que l’école peine à enseigner.)

Alors que donne la classe inversée? On sait depuis longtemps que des professeurs enthousiastes et motivés produisent toujours des effets positifs sur les résultats des élèves, donc oui les effets sont, en toute logique, bénéfiques pour cette pédagogie qui est toujours choisie par des enseignants à la recherche d'innovation pour leurs cours.

David Bouchillon est professeur d’Histoire-Géographie au collège. Quand on parle de classe inversée, on tombe tout de suite sur lui (en l’occurrence pour moi c’était via Twitter mais il a déjà été cité dans plusieurs papier et sa classe a fait l’objet d’un reportage sur France 2). Pourquoi a-t-il voulu changer de méthode ?

Les élèves se désinvestissent au collège, l’avantage de la classe inversée est la remise au travail des élèves, les rendre actifs et acteurs de leurs apprentissages.

Et pour Olivier Quinet, autre professeur d’Histoire Géo, également en collège, la classe inversée porte ses fruits en terme de résultats :

Les élèves sont preneurs car il y a moins de travail à la maison. Ils apprennent mieux. Il y’a peu de «vie» (comprenez du désordre) dans la classe mais ça les rend plus autonomes. Je les fais rédiger davantage, lors d’exercices non notés, cela leur permet de s’exprimer plus facilement par écrit, et finalement d’obtenir meilleurs résultats aux évaluations. Je n’ai plus de copies blanches! Le seul problème pour certain c’est qu’ils ne peuvent plus dormir en cours! Pour le moment, les trois quatre élèves les plus en difficultés ne rattrapent pas leur retard mais le «ventre mou» a vraiment vu son niveau augmenter.

Alors pourquoi la classe inversée se diffuse-t-elle spécifiquement en ce moment ? La réponse tient en un mot: L'Internet. Au départ, et en principe, un enseignant n’a pas besoin d’internet pour inverser sa classe. Un polycopié peut suffire (je viens d’un monde dans lequel on avait des polycopiés). Mais de fait c’est plutôt sur écran que les élèves vont se familiariser avec la leçon et apprendre leur cours grâce à des modules de une, deux trois minutes. Ces petites vidéos s’appellent des capsules.

Les enseignants peuvent aussi utiliser des ressources en lignes (et pas forcément celles de la Khan academy qui correspond peu aux standards des apprentissages des mathématiques en France parce qu’il y a aussi des ressources sur Sesamaths, maclasseinversée, iclasse130 le site de David Bouchillon) – mais surtout ils peuvent les fabriquer!

Il y a un esprit artisanal très réjouissant dans ces modules conçus par des enseignants pour leurs élèves, on est loin des MOOCS avec leurs cours prodigués par les grandes stars de la Ivy League! Cela risque aussi d’évoluer pour le secondaire. Catherine Ferrier, conseillère académique en Recherche-développement, innovation et expérimentation de l'académie de Créteil note que certains flairent déjà le filon :

Nos boites mails voient arriver de plus en plus de communiqués proposant des offres payantes. Les entreprises de cours particuliers (elle a refusé de donner des noms) commencent à voir les bénéfices économiques qu’ils pourraient tirer de ce qui deviendrait un marché… Les contenus sont d’ailleurs très inégaux voire pas fameux.

Et les éditeurs scolaires commencent à contacter des professeurs précurseurs. Les noms circulent, mais sous le manteau, car le premier qui arrivera sur le terrain prendra une avance décisive sur ce qui deviendra peut-être un marché.

Les enseignants pourraient-ils renoncer à des manuels scolaires pour demander à leur établissement d’investir dans des «capsules» en ligne payantes ? Si les éditeurs y trouvent leur compte l’expérience pourrait être tentée…

Mais surtout, surtout, le net permet aux adeptes de la classes inversée d’avoir des échanges inédits par leur qualité et leur ampleur. Les capsules circulent et s’échangent sur le net. C’est par exemple c’est ce que fait Anne Andrist, française qui enseigne en Suisse  sur un «mur» ouvert à tous…

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Idem pour David Bouchillon :

Mon site est totalement ouvert. Tout ce que je demande c’est qu’on me cite si on me reprend. Chaque semaine un enseignant me contacte via Twitter. Je communique avec des profs de toute la France et au Québec. On se montre nos cours.

C’est là que les réseaux sociaux jouent un rôle plus inattendu. Parce que comme me le faisait remarquer récemment une enseignante d’un collège parisien:

C’est très rare de parler de ce qu’on fait, de ce qu’on fait vraiment en classe, avec ses collègues. On a peur d’être jugé alors on ne veut pas non plus raconter qu’on galère ou qu’on a l’impression de se planter. Du coup chacun reste dans sa merde.

David Bouchillon renchérit :

«Ce qui est bien, c’est qu’on sort du chacun pour soi! J’ai des tas de collègues très isolés dans leur établissement avec qui j’échange énormément sur la manière de faire cours».

Internet et les réseaux sociaux fonctionnent donc comme un espace de libération de la parole pédagogique. Un espace d’échanges et de formation professionnelle informelle. Le tout au service d’une pédagogie qui semble très efficace aux yeux de ceux qui l’ont choisie. Et mine de rien, c’est un vrai changement.

Louise Tourret

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